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  Faut-il voter pour le moins pire ?

mardi 25 janvier 2022, par François Saint Pierre

Souvent dans notre système électoral, au premier tour on vote pour son candidat préféré et au second on élimine. Mais quand l’offre électorale ne permet pas d’avoir un candidat préféré, faut-il choisir le moins pire, voter blanc ou s’abstenir ? Faut-il accepter de se faire représenter par quelqu’un avec qui on est en désaccord profond ? Le choix de beaucoup de jeunes de se désintéresser des élections nous incite à nous demander si notre démocratie libérale représentative, toujours présentée comme le meilleur modèle politique est bien démocratique.

La démocratie est une utopie

Pour ceux qui sont convaincus que le vote est l’alpha et l’oméga de la vie publique, l’augmentation de l’abstention ne traduit qu’une baisse du sens civique. Si l’interprétation de cette tendance, par une incompréhension des enjeux électoraux, comporte une part de vérité, il y a certainement d’autres raisons qui expliquent cette évolution inquiétante.

Notre République a réduit la démocratie directe à quelques référendums exceptionnels et utilise très peu le tirage au sort, pourtant très important dans la démocratie athénienne car ce principe permet à tout citoyen un jour ou l’autre d’être potentiellement en position d’exercer directement le pouvoir. Seule la justice pour la constitution des jurys de cours d’assise utilise, de manière très contrôlée et assez marginale, le tirage au sort. La démocratie participative est toujours considérée comme marginale et elle est toujours totalement subordonnée aux pouvoirs des élus. La démocratie représentative ne peut répondre seule à l’idéal démocratique, mais même s’il semble difficile de s’en passer totalement pour gouverner notre monde moderne, il est légitime de comparer les bonnes intentions qu’elle affiche et le réel de son fonctionnement.

La démocratie suppose un peuple, constitué à travers une histoire, qui accepte des valeurs communes notamment la liberté et l’égalité. Cela entraîne 1) l’autonomie des citoyens et la capacité de tous à participer à la gouvernance de la vie collective. 2) le respect des autres, même s’ils sont dans une minorité sociale ou idéologique.

Un État de droit est plus ou moins démocratique en proportion de son respect à cet exigeant cahier des charges. Mais le peuple doit avoir un sentiment d’unité qui résiste aux tendances de dissociations sociales. La démocratie est un régime politique qui fonctionne bien lorsque la classe moyenne est dominante, or l’évolution actuelle va vers un grand décrochage des classes moyennes inférieures vers la catégorie des assistés. Ce phénomène est la source du populisme qui se construit sur une tension entre les élites et les classes populaires. Le populisme est surtout la conséquence d’une dérive de notre système économique qui clive la société et détruit le sentiment qu’à le citoyen d’appartenir à une communauté de destin.

Si dans les années 1970/1980 le peuple français, par une forte participation aux élections, montrait sa confiance en la capacité de notre système politique de transformer positivement le monde ce n’est plus le cas. La crise économique de 2008, la montée de l’islamisme, la prise de conscience du pouvoir des multinationales, les inquiétudes environnementales ainsi que la dernière pandémie ont fait resurgir des vieux fantasmes identitaires et sécuritaires. La confiance dans la capacité de nos représentants élus de peser positivement sur la qualité de vie de chacun, de défendre notre autonomie et de lutter efficacement contre les risques environnementaux a disparu.

Certains analysent l’organisation sociale commune à nos démocraties libérales comme un système monde-moderne construit dans une longue histoire, dont les êtres humains sont les rouages. Mégamachine, comme l’historien Lewis Mumford nomme cet enchevêtrement de rapports de dominations, qui dépasse la souveraineté nationale et impose sa vision hégémonique d’un modèle productiviste. Système qui profite à une minorité et qui se révèle incapable de changer de cap, alors que les limites physique et biologique imposées par l’environnement sont de plus en plus évidentes.

Notre système social pratique une bonne dose de redistribution des revenus et préfère assister les pauvres plutôt que d’augmenter les salaires. Par contre le patrimoine est très peu redistribué, 60% du patrimoine des français vient de l’héritage et notre système scolaire ne favorise pas l’ascenseur social. La capacité des classes aisées à peser sur le débat public étant très forte, les évolutions sociales ne peuvent remettre en cause les inégalités sociales. La disqualification, dans le débat public, par l’usage du terme "complotiste" est le symptôme de l’angoisse des classes favorisées devant la montée des nouveaux acteurs médiatiques liés au monde du numérique. Mais là aussi cette peur est injustifiée, car même sur Internet la parole dominante reste largement contrôlée par ceux qui ont une forte légitimité sociale. Sur ces questions la capacité des citoyens à peser sur les décisions politiques, principe de base de la démocratie, ne peut jouer qu’à la marge.

Pour faire vivre une démocratie effective, peut-on se contenter d’améliorer notre système représentatif en le faisant évoluer de l’intérieur ou doit-on envisager de déboulonner la mégamachine ? À l’envers des générations précédentes qui pensaient que le vote est le passage obligé de toute transformation de la société, de nombreux jeunes sont prêts à déconstruire notre modernité par d’autres moyens que le choix de représentants. Cela rejoint paradoxalement la position d’Aristote qui considérait que la représentation est une illusion contraire à l’idéal démocratique.

Quelques principes de la représentation

1) Les gouvernants sont choisis par des élections qui ont lieu à intervalles réguliers. Ces derniers ont intérêt, pour être réélus, à anticiper le jugement des électeurs.

2) Les élus sont autonomes dans la prise de décisions politiques.

3) le peuple conserve le droit d’exprimer ses opinions et ses griefs, et peut faire valoir à tout moment ses revendications auprès des représentants.

4) les décisions publiques sont soumises à « l’épreuve de la discussion » et le débat public avant la prise de décision doit être rationnellement argumenté.

5) la représentation doit être corrélée avec la société civile à travers les partis ou les associations politiques.

6) La représentation doit être socialement représentative de la société.

7) Le système d’élection doit permettre l’émergence d’une élite citoyenne capable de prendre en charge les multiples enjeux de la communauté.

Des représentants qui ne représentent pas

Le premier point et le second sont bien remplis, mais dès le troisième cela se gâte, en effet la capacité d’exprimer son désaccord avec les choix gouvernementaux se réduit de plus en plus. La gestion policière des manifestations, de plus en plus violente, rend trop risquée ce mode d’expression. Exprimer une opinion dissidente dans l’espace public devient très difficile, car la très grande majorité des médias appartient à la classe très réduite des milliardaires qui sont peu nombreux et idéologiquement plutôt mainstream. Les récents propos irresponsables du Président, sur son envie d’emmerder les non vaccinés, montrent que l’opposant à la politique du gouvernement est traité par le mépris. Toute possibilité de discussion est barrée, ce qui rend impossible toute discussion. De même, lorsque l’assemblée est majoritairement en faveur du Président, comme c’est le cas actuellement, quasiment aucun amendement venant de l’opposition n’est voté, cela dévalorise en profondeur l’intérêt des débats parlementaires et va à l’encontre de l’esprit de la démocratie.

Pour le cinquième et sixième point la situation s’est largement dégradée en raison d’une vision beaucoup trop pyramidale du pouvoir. Les corps intermédiaires sont de moins en moins entendus par le pouvoir et les associations sont considérées comme des hobbies pour les citoyens et non comme porteur d’un peu de légitimité collective.

C’est le dernier point qui disqualifie le plus ce système représentatif, en effet nos élus appartiennent bien à une élite sociale et économique, mais absolument pas à une élite citoyenne.

Des améliorations théoriquement possibles

Notre Constitution conçue pour le général De Gaulle, plutôt que d’encourager le débat argumenté et non biaisé par les intérêts économiques, a choisi de se baser sur l’incarnation des choix politiques d’un Président élu au suffrage universel. Le choix des autres représentants se faisant essentiellement sur le critère de l’adhésion ou non à ce Président. Dans cette logique, le système médiatique fait plus de la politique politicienne que de l’animation du débat public. Chaque milliardaire choisit son candidat, mais sans oublier que ce choix doit être compatible avec les intérêts des classes sociales les plus aisées. Changer de constitution semble la première urgence, mais c’est rarement présenté comme une priorité par des candidats qui ont envie de conserver un système si celui-ci les conduit au pouvoir. Les médias étant devenus des entreprises demandant des capitaux importants, il est difficile d’éliminer le biais de l’argent dans le débat public, mais on peut au moins garantir un peu plus d’indépendance des journalistes par rapport aux actionnaires. Il est essentiel de faire jouer un rôle plus important à tous les corps intermédiaires pour que les choix politiques soient débattus au sein de la société et non pas réduit à des débats télévisuels.

Casser l’avantage structurel des classes sociales favorisées dans le système électoral, comme cela a été tenté par une politique de quota pour les sexes, semble très loin d’être envisageable. Ajouter une bonne dose de démocratie participative, basée sur une co-construction avec les élus de la décision politique, est le meilleur moyen de favoriser un débat de qualité. De même un usage plus important de la démocratie directe y compris à l’échelon local améliorerait la capacité des citoyens à comprendre les enjeux électoraux et à mieux choisir leurs représentants. En fait, que ce soit en France ou ailleurs, les démocraties libérales, qui ont en théorie les moyens de se transformer, sont de fait des systèmes plus construits pour conserver le principe hiérarchique et la stabilité sociale plutôt que pour défendre l’intérêt général.

Que faire ?

L’incapacité des démocraties libérales à réagir face au réchauffement climatique ou à la montée des inégalités est inquiétante. Face aux crises, les classes aisées imposent comme modèle celui du prunier que l’on secoue pour faire tomber les fruits les plus murs. Petit à petit on fait décrocher de la société de consommation les classes modestes en les transformant en assistés. Mécanisme efficace pour maintenir dans une planète finie la qualité de vie des "classes supérieures". Cela conduit à la métaphore du Titanic ou les premières classes sont montées sans trop se tasser dans les bateaux de sauvetage… qui étaient en nombre insuffisant. Ceux qui votent sont les gagnants du système, ceux qui votent le moins, c’est les pauvres qui savent qu’ils ont perdu la partie, les jeunes qui doutent du système et les très vieux qui savent que la fin est proche.

Voter ne signifie pas forcément être favorable à la mainmise des riches sur l’opinion publique, mais dans la situation actuelle ne pas voter est un acte qui a un sens très fort de remise en cause du système. Si le vote blanc ou nul signifie que parmi les représentants possibles aucun ne fait l’affaire, s’abstenir, même si c’est fait sans en prendre conscience, est une manière d’exprimer un désir de changement en profondeur de l’organisation sociale. Le progrès technique comme moteur d’une croissance qui profite au plus riches, au détriment de l’avenir commun de l’humanité, n’est plus une utopie acceptable, Le PIB ne doit plus être l’indicateur principal du progrès.

Même les utopies égalitaires qui prônent une frugalité heureuse devront résoudre la question de la prise de décision pour les questions qui concernent la collectivité. A l’heure d’Internet et d’un niveau élevé de formation de la jeunesse, il est peut-être temps de refonder une démocratie plus conforme à l’évolution du monde moderne et plus en accord avec les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.