dimanche 20 novembre 2022, par François Saint Pierre
Après 9 mois de guerre, aucun indice sérieux ne laisse présager une fin prochaine de l’invasion d’une partie de l’Ukraine par la Russie. L’abandon de Kherson est la preuve de l’incapacité des Russes à tenir le terrain conquis et marque le renoncement des Russes à prendre Odessa pour faire le lien avec la Transnistrie. Objectif qui a pu paraître, atteignable aux yeux des militaires russes, mais qui s’est avéré rapidement impossible pour une armée mal organisée et mal préparée à un conflit de cette ampleur. En effet, l’Ukraine a des combattants motivés qui peuvent utiliser quasiment sans limites le matériel, les armes, les munitions et les services de renseignements des pays occidentaux. Pour beaucoup cette situation relève d’une erreur d’analyse de la Russie, qui n’avait pas mesuré la forte motivation américaine à aider l’Ukraine à défendre son territoire et la volonté d’appartenance de l’Ukraine au camp occidental. Les analyses publiées en Europe fin 2021 et début 2022 juste, avant le conflit, convergent sur un point : l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, mise en avant par l’administration américaine, était une posture théorique pour ouvrir des négociations avec les Russes, qui en contrepartie brandissaient la menace d’une invasion. Voir : https://www.lejdd.fr/International/... Or la suite a prouvé que non, les Etats-Unis, certain de leur avantage économique et militaire, était décidé à imposer sa domination stratégique dans toute l’Europe de l’Est. Nostalgique d’un passé glorieux, rassurée par le précédent de la Crimée et dirigée par Poutine, qui ne rêve que de s’inscrire dans la lignée des tsars, la Russie n’a pas accepté ce qu’elle considère comme une humiliation et a mis sa menace à exécution.
L’option choisie est évidemment catastrophique pour l’économie russe et pour son armée qui a accumulé un retard technologique important. De plus, même si le pouvoir Russe présente cette invasion comme une guerre de défense des populations russophones, le peuple russe n’est pas très motivé pour se battre comme un peuple qui lui est proche. Option lourde de conséquences pour l’Europe qui avait conclu beaucoup d’accords commerciaux avec la Russie et qui avait fait de ce pays un fournisseur d’énergie important. Assez neutre pour la Chine qui soutient mollement la Russie en espérant ne pas aller trop vite dans une confrontation directe avec l’hyperpuissance américaine. À court terme les Etats-Unis financent à perte l’armée ukrainienne, mais ils n’ont aucun problème énergétique en vue et une économie qui ne souffre pas vraiment des sanctions. Cette guerre, qui va affaiblir durablement la Russie et entériner la fragmentation en cours du commerce mondial en deux blocs antagonistes, semble pour les américains s’inscrire dans une logique morale et économique totalement inéluctable. Par contre l’Europe, essentiellement zone de libre-échange économique, a montré son incapacité à jouer un rôle de premier plan dans cette crise.
L’objectif, déjà atteint, de contrôler la mer d’Azov et de faire un lien terrestre entre le Donbass et la Crimée reste le point essentiel pour l’armée russe. Paradoxalement, la Russie qui aux yeux du monde entier était en position offensive essaye de se présenter comme une armée de défense d’un territoire russophone qu’elle a intégré dans la nation russe. Depuis la guerre du Vietnam il semble quasi impossible à une puissance extérieure de s’imposer durablement loin de ses bases territoriales. La récente déroute occidentale en Afghanistan et de ce point de vue très riche d’enseignement. Un armement sophistiqué et les droits de l’homme comme justification n’ont pas permis de vaincre des talibans armés de kalachnikovs et du Coran. La position défensive a été lors de l’invasion un avantage certain pour les ukrainiens, qui font légitimement tout pour mettre en avant leur statut de nation agressée. La stratégie actuelle des russes de bombarder des infrastructures énergétiques et économiques ukrainiennes est dans ce sens incohérente, ce que les faucons du régime ne manquent d’ailleurs pas de critiquer. On peut parier que pendant l’hiver le conflit va s’enliser et que les russes vont se contenter d’inscrire dans le temps long une occupation territoriale de la partie laborieusement conquise. La Russie, pour limiter le choc des sanctions, pourra compter sur la neutralité ou l’indifférence de nombreux pays qui ne veulent pas que cette guerre n’évolue en une guerre froide entre l’Occident et le tandem Russe-Chine.
Guerre d’usure que les experts militaires de l’OTAN, malgré les déclarations enthousiastes de Zelenski sur la combativité de ses troupes, annoncent difficile, voire impossible à gagner. Le but des américains n’est pas forcément de gagner la guerre, mais d’affaiblir durablement la Russie et d’affirmer son leadership sur le monde occidental avant d’affronter le grand rival chinois. Pour la Russie l’affaiblissement économique et le nombre impressionnant de soldats russes tués au combat est le prix à payer pour agrandir son territoire et espérer retrouver une dynamique de grande puissance mondiale. Si à court terme cette guerre semble stupide, les objectifs de guerre à moyens termes sont critiquables mais correspondent bien au retour en force de l’idéologie nationaliste au détriment de l’utopie d’une mondialisation heureuse engendrée par la globalisation des échanges marchands. Le seul espoir réaliste pour finir cette guerre, mais assez improbable, serait la mise au placard de Poutine par un mouvement populaire inspirée par un idéal démocratique.
Par contre sur le long terme cette guerre, si elle dure, ne fera qu’accélérer la décadence de notre civilisation. Alors que l’humanité est dans une impasse environnementale est-ce le moment de réactiver les vieux démons nationalistes et impérialistes. La montée un peu partout dans le monde du populisme, de la xénophobie, du conservatisme le plus réactionnaire accompagne la fin de l’illusion d’une mondialisation productiviste et marchande qui amènerait le bonheur pour tous. Cette guerre a provoqué un important flux migratoire d’Ukrainiens et surtout d’ukrainiennes vers le reste de l’Europe. Immigration très bien vue par les français, même si l’administration française est restée toujours aussi ubuesque dans le traitement des dossiers administratifs. Bon réflexe, mais qui pose question lorsque dans le même temps l’Europe rechigne à laisser accéder à quai les bateaux qui recueillent les migrants en perdition dans la mer Méditerranée. Ne sommes-nous pas en train de faire de plus en plus une hiérarchie implicite des humains en fonction de leurs origines. Le néolibéralisme ambiant, qui au nom de l’efficacité, injecte de l’étatisme et du nationalisme dans les démocraties libérales, accompagne la fin de l’utopie humaniste. Le peu d’avancée dans la récente COP27 en Égypte et l’inutilité de la dernière rencontre du G20 en Indonésie montrent bien que le péril climatique et la nécessaire solidarité pèse bien moins que la concurrence économique et la volonté de domination.
Complément
Le point de vue d’un politologue américain