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  Le grand désenchantement

mardi 25 janvier 2022, par Stuart Walker

Depuis la fin des trente glorieuses, on a l’impression que l’économie française galère de crise en crise. Quelles qu’en soient les causes une grande partie de la population considère que c’est la faute au gouvernement. La lune de miel traditionnelle se raccourcit, les contestations prennent de l’ampleur. Et la désillusion des insatisfaits se traduit par de nouveaux records d’abstention, sapant le socle de notre démocratie participative.

Les critiques actuelles fusent de toutes parts, même si elles sont un peu amorties par la situation sanitaire. Elles visent essentiellement une dérive autoritaire, une réaction mitigée au défi climatique et un écart croissant des inégalités.

Le chef de l’État n’est pas un assoiffé de pouvoir, mais il est essentiel qu’il ne soit pas dépourvu des moyens d’agir. Le programme de réformes de son interlocuteur américain a été bloqué par un système d’équilibre des pouvoirs (checks and balances) tellement perfectionné qu’il est en train de le transformer en canard boiteux.

L’état de droit est loin d’être bafoué en France. Les décisions sur la santé sont prises après des discussions quasi journalières avec le Conseil Scientifique, et visent un compromis entre la contrainte et la responsabilisation. Il aurait sans doute été plus efficace d’imposer le pass vaccinal par décret, mais l’aller-retour par le Sénat a été respecté.

Nous en sommes à notre cinquième constitution. Ce n’est pas sûr qu’une sixième améliorerait la situation. Les pouvoirs régaliens du président remontent à de Gaulle, qui les avait instaurés pour mettre fin au panier de crabes qu’était devenu la 4è.et qui rendait l’administration inopérante. Les élections délèguent une partie du pouvoir à un président redevable aux institutions, dont il n’est quand même pas l’esclave.

L’article 5 de la constitution, un gouvernement de, par et pour le peuple, ne peut pas être pris à la lettre. En dehors de quelques communautés, aucun État ne l’a réalisé sans écraser les droits civiques « au nom du peuple » S’agit-il du peuple d’une patrie, défendu par Trump, ou du peuple du monde défendu par une approche internationaliste ? Dans les deux cas les élus sont confrontés par d’un myriade d’intérêts conflictuels qu’ils sont amenés à tenter de concilier.

Le populisme est clairement une menace pour un système parlementaire. Mais il y a des prises de position qui se prétendent simplement populaires qui vont à l’encontre des valeurs d’une société démocratique. L’abolition de la peine de mort s’est fait malgré un support minoritaire dans la population. Défendre mordicus une légère majorité référendaire comme démocratique à permis à Boris Johnson de menacer l’unité de l’Europe, tout en portant un coup lourd à l’économie de son pays.

La réforme des nombreux régimes de retraite a rencontré un retranchement d’opposition majoritaire ; Mais il s’agissait de sauver le système menacé de faillite par la prolongation, grâce à de meilleures conditions de vie et des progrès scientifiques, de la durée de vie d’une vingtaine d’années . Il n’était pas déraisonnable de demander une année de plus de cotisations, d’autant plus qu’un système à points permettait un élément de choix..

L’action pour défendre le climat est devenu une cause populaire dans le bon sens du terme. Il répond clairement à l’intérêt général de la population de la planète. Les catastrophes font la une des médias de jour en jour. Ce qui a pu être considéré comme un épiphénomène a pris une ampleur que nul ne peut ignorer. Le travail pédagogique d’Al Gore, de Cohn-Bendit, de Gréta Thunberg, de Nicolas Hulot, du Giec, et de tant d’autres, n’a pas été vain.

Malgré le catastrophisme de certains, l’évolution de fond de l’opinion publique permet quelques espoirs. Le problème ne se réglera pas par une loi, comme l’âge de la majorité. EELV n’accédera probablement pas à l’Elysée. Mais les pouvoirs en place, au moins dans le monde démocratique, commencent à parler de croissance verte . Dans un récent livre Bertrand Piccard a proposé mille solutions pour faciliter cette transition, sans démanteler l’économie

L’erreur serait de recommencer comme avant avec une prédation sans limites et, à terme, fatale. La société de (sur)consommation n’est plus le rêve qu’elle était. Un programme de concertation sur le climat est le premier point qu Macron souhaite voir adopter par Bruxelles sur son agenda pour les années à venir

Beaucoup dépendra du nombre de citoyens qui auront la volonté de convertir leurs paroles en actions. De renoncer à la poursuite de biens matériels , de la richesse , du prestige et du pouvoir, pour chercher leur épanouissement plutôt dans le partage, la coopération, l’aide mutuelle... Et de combien de chefs d’État, y compris le nôtre, pourront être persuadés de promouvoir de tels changements. La Loi Pacte qui facilite la création d’entreprises à but non lucratif est un signe positif.

Le leitmotiv de la politique initiale de Macron était de remplacer l’assistance par l’émancipation . Il a constaté que les nationalisations de Mitterrand l’ont amené à faire marche arrière après deux ans au pouvoir. Et que même Hollande, dont l’ennemi était les riches, a provoqué une fronde en favorisant les entreprises Mais pour beaucoup les conséquences du macronisme pur ont été une explosion des écarts de revenu dignes du moyen-âge, sans ruissellement compensatoire.

 Les événements l’ont amené à faire preuve de pragmatisme. D’abord à la suite des gilets jaunes avec une consultation nationale et un train de mesures sociales. Il a même, chose inédite, avoué avoir commis des erreurs .  

 Et ensuite, lors de la pandémie, en sauvant des vies et des emplois par des mesures de soutien, grâce en partie à des financements européens. Globalement les revenus de la majorité des français ont connu une légère augmentation, et il reste un filet de sécurité pour les plus démunis. Les milliards qui ont été consacrés à la formation étaient prioritairement consacrés à ceux qui se trouvaient sans diplôme ni emploi.

Le vent a changé. Reagan et Thatcher sont moins vénérés, même par certains éminents PDG, qui accepteraient d’être taxés davantage. L’optimisation fiscale est de moins en moins acceptée. En Europe et aux États-Unis il y a maintenant une réglementation très stricte des opérations spéculatives des grandes banques, et des instances surveillent de très près les projets de fusion et acquisition des grands groupes. Plus de 100 pays ont signé leur accord sur l’imposition de 15% sur les grandes multinationales. Suite à d’innombrables pétitions, le Parlement européen a récemment voté une résolution, le Digital Marketing Act , une version mise à jour des lois anti-trust .

La lanceuse d’alerte Frances Haugen a témoigné devant le Congrès de son écœurement devant certaines pratiques de son ancien employeur Facebook. Les émissions d’Élise Lucet démontrent que Bolloré n’a pas de monopole de l’audiovisuel en France. Les œuvres de Thomas Piketty, ou de Stéphan Hessel ont trouvé une place parmi les meilleures ventes. Les mouvements Occupy Wall Street et Nuits Debout, même s’ils n’ont pas fait long feu, étaient symptomatiques d’une prise de conscience par les jeunes.

Il est cependant vrai que le mur de la finance n’est pas près de tomber. Les ressentiments persistent et de nouvelles manifestations violentes sont prévisibles au printemps, quel que soit le résultat des élections. Mais cramer les caisses, ou faire les poches des riches, ne sont peut-être pas les seuls moyens d’amener plus de citoyens à préférer un bulletin à un projectile.

L’éducation et la pédagogie seront des leviers essentiels. Beaucoup de ceux qui se considèrent comme délaissés sont nés à une époque ou on changeait de voiture tous les deux ans, et ont du mal à accepter la nouvelle donne. Une éducation de qualité, à partir du primaire, et accessible à tous, permettrait de réduire le nombre de gens capable de croire que la campagne de vaccination est un complot pour enrichir les laboratoires. Ou de mieux faire comprendre que le système parlementaire ne va pas de soi, mais a été acquis par des décennies d’efforts collectifs.

 Efforts collectifs qui pourraient aussi donner lieu à un développement de la formation des délégués syndicaux , et leur représentation au niveau des conseils d’administration