L’Amérique est-elle encore une démocratie ?
mardi 11 février 2025, par François Saint Pierre
Le réflexe habituel pour analyser un résultat électoral, après avoir vérifié que les élections se sont déroulées librement, est de considérer les enjeux sociaux, sociétaux et économiques du pays dans lequel l’élection a eu lieu L’argument principal étant que l’électeur est en général peu motivé par les enjeux internationaux. Vu de France, le retour de Trump au pouvoir est difficilement compréhensible tellement il ne correspond pas aux valeurs que notre République met en avant. On peut même se demander si on peut encore qualifier les EU de démocratie, tellement la valeur d’égalité qui est à la base en démocratie est remisée au fond du placard au profit d’une liberté sans limite et d’une volonté clairement affirmée de domination, qui correspond à la logique libertarienne.
Les classes laborieuses, qui voient leur situation stagner en valeur relative par rapport au reste du monde, n’apprécient pas la domination des classes moyennes supérieures constitués en grande partie de diplômés de l’enseignement supérieur, qui constituent le socle électoral du parti démocrate. Ceci explique largement la défaite des démocrates, mais n’explique pas pourquoi les électeurs républicains ont soutenu le retour de Trump.
Nos médias mettent souvent l’accent sur l’incohérence de ses discours, mais cette incohérence est plus formelle que structurelle. Trump a fait des alliances avec d’un côté les géants de la tech et de l’autre les illuminés conservateurs qui croient au destin messianique des EU. Ces deux composantes se retrouvent sur la volonté de puissance des EU. Le dynamisme technologique de la Chine et plus généralement les réussites économiques des BRICS, a conduit l’Amérique à s’éloigner du modèle libéral. Fini la mondialisation heureuse proposée par le capitalisme des démocraties libérales. La finitude des ressources et la compétence des pays émergents ne permet plus de garantir la victoire avec le mantra de "la concurrence libre et non faussée". La nouvelle stratégie qui se met en place est de détricoter toutes les règles de gouvernance mondiale de telle sorte que l’avantage technologique des EU puisse retrouver de sa vigueur. Sécuriser les ressources territoriales, minières ou stratégiques est indispensable pour continuer à alimenter la croissance de l’économie et la domination mondiale. L’Europe, qui est restée dans le libéralisme d’antan, a donc été sidéré quand Trump a signifié son vif intérêt pour le Canada, le Groenland et le canal de Panama. Impression de retour au temps des empires coloniaux, mais il ne faut pas oublier que même les démocrates ont toujours été indulgents envers la colonisation des terres palestiniennes. Pour la majorité des américains la nécessité passe largement devant les arguments moraux, y compris sur les questions climatiques, pas questions pour eux de remettre en cause l’american way of life et d’abandonner leur hégémonie sur la planète.
Si l’effondrement de la Russie avait conduit Francis Fukuyama à prévoir la fin de l’histoire qui était pour lui l’installation définitive du leadership américain sur un monde où le seul modèle économique et politique acceptable était celui des démocraties libérales. Ce scénario est devenu obsolète, l’annonce des performances de l’IA chinoise DeepSeek, montre bien que l’avantage de puissance des EU ne permet plus une domination sans partage du monde. Des spécialistes des relations internationales reconnues comme John Mearsheimer ont dit très tôt que c’était une erreur de Biden d’agacer Poutine, car malgré sa puissance la Russie n’est pas l’empire le plus concurrentiel. Nous assistons à un changement de cap du modèle impérial, si le précédent celui de la domination économique dans un monde libéral n’avait pas que des qualités, le modèle libertarien qui s’annonce est carrément détestable.