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  Climat : les sceptiques, les catastrophistes et les "après moi le déluge".

vendredi 27 novembre 2009, par François Saint Pierre

Les puissants de la planète, s’appuyant sur les travaux des scientifiques du GIEC, après quelques mois de négociations préparées par les habituels sherpas de la diplomatie, vont décider à Copenhague, dans un show mis en scène par les médias, d’une stratégie globale pour contenir le réchauffement climatique à 2°C. Cette négociation, malgré les difficultés et les retards, est le symptôme d’une prise de conscience qu’il existe une solidarité mondiale et qu’il est nécessaire d’avoir une gouvernance efficace sur les grandes questions environnementales. Il est certain que la défense légitime, mais excessive, des intérêts de chaque pays conduira soit au report de l’accord, soit à un compromis minimal qui, aux yeux de la majorité des experts du climat ne sera pas totalement satisfaisant pour répondre aux objectifs.

Les politiques donnent l’impression d’être d’accord sur le fond et de négocier sur la répartition des efforts, chacun préférant demander les efforts aux autres. Les opinions publiques sont par contre profondément divisées sur le fond. S’il y a encore dix ans le réchauffement climatique était un sujet de spécialistes, maintenant tout le monde a un avis.

Les "après-moi le déluge" ne sont pas exceptionnels mais ils se font discrets. Ils profitent sans remords de leur 4x4, et des autres avantages qu’offre encore aux privilégiés la société de consommation. Pour se donner une bonne conscience, ils affirment que la science et la technique nous sauveront une fois de plus de ce mauvais pas que traverse l’humanité. L’avenir contenant toujours une part d’incertitude, il est compliqué de démonter leur acte de foi scientiste. La finitude de la planète ne leur pose pas de problèmes, tout au plus ils aimeraient que la Chine ralentisse sa croissance et sa production de gaz à effets de serre, pour nous laisser un peu de temps pour construire des centrales nucléaires.

Les climato-sceptiques ont en ce moment le vent en poupe. Méfiants par rapport à l’unanimisme de la classe politique ils flairent la manipulation d’opinion. Dans le débat sur la taxe carbone ils ont opposé la question climatique à la question sociale. La croissance verte est vue comme l’espoir de renouveau du capitalisme en crise et la taxe comme un impôt supplémentaire qui va toucher de plein fouet les petits qui ne pourront pas se payer les voitures électriques et les panneaux solaires. Les plus acharnés débusquent dans l’unanimisme des experts du GIEC les moindres doutes et les plus petites ambiguïtés. Très minoritaires parmi les scientifiques, ils ne se préoccupent pas de justifier des modèles alternatifs mais se contentent de mettre en avant les faiblesses du travail des climatologues.

Les médias qui ont la culture du débat vont chercher les quelques rares scientifiques qui sont sceptiques pour assurer le spectacle. Le succès populaire de la position sceptique finit par affaiblir leur propre démonstration... en fait ils sont plus nombreux que ne le laisserait croire la théorie du complot qu’ils défendent. Pour autant force est de constater que si les climatologues usent de modèles mathématiques qui s’appuient sur des connaissances physiques très pointues le nombre d’interactions possibles dans l’évolution du climat est tel qu’il est impossible de parler de certitude. Une part de doute n’est donc pas illégitime.

Si on ne croit absolument pas à l’efficacité des mesures proposées, car on pense que le réchauffement n’est pas avéré ou qu’il n’est pas lié à l’activité humaine, il est normal de ne pas se lancer trop vite dans des investissements économiques importants. Par contre, point n’est besoin d’invoquer le principe de précaution pour essayer d’éviter une situation fort embarrassante pour les générations futures, un léger doute suffit. Ne pas avoir ce petit doute c’est avoir une vision complètement paranoïaque de la société et il me semble impossible de croire que tous ces scientifiques nous trompent.

Une partie de la gauche est modérément sceptique, pensant que le problème climatique n’est pas une urgence politique. La gauche n’a que peu participé à la réflexion sur l’environnement même si elle a toujours pensé que les écologistes devaient être des alliés politiques. Comme dans les années 70, où la gauche avait des difficultés face à la montée du féminisme qui ne rentrait pas dans le cadre de l’analyse marxiste, elle se retrouve un peu à la traîne. Plutôt que de rattraper rapidement son retard, la gauche française essaye de marginaliser le problème laissant un boulevard aux partis de droite et du centre, qui en profitent pour masquer les contradictions entre le productivisme néolibéral et l’environnement. Ce qui semble paradoxal quand on sait qu’au niveau mondial c’est plutôt la droite qui refuse de croire à la réalité du réchauffement trouvant là un argument supplémentaire pour continuer par ces temps de crise le "business as usual". ("Selon un sondage publié ce mercredi par le Washington Post, le pourcentage des Américains qui croient à la réalité du changement climatique est tombé en un an de 80 % à 72 %. Ce recul est dû aux Républicains qui ne sont plus que 54 % à accepter que l’activité humaine est à la source du réchauffement." Le Monde du 26/11/2009)

Le prophète de malheur peut réveiller les consciences et il faut savoir écouter Cassandre (que les troyens ne croyait jamais, pourtant elle avait toujours raison). Mais quand il y a trop de catastrophistes, c’est le moral qui en prend un coup. Notre humanité n’est-elle pas en train de devenir défaitiste ? Après quelques siècles de réussites, le choc avec les limites bien réelles de notre planète fait mal. L’inertie du système climatique fait que les efforts d’aujourd’hui mettront plus de vingt ans pour laisser des traces tangibles. Quand on ajoute à cela la longue litanie des problèmes qui nous guettent : l’eau, l’érosion des sols, le manque d’énergie propre, la perte de biodiversité, etc... le catastrophisme a tendance à virer au défaitisme. Le "catastrophiste éclairé", comme l’analyse Jean-Pierre Dupuy, fait comme si la catastrophe était certaine pour mieux l’éviter, il puise dans sa conscience du risque l’énergie pour y échapper. Cette position est assez minoritaire, beaucoup de catastrophistes sont ambigus, comme s’ils attendaient de ces grandes difficultés l’occasion de refonder notre modèle social. Après les espérances déçues d’un grand soir déclenché par les luttes sociales on voit pointer l’émergence d’une nouvelle utopie, celle d’une société basé sur une plus grande solidarité humaine face à une nature fondamentalement rétive aux délires de toute puissance de l’humanité.

La position "raisonnable" qui consiste à éviter la catastrophe, en essayant de garder les acquis du progrès technique et de profiter de la crise actuelle pour améliorer la gouvernance mondiale et la justice sociale, est celle défendue sur un mode mineur par les élites mondiales. Mais le peuple ne semble pas très motivé à suivre cette voie. La disqualification de ces élites mondialisées qui n’ont pas respecté le principe d’égalité explique certainement en bonne partie la réticence à soutenir cette stratégie, qui est pourtant relayée par les médias du monde entier. L’inquiétude face à la technoscience, qui nous coupe de plus en plus du rapport direct avec la nature est aussi un facteur de compréhension. Le productivisme nous a apporté du confort et de multiples avantages notamment du côté de la santé et de l’espérance de vie. A l’heure de l’impasse environnementale difficile de croire à la capacité des dirigeants à renoncer à l’idéologie qui sous tend l’économie mondiale : la croissance infinie du profit. Si le scepticisme sur la réalité et les causes du changement climatique ne me paraît pas très fondé, celui sur la volonté affichée par les puissants de sauver la planète me paraît beaucoup plus justifié. C’est pour cela qu’il faut, à travers les partis politiques, les associations ou les actions individuelles, faire en sorte que les décisions prises soient à la fois efficaces sur le plan environnemental mais aussi socialement juste.