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  Éducation : Internet,la guerre scolaire et l’archipel français

jeudi 10 novembre 2022, par Joseph Saint Pierre

Internet

Il y a de nombreuses critiques concernant le réseau Internet et de nombreuses de ces critiques concernent l’éducation. Dans certaines de ces critiques Internet est souvent réduit à ce que l’on nomme les réseaux sociaux.

Voici un article avec un lien explicite. Il s’agit d’un site concernant les grandes écoles, implicitement en France et le titre met ensemble Internet et les réseaux sociaux. Il y a une supposition comme quoi l’utilisation des écrans pose un défi à l’esprit critique.

https://www.mondedesgrandesecoles.f...

La lecture sur un écran devrait rendre plus difficile l’esprit critique que la lecture sur papier. Internet a souvent été considéré comme très rapide et devant favoriser une communication simplifiée, similaire à celles de ce que l’on nomme des SMS. Cela est contraire à l’usage premier du réseau Internet dans les milieux académiques, universitaires. Cela est particulièrement net en France ou a existé le Minitel est où est resté plus longtemps réservé à des usages universitaires, essentiellement professionnels. Le passage au grand public a été plus tardif que dans la plupart des autres pays européens. Dans les critiques concernant Internet on peut trouver des ressemblances avec des médias audiovisuels plus anciens comme la radio ou la télévision. Il y a eu de l’utilisation de la radio pour de l’éducation et il existe encore des cours du Collège de France sur France-Culture, assez tôt le matin. Il y a une différence essentielle, l’utilisation d’Internet permet beaucoup plus facilement la production d’information par beaucoup plus de monde. Il est assez difficile d’intervenir sur les médias traditionnels, même s’ il existe des rubriques avec les courriers des lecteurs dans certains journaux ou des possibilités de téléphoner avec passage à l’antenne sur certaines radios. À l’intérieur des systèmes éducatifs il y a des variations. En français on a longtemps employé le terme d’instruction scolaire, c’est en 1932 que le ministère de l’instruction publique est devenu le ministère de l’éducation nationale. Cela correspond sans doute à une évolution de la conception du rôle de l’école. Un des changements essentiels liés à Internet est la dimension internationale, même si on utilise une seule langue comme la langue française il est possible d’accéder à des informations concernant l’éducation dans tous les pays où zones francophones. Il est aussi bien sûr plus facile d’avoir accès à des savoirs éducatifs extérieurs à l’établissement de scolarisation. Cela était possible, à un niveau moindre, par l’accès à des bibliothèques, des librairies etc. L’éducation scolaire n’a jamais pu être complètement séparée du reste du monde malgré les murs de l’établissement, des classes. Mais Internet permet une très forte augmentation de la connaissance de l’extérieur. Le système éducatif français est particulier avec sa centralisation et sa structure hiérarchique, cela est plutôt en opposition avec le réseau Internet qui est fondé sur une structure décentralisée. Cela peut modifier la perception géographique, la totalité des communes de France sont présentes sur Internet et en particulier sur Wikipedia et de nombreux lieux-dits, des rues, des ruisseaux.

Il semble bien qu’ Internet peut servir pour l’éducation malgré certaines critiques. Cela peut se faire à condition que les utilisateurs de Internet soient motivés pour maintenir une volonté de transmettre et d’apprendre et pour refuser d’être des consommateurs moutonniers et passifs. Depuis le début de la pandémie de Covid-19 il y a eu une forte augmentation de l’utilisation d’Internet à des fins éducatives, cela peut servir d’expérience pour continuer à garder et même renforcer les usages éducatifs d’Internet.

La guerre scolaire et l’archipel français

En France comme dans d’autres pays, l’éducation a longtemps été liée à la religion. Jusqu’à la Révolution le pouvoir royal était absolu et fortement lié au clergé catholique et l’éducation dans le royaume de France ne pouvait échapper à l’autorité de la noblesse et du clergé. Ce que l’on nomme la guerre scolaire a commencé en France avec la Révolution, et a connu de nombreux épisodes, avec les lois Falloux en 1850, les lois Jules Ferry en 1881-1882 etc..., le dernier épisode date de 1982-1984 avec le projet de loi Savary. Cette guerre scolaire semble moins présente en 2022. Une des explications possibles est la baisse de la pratique religieuse, de l’appartenance religieuse, des partis politiques traditionnels liés à la religion comme la démocratie chrétienne. Une autre explication peut venir de ce que Jérôme Fourquet a appelé l’archipel français. Dans cet archipel, chaque groupe vit sans se soucier des autres. Une hypothèse pouvant expliquer la crise de l’éducation nationale française ne serait pas liée au système scolaire mais à une structure de la population en archipel. Ce phénomène a des origines anciennes qui ont été souvent niées. Il y a depuis longtemps des différences fortes entre les quartiers. Les établissements scolaires qui se trouvent dans des quartiers anciens et riches en équipements culturels, bibliothèques, musées sont souvent privilégiés. Le quartier le plus connu en France, de ce point de vue, se nomme le quartier latin de Paris, où se trouvent pas très loin deux lycées portant des noms de rois de France, Henri IV et Louis Le Grand (Louis XIV), mais aussi des bibliothèques, des librairies et d’autres institutions culturelles comme le Collège de France...

Le malaise de l’éducation en France pourrait être un abandon d’une forme de volonté d’égalité par l’école pour tout le monde jusqu’à 16 ans et même programme, comme le collège unique. Le sociologue Pierre Bourdieu a beaucoup étudié comme dans ses livres "Les héritiers" et "La Reproduction" comment le système éducatif français égalitaire ne pouvait empêcher les stratégies des élites sociales pour favoriser leurs enfants par les choix d’options dans le système éducatif comme les langues étrangères et en dehors par un meilleur encadrement, des pratiques culturelles ayant un lien avec l’éducation scolaire, comme la lecture, ou le théâtre, le choix des programmes de télévision ou de radio etc. Il est possible que l’augmentation de l’offre culturelle renforce les inégalités, en favorisant les catégories de population ayant plus facilement accès à la culture par la proximité et par les moyens financiers. La crise du système éducatif français pourrait être vue comme une crise plus profonde avec l’abandon de la volonté affichée de l’égalité, sachant que l’éducation pour tout le monde a été pensée pour aider à un accès à l’égalité.

Les systèmes d’éducation ne peuvent pas vraiment se penser comme isolés à travers le monde. La globalisation concerne aussi les systèmes éducatifs. Cela concerne aussi des ensembles de pays comme l’Union Européenne. Il y a de nombreuses comparaisons sur les divers systèmes éducatifs comme le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA). Au niveau de l’enseignement supérieur, les échanges ont beaucoup augmenté avec des programmes de mobilité comme Erasmus. Il y aussi beaucoup de séjours à l’étranger avec un but éducatif et pas seulement pour apprendre des langues étrangères. L’ouverture vers le reste du monde et plus particulièrement des pays voisins a vraisemblablement eu un effet sur les systèmes d’éducation. Le système éducatif français qui a certaines caractéristiques, notamment sa centralisation forte, peut avoir une évolution vers une plus forte autonomie des établissements, plus d’activités sportives, par exemple. Le système éducatif français a donné une part de la responsabilité aux collectivités territoriales, régions, départements et communes dans l’organisation de certains aspects. Cela peut donner des différences dans le système éducatif car toutes les collectivités n’ont pas les mêmes moyens ni les mêmes ambitions pour l’éducation. Même si l’autonomie et la décentralisation ne sont pas très importantes dans le système éducatif, elles vont dans le sens d’une évolution en archipel, avec des territoires qui accordent une grande importance à l’éducation et d’autres territoires qui privilégient d’autres secteurs...

Même les activités comme les Cafés de discussion, philosophie, géographie etc, et même le Café Politique peuvent contribuer à différencier les territoires. C’est sans doute le cas d’un Café dont le sujet est "Malaise dans l’éducation", un endroit où se pose des questions sur l’éducation est sûrement mieux placé qu’un endroit où se pose des questions éloignées de l’éducation ou pire pas de questions du tout... Se poser des questions sur l’éducation et surtout tenter d’y répondre peut ressembler à une activité scolaire comme une dissertation.

Culture et territoires

Il est juste de ne pas réduire l’éducation aux seules institutions scolaires. La notion de culture est très vaste, il en est de même pour les institutions culturelles. Un des savoirs fondamentaux est la lecture qui est considérée comme nécessaire pour lire des textes qui sont géographiques, historiques, mathématiques, littéraires etc. Mais la lecture est aussi essentielle dans une démocratie avec un suffrage universel, la lecture des bulletins de vote mais aussi et surtout des programmes. La liaison entre démocratie et élévation du niveau éducatif est souvent observée. En France c’est avec la troisième république qu’il y a eu une forte volonté de rendre l’école obligatoire pour les enfants. Mais la volonté d’avoir une nation éduquée ne s’est pas limitée à la seule école. Avec des différences entre les régions, les pays. Pour la lecture, il y a eu un rôle essentiel des bibliothèques publiques dans la généralisation de l’accès aux livres. La généralisation de l’éducation a souvent contribué à la création de livres spécifiques, les livres scolaires. La librairie Privat de Toulouse a débuté vers 1840 en vendant des livres scolaires, mais s’est diversifiée. Le dix-neuvième siècle a aussi vu beaucoup plus de lieux ayant une valeur éducative comme les musées et même les jardins publics avec des animaux et des plantes exotiques. Il y a eu une volonté de rendre les savoirs accessibles au plus grand nombre. Mais il y a sans doute des injustices territoriales avec des zones avec une forte scolarisation, des bibliothèques, des librairies, des musées etc. et d’autres loin de ces lieux. Maintenant on peut voir aussi l’effet des Cafés de discussion, philosophie, histoire, géographie, politique...En janvier 2005 j’ai assisté à un Café des Sciences et de la Société sur la désaffection des études scientifiques, quelques jours après j’ai écrit des commentaires sur le sujet et près de 18 ans après je pense que ce que j’ai écrit à l’époque correspond à mon point de vue actuel. Voici le lien où l’on peut trouver ces commentaires http://www.mapdata.science/es.html

Une des critiques que j’ai émises concerne la séparation spatiale avec campus rassemblant beaucoup de personnes venant pour étudier, enseigner, chercher et éventuellement manger et dormir... Cela conduit à des concentrations de personnes liées à l’enseignement et à la recherche sans trop de liens avec les environs. Le campus de la faculté des sciences de Toulouse se trouve juste en face du lycée Bellevue, où se trouvent des jeunes qui font partie du monde universitaire étant après le baccalauréat et mangeant dans les restaurants universitaires... La zone est entourée d’écoles d’ingénieurs, de centres de recherche, d’un centre hospitalier universitaire. Depuis peu il y a un téléphérique qui permet d’aller du campus de la faculté des sciences, lycée Bellevue vers le centre hospitalier universitaire de Rangueil, où se trouvent des universitaires, professeurs, étudiants en médecine et puis vers l’Oncopole qui fait partie du monde hospitalier universitaire de Toulouse. Une des raisons essentielles du malaise dans l’éducation pourrait venir du zonage du territoire avec des zones où il y a énormément de personnes qui ont des bons parcours scolaires qui se retrouvent dans les mêmes quartiers ou même communes de banlieue comme Ramonville-Saint-Agne et avec leurs enfants qui se retrouvent dans les mêmes classes. Une des raisons du malaise dan l’éducation pourrait venir du zonage social des quartiers, des banlieues. Cela semble avoir été compris par les autorités politiques chargées de l’éducation en scolarisant des élèves en dehors de leur quartier et donc contre les règles de la carte scolaire.Voici un lien pour présenter comment le conseil départemental de la Haute-Garonne veut favoriser la mixité sociale dans les collèges du département. https://www.haute-garonne.fr/servic...

Ces principes ne sont pas respectés par les collèges privés.L’égalité est une valeur fondamentale de la République Française et l’éducation pour tout le monde a été un moyen pour arriver à une égalité des chances. Mais cela est très difficile à atteindre. Comprendre les inégalités liées aux territoires est une bonne chose mais arriver à les combattre sera sans doute plus long...