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  Un malaise endémique

dimanche 13 novembre 2022, par Stuart Walker

Quelles que soient leurs bonnes intentions, les Ministres de l’Éducation semblent être condamnés à attirer une pluie de critiques. Même Lionel Jospin, qui avait le plus grand budget de l’État, n’y a pas échappé. On disait qu’il arrosait le sable. Par la suite Claude Allègre s’est attiré des foudres en parlant du « Mammouth » et en se dressant contre le pouvoir, qu’il considérait comme excessif, des syndicats des enseignants.

La situation a pu changer depuis, mais dans les années 60 un professeur anglais considérait qu’il était normal de surveiller la cour à l’ouverture, à midi et à la fin de la journée, de remplacer un collègue absent ou d’assumer l’animation d’une activité extra-scolaire. Il n’existait pas une couche supérieure qui n’assurerait que 15 heures par semaine. Les locaux des écoles étaient mis à la disposition d’associations pendant les congés.

Est-ce qu’on s’achemine vers une guerre de l’école de plus ? L’enseignement n’est pas le seul métier avec de nombreux salariés qui estiment que leur travail n’a pas de sens, et en conséquence éprouve des difficultés de recrutement. Mais il se distingue par son taux d’absentéisme, voire de dépressions nerveuses.

On n’est cependant pas devant une impasse. Jean-Michel Blanquer était un des rares ministres de l’Éducation Nationale qui a exercé sa fonction pendant un mandat entier. Entre autres, il a réussi à maintenir un minimum de scolarité pendant le confinement pour limiter le risque de décrochage.

En dédoublant les classes dans un certain nombre d’écoles dans les quartiers défavorisés, il s’est adressé à un défi fondamental. L’illettrisme est une voie rapide vers la délinquance, et crée une vulnérabilité aux solutions simplistes. La promotion de méthodes basées sur les découvertes de la neuroscience a été très contestée, mais elle avait comme objectif d’améliorer l’égalité des chances. Les découvertes de cette branche scientifique ont au moins confirmé que la période ou les synapses étaient les plus actives était la petite enfance. Un pédagogue était même allé jusqu’à dire que tout se joue avant 6 ans.

Un des problèmes majeurs est l’incivilité de certains élèves. Une ou deux têtes de turc » peuvent détruire l’ambiance d’une classe. La meilleure solution, et la plus chère, serait celle d’un accompagnement individuel, préconisé par le linguiste Alain Bentolila, sur le principe que les mauvais comportements sont souvent la conséquence d’une situation familiale chaotique. A l’opposé Jean-Pierre Chevènement était pour l’exclusion des « énergumènes » et leur placement dans des établissements spécialisés.

Une démarche positive serait une formation moins théorique des enseignants, avec des stages pratiques dans des conditions réelles. Il reste un peu vrai que « Ceux qui savent faire, font ; ceux qui ne savent pas faire, enseignent, et ceux qui ne savent pas enseigner, enseignent l’enseignement ». Il existe un excellent livre par le professeur formateur Jean-Claude Richoz : « Gestion de classes et d’élèves difficiles »

Comme son prédécesseur, Pap Ndiaye est sorti du milieu éducatif. Son projet semble à la fois pertinent et pragmatique. Il a proposé un petit milliard pour l’augmentation des salaires, notamment en début de carrière, et pour des nouvelles missions telles que le tutorat, ou les activités socio-culturelles Les expérimentations conduites à Marseille seront prises en compte. Elles étaient en partie inspirées par le modèle anglo-saxon, et avaient comme objectif d’inverser la pyramide de décision, et donnaient lieu à une organisation plus souple du plan de cours.

On sait que la capacité moyenne de concentration de l’adulte est d’une dizaine de minutes. Elle doit être encore moins pour les enfants adeptes des écrans. Ce qui amène l’utilité de sous-groupes, de changements d’activité ou des pauses intercalées entre de courtes périodes de travail.

De très grands efforts ont été faits pour l’apprentissage et la formation continue. Mais on n’a pas encore réparé l’ascenseur social qui, dans beaucoup de cas, reste en panne au rez-de-chaussée. Quel enfant de quartier peut espérer devenir membre du Conseil d’État ?

Depuis longtemps on a contesté l’éducation populaire au sens large par l’argument « more means worse » (le niveau global atteint serait inversement proportionnel au nombre de personnes éduquées) La perte de quelques points sur l’échelle Pisa est peut-être le prix à payer pour une méritocratie qui mérite son nom.

L’ENA a changé de nom, mais la représentativité d’étudiants d’origine modeste dans les établissements les plus réputés est en diminution. Il y a quelques mois Valérie Pécresse avait proposé l’objectif de 30%, mais a dû l’abandonner depuis. La création de passerelles pour l’accès à Sciences Po, par Richard Descoings, ne semble pas avoir fait tache d’huile. La proposition de l’Institut Montaigne d’inciter les plus diplômés à consacrer quelques années à l’enseignement dans les quartiers n’a pas été suivie dans les faits. Il serait possible d’imaginer que des grandes entreprises, sous certaines conditions, puissent accorder des bourses en contrepartie d’un engagement de travailler pour elles pendant quelques années.Sans mesures de ce type le haut de l’échelle continuera à être monopolisé par un en-soi élitiste.

L’équipe de Pap Ndiaye ne fera pas de miracles. D’autres secteurs de l’économie sont aussi demandeurs d’investissements importants : l’Ecologie pour la décarbonisation, l’isolation des passoires thermiques, la dette écologique, la défense militaire et cyber, la Santé pour les hôpitaux, le désert médical, le 4è âge… Une pleine satisfaction ne pourra être accordée à chacun, surtout à une époque où l’inflation et l’endettement risquent de devenir critiques.

Il y a eu une pléthore de théories de l’éducation, de Socrate à Marie Montessori. Si la nouvelle équipe peut en retirer quelques-unes des meilleures notions et les adapter au contexte actuel, elle pourra remonter le moral des troupes. L’enjeu est l’efficacité d’un des socles d’une société ou la lumière compte plus que le bruit.