Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
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  Rhétorique,tsunamis et OGM

mardi 18 janvier 2005, par François Saint Pierre

Le refus total de participation à la vie politique est assez exceptionnel, la démocratie n’incite ni à l’indifférence ni à l’opposition radicale. Le standard moyen, c’est un peu d’information au jour le jour, la lecture occasionnelle de quelques analyses et pendant les campagnes électorales un petit intérêt supplémentaire qui se termine par un vote et une soirée électorale. Le zèle, c’est de cotiser dans un parti, ce qui donne le droit de choisir les candidats aux élections et d’assister à quelques réunions. Pour les médias, le peuple des travailleurs n’est plus considéré comme le peuple de la démocratie, l’activité syndicale est donc de moins en moins considérée comme étant dans le champ de la politique. L’organisation d’élections finit par être le seul critère pris en compte dans le discours ambiant pour définir la démocratie. Cette définition formelle minimale, grâce à son aspect incontestable, devient de plus en plus la figure de proue de l’idéologie de notre "Occident" conquérant.

La démocratie comporte toujours une part de représentation, il faut choisir des citoyens pour participer au jour le jour aux prises de responsabilités collectives. La démocratie est entre autre un processus d’émergence des élites qui se base sur un principe d’égalité en droit, toute référence à la transcendance ou à la force est donc exclue. Tous les citoyens peuvent par leur travail et leur mérite accéder aux responsabilités, soit par le principe de liste d’aptitude et tirage au sort (cf. les jurés de cours d’assise), soit par élection (qui peut varier entre le suffrage universel et le choix par un jury en fonction des compétences). Dans les élections "politiques" classiques, le candidat doit s’imposer par sa force de conviction (qui se devait dans les premiers temps de la démocratie de rester rationnelle et non démagogique.) Les qualités personnelles permettent à des individus d’émerger localement, dans notre société moderne la démarche classique est de s’imposer d’abord dans un grand parti. Le futur candidat doit ensuite s’entourer d’une équipe et avoir une stratégie de compromis entre les principaux courants idéologiques qui peuvent le porter au pouvoir…. Aux États-Unis, où le processus est plus engagé, ce sont des think tanks, groupements d’experts et de chercheurs, qui construisent un discours idéologique capable de séduire une bonne partie de l’électorat. La question : "comment convaincre le peuple", est posée dès le départ, il est donc très difficile de démonter un catalogue de bonnes intentions construit pour faire plaisir à l’électeur moyen. Le militant du parti n’a plus qu’à choisir la meilleure écurie, télévision et publicité feront le reste pour convaincre l’électeur.

Face à cette "machinerie" politique qui favorise les lobbies, la première action politique est le combat rhétorique. Il faut des citoyens informés et capables d’analyser plus ou moins la complexité du monde. Toute activité, seul ou en groupe, qui contribue à faire réfléchir sur les questions de société joue un rôle politique. Les petits partis qui ne peuvent avoir que peu d’élus participent à travers leurs militants à la réflexion théorique. On peut cependant regretter la faible participation de leurs militants aux débats ouverts et aux instances démocratiques de bas niveau (comités consultatifs, comités de quartier, associations diverses, réunions publiques, etc.), comme si le vieux modèle révolutionnaire d’une élite qui devait dans son coin se préparer à guider les foules était resté dans l’inconscient politique français. Plus près du modèle de la démocratie participative, beaucoup d’associations, de manière plus ou moins structurée mais efficace, participent à la réflexion et aux multiples débats qui agitent notre société.

Si la force de conviction qui s’appuie sur une bonne information et des analyses pertinentes est la première arme politique, encore faut-il trouver des endroits pour la laisser se déployer. Internet a permis au citoyen lambda de s’exprimer sur tout et n’importe quoi ; forum, liste de distribution, weblogs sont autant de moyens qui permettent de ne pas laisser le monopole de la parole et de l’écriture aux médias. Heureusement car ceux-ci en se professionnalisant sous les contraintes économiques sont de plus en plus dans des logiques commerciales complètement orthogonales à l’idéal démocratique. Les médias sont pleins de journalistes et d’animateurs indépendants…. Et pourtant globalement ils "vendent" de plus en plus la même pensée plus ou moins formatée, c’est la pensée du système économique qui les fait vivre ! De même, le débat politique public d’antan a disparu pour laisser trop souvent la place au show à grand spectacle avec discours, tambours et applaudissements… bien heureux quand le participant de base à droit à quelques questions !

La démocratie de représentation est en soi un renoncement du peuple à exprimer ses choix… vu le nombre de sujets sur lesquels les représentants auront à se prononcer, il est inévitable, même si on a voté pour l’élu ou pour la majorité, d’être un jour ou l’autre en désaccord profond avec les choix du pouvoir. Que faire dans ce cas ?

-Participer à titre privé à une action de substitution. Exemple : financer ou participer bénévolement à des ONG qui soutiennent des causes que l’on estime plus prioritaires que ne le pense le gouvernement. Les Français aiment bien ces attitudes qui renforcent un lien social que le libéralisme économique a un peu trop tendance à détricoter.

Le récent tsunami montre bien les ambiguïtés de l’aide privé et de l’aide des états. L’Europe donne beaucoup de dons mais elle est, car elle se veut, en partie impuissante. C’est donc les Américains qui sont les plus présents, avec leurs hélicoptères et leurs porte- avions, pour aider efficacement les sinistrés et qui en profitent au passage pour redorer leur blason, terni par la guerre en Irak, auprès des populations musulmanes de l’Asie du sud Est. Les ONG se pensent indépendantes mais sont de plus en plus dans un flou idéologique provoqué par les liens incontournables avec les États et les grands bailleurs de fonds institutionnels. Si l’efficacité des ONG est incontestable et sauve souvent l’honneur de nos démocraties égoïstes, elle est aussi une bonne excuse pour ne pas lutter politiquement contre les inégalités. Au départ le tsunami était une catastrophe naturelle… la fragilité des populations face à cette catastrophe est en grande partie liée à l’iniquité d’un système économique qui d’année en année confirme le partage du monde entre riches et pauvres, ce problème essentiel, comme celui des morts du Darfour ou ceux causés par le paludisme et le sida, n’est pas de l’ordre de la charité mais de celui de la gestion politique de notre monde !

Mettre en place un système d’alerte efficace, encourager les constructions en zone sécurisée, favoriser le développement économique des pays pauvres, voilà des enjeux pour une mondialisation qui ne doit pas être uniquement une dialectique entre la course aux profits des multinationales et les visées impériales des États les plus puissants. A nous, à travers nos choix politiques, d’aller vers une démocratie qui mondialement s’organise pour plus de justice. Si l’humanité n’a pas encore en vue la possibilité d’arrêter les tremblements de terre, elle a déjà les moyens de minimiser fortement les effets négatifs. Au-delà des indispensables réflexes de compassion et de charité, il faut obliger les responsables politiques à opter pour un monde plus solidaire. Si la rhétorique ne peut pas briser la force de la lame de fond, elle est un outil fondamental pour atténuer ses effets.

Manifester, faire grève, occuper des locaux, voire désobéir à la loi quand on pense que le désaccord est suffisamment grave pour ne pas attendre passivement un hypothétique changement de politique. Nos sociétés supportent de plus en plus mal les nuisances provoquées par l’expression d’un désaccord. Les perturbations diverses provoquées par les grèves ou les manifestations sont de plus en plus perçues comme devant être illégales, seule l’expression par le vote étant considérée comme acceptable. Mais heureusement que la liste est longue des associations ou groupements de citoyens en tout genre qui se bagarrent pour que la société ne pratique pas sa politique préférée : celle de l’autruche.

-La critique des OGM est un exemple récent où la désobéissance civile a été invoquée par les "faucheurs volontaires". Pourquoi des citoyens et parfois même des élus pensent-ils qu’il faut faire de la "publicité médiatique" pour un acte qu’ils savent interdit ? Le faucheur volontaire non seulement sait qu’il risque de se faire condamner, mais provoque le procès pour favoriser la mise sur le devant de la scène de sa problématique. Cette attitude lucide est voisine de la non violence active que prônait Gandhi pour obtenir l’indépendance de l’Inde. La première question est celle de l’évaluation de la cause défendue : le combat contre une introduction rapide et pas assez contrôlée des OGM dans l’espace agricole est-il justifié ? Sur ce point l’opinion publique est assez en accord avec les faucheurs volontaires. La deuxième question est plus délicate : l’importance du désaccord justifie t-elle le passage à la désobéissance ? Sur ce deuxième point l’opinion est beaucoup plus partagée…. Mais n’est-il pas normal, quand on pense que l’enjeu est important, d’assumer spectaculairement les risques d’une position minoritaire ? D’autant plus que la désobéissance civile n’est absolument pas une remise en cause du principe d’un État de droit, puisque la logique répressive de la justice est utilisée pour défendre son point de vue ! Le total respect du pouvoir en place et des lois en vigueur ne se justifierait que si ces derniers étaient parfaits…La démocratie moderne, experte en auto satisfaction, supporte aussi mal que dans le temps les régimes des démocraties populaires, la contestation frontale du pouvoir. Du point de vue des faucheurs volontaires c’est justement l’écart entre le fonctionnement réel du pouvoir et les principes démocratiques qui justifie leur action. Chaque citoyen doit donc apprécier au cas par cas si la désobéissance civile est justifiée ou non… c’est au fond cette obligation de réflexion qui fait l’intérêt de cette attitude qui ne peut-être efficace que si elle est utilisée exceptionnellement.

Notre responsabilité ne se limite pas à l’action politique, mais à moins d’être partisan d’un individualisme cynique, voire nihiliste, on ne peut se laver les mains de l’avenir du monde. A chacun de trouver un équilibre entre les exigences d’une vie privée épanouie et l’intérêt collectif. Cela demande comme préliminaire un effort d’information et de compréhension, mais parfois aussi un engagement plus ou moins risqué.