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  Pourquoi avons-nous arrêté d’investir dans l’éducation ?

lundi 7 novembre 2022, par François Saint Pierre

L’éducation est un investissement très rentable pour l’économie, pour le fonctionnement harmonieux de la société et pour la qualité de vie de tout un chacun. Cela est démontré par de très nombreuses études scientifiques. Certaines études mettent en avant les aspects économiques, en pointant notamment la capacité de développer une recherche de haut niveau qui s’appuie sur une formation initiale solide. D’autres études montrent que l’éducation est aussi un investissement très rentable par ses effets indirects sur la santé, la culture, la réduction des inégalités et plus généralement sur le bon fonctionnement de la société. Si après la fin de la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 80 un énorme effort a été fait en France pour améliorer et démocratiser le système éducatif, depuis trois décennies environ, on a l’impression que les pouvoirs successifs considèrent que l’éducation n’est plus un enjeu prioritaire.

Constat impressionniste car investir dans l’éducation ne peut se mesurer uniquement à l’évolution du budget de l’Éducation Nationale. Pour autant beaucoup d’indicateurs montrent, en valeur relative, que l’État et les collectivités locales se sont contentés depuis longtemps d’assurer le service minimum. La France ne consacre que 8,8% de ses dépenses publiques totales à l’éducation, alors que la moyenne des pays de l’OCDE est de 11,6% . Si maintenant ce sont les patrons qui viennent dans les médias mettre en avant l’inadéquation de notre système de formation avec les besoins d’une société moderne, les sociologues ont depuis longtemps signalé le risque social engendré par l’échec éducatif dans ce que l’on nomme les quartiers. De même les professionnels des sciences de l’éducation ont aussi mis en avant l’impréparation de notre jeunesse à l’usage du numérique et des écrans. Non seulement l’éducation est un investissement très rentable pour l’économie, mais le sous-investissement peut avoir des effets négatifs considérables.

On peut aussi penser que non seulement nous n’avons pas assez investi financièrement, mais qu’en plus nous n’avons pas fait les bons choix. Pourquoi des pays comme la Finlande, le Danemark ou la Corée du Sud réussissent à instruire efficacement leur jeunesse tout en préservant l’égalité des chances de tous, alors qu’en France nous reculons d’année en année dans les classements internationaux. La France qui a pendant longtemps était à la pointe de la recherche mathématiques se retrouve dans cette discipline, pour l’enseignement, dernière des classements européens. L’école française n’est plus capable d’être un moteur de l’égalité des chances, condition nécessaire à son rôle d’apprentissage de la citoyenneté. Si pour les catégories sociales aisées, l’école reste un bon investissement pour réussir sa vie, ce n’est plus le cas des classes populaires. Jérôme Fourquet a montré que le pourcentage d’élèves issus de milieux modestes dans les grandes écoles n’a fait que baisser depuis les années 1950 et aujourd’hui on ne trouve que 9% d’étudiants d’origine modeste dans ces écoles et encore moins dans les écoles les plus prestigieuses alors que leur proportion est de 36% dans la population générale. Pendant ces années ont a eu une massification importante de l’enseignement, mais pas une réelle démocratisation., malgré quelques opérations spectaculaires comme le recrutement sur dossier à l’Institut d’études politiques de Paris de jeunes issus des quartiers populaires.

Ce non investissement dans les enjeux éducatifs n’est peut-être pas que la conséquence d’une erreur d’analyse économique. On pourrait aussi s’interroger sur la place que notre société a donné aux savoirs, à l’acquisition de compétences et aux valeurs qui permettent de vivre ensemble. La réussite individuelle apparaît de plus en plus découplée de tous les processus éducatifs. Une vie réussie se mesure trop à l’argent gagné, au nombre de vues sur Youtube ou au nombre de followers sur les réseaux sociaux. L’éducation a une composante collective qui a peut-être était sous-estimée en raison de l’individualisme ambiant et d’un optimisme exagéré sur l’avenir de notre société. Éduquer demande de la bienveillance, mais aussi la capacité à poser des limites et des repères, notre société socialement éclatée n’est pas consensuelle sur ces enjeux de fonds, laissant les parents, les enseignants et tous les éducateurs se débrouiller chacun dans leur coin.

Les flottements actuels sur le sens qu’il faut donner au concept de laïcité dans l’éducation en sont un exemple. Neutralité dans l’espace public pour certains, mais laïcité de combat pour ceux qui ne supportent pas les musulmans, pour des raisons de xénophobie pour certains, pour lutter contre le patriarcat défendu par l’Islam pour d’autres. On pourrait aussi penser que l’objectif de la laïcité est de construire l’inclusion et l’intégration préalables indispensables à la citoyenneté.

En cette période de crises successives, notre société ne sait plus trop vers où elle va, moment idéal pour se questionner sur nos valeurs et nos comportements. Préparer la jeunesse à affronter cet avenir incertain, individuellement mais aussi collectivement, nécessite de réinvestir fortement dans toutes les dimensions du processus éducatif.