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  Abstention et refus de vote : une responsabilité citoyenne amoindrie et un rêve d’anarchie

lundi 24 janvier 2022, par Maurice Plazanet

Il y a une différence évidente entre abstention et refus de vote : l’abstention peut s’exprimer par un vote blanc. Cependant les comptes rendus d’élections qualifient d’abstention toute absence de vote pour une personne inscrite sur une liste électorale et insistent peu sur les votes blancs ; or le vrai refus de vote ne concerne que les non-inscrits sur une liste électorale, qui par définition, ne sont pas répertoriés. Les abstentionnistes sont ceux qui se manifestent par un refus de vote momentané, provisoire ou bien intermittent ; ils peuvent parfois être considérés comme le parti politique le plus important et constituent un motif d’inquiétude pour la vie démocratique.

Une responsabilité citoyenne amoindrie

Être responsable c’est répondre de ses actes, les assumer, en supporter les conséquences à un niveau collectif. Il est admis que les irresponsables juridiques ne votent pas : c’est notamment le cas des enfants et des adolescents jusqu’à 18 ans, des déchus des droits civiques et c’était le cas des femmes il y a encore moins de 100 ans. Peut-on en conclure que les abstentionnistes se considèrent comme des irresponsables ?

Rappelons une citation de George Bernard Shaw : « la liberté implique la responsabilité. C’est là pourquoi la plupart des hommes la redoutent ». Ne revenons pas ici sur le paradoxe de notre devise républicaine nationale qui associe liberté et égalité, alors qu’il s’agit de deux notions contradictoires et même incompatibles si on les porte à leur paroxysme. Pour ce qui nous concerne, on pourrait presque dire que l’égalité, poussée à ses limites, conduit à l’irresponsabilité, alors que la liberté ne peut se concevoir sans responsabilité.

Au minimum, la responsabilité oblige, avant tout acte, à l’information et à l’analyse ; rechercher toutes les données pertinentes, les mettre en forme, les partager, les soumettre aux critiques, les évaluer et éventuellement prévoir des justifications et en rendre compte. Par exemple, la responsabilité politique est définie comme « l’obligation pour le titulaire d’un mandat politique de répondre de son exercice devant celui ou ceux de qui il le tient ».

Une attitude responsable suppose de faire face à tous les éléments qui peuvent perturber une bonne appréhension, une bonne connaissance du phénomène analysé, et conduire de bonne foi à des réponses inadaptées. Les peurs justifient souvent des actes irresponsables, peurs des violences, peurs du changement, peurs des innovations et des nouvelles technologies…mais aussi peurs émotionnelles. Par exemple, il est désormais devenu évident que l’abandon de la production d’électricité nucléaire en France est une grave erreur. On dit souvent que les politiciens ont besoin de la peur pour contrôler la population et que les médias ont besoin de rumeurs alarmistes pour conserver leur audience. Par son vote, le citoyen responsable assume la lourde et noble tâche de choisir raisonnablement, avec un maximum de discernement, et indépendamment des instruments de pression, l’orientation politique, économique, environnementale, sociale et familiale…qui convient le mieux à ce qu’il estime être le bien commun. S’il ne peut s’y résoudre, son rôle de citoyen responsable s’en trouve globalement amoindri.

Un rêve d’anarchie

Au-delà d’une responsabilité citoyenne amoindrie, l’abstention peut s’analyser comme le rejet de toute délégation à autrui, et donc le rejet de tout pouvoir disposant d’un droit de contrainte sur un individu ; dans ce cas, l’abstention correspond finalement à un vote pour soi-même. Tout regroupement de citoyens est considéré malsain, corrompu, et imposant ses règles et son autorité, alors que l’individu revendique sa pleine autonomie en matière politique et sociale.

Dès lors on ne peut que penser à l’absence d’autorité, à l’absence de dirigeants, prônées par le mouvement anarchiste pour lutter contre l’oppression et l’exploitation de l’individu. L’histoire du mouvement anarchiste est très riche, complexe, diversifiée ; la pensée anarchiste est, par nature, fragmentée. Elle a nourri l’imaginaire collectif et généré beaucoup d’utopies ; nous n’allons pas ici tenter un inventaire, mais noter son attrait bien compréhensible, et sans doute favorisé par ce que l’on peut qualifier d’anarchisme de façade, représenté par des libertaires culturels plutôt favorables à des libérations dites sociétales.

En conclusion, il faut bien admettre que notre démocratie souffre du refus de vote et de l’abstention. Si on l’estime menacée, voire délégitimée, il faut proposer une solution de remplacement. Si on veut simplement la guérir d’un mal passager, il faut la renforcer. Rappelons que, pour tout citoyen, voter est un devoir civique ; il ne s’agit pas d’une obligation comme le paiement de l’impôt, la participation à la défense du pays ou la participation au fonctionnement de la justice en étant juré lors d’un procès de cour d’assises.

Le citoyen doit simplement, par son vote, assurer le bon fonctionnement de la démocratie, comme il doit faire preuve de loyauté envers les communautés française et européenne, respecter les autres, faire preuve de civilité, de solidarité sociale, et apporter sa contribution à la défense de l’environnement. On voit bien que pour renforcer la démocratie, il faudrait une relance de la vie citoyenne, qui ferait ressortir toute la grandeur, toute la dignité, toute la beauté, toute la noblesse de la responsabilité citoyenne… sans la nécessité d’aller jusqu’à l’obligation de vote !

« Si tu diffères de moi… loin de me léser, tu m’enrichis » Antoine de Saint Exupéry