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  Action humanitaire et/ou action politique ?

jeudi 6 novembre 2003, par François-Xavier Barandiaran

Action humanitaire et/ou action politique ?

Les lecteurs du « Monde Diplomatique », mensuel bien connu pour ses positions politiques assez radicales, sont habitués à voir dans ses pages la publicité pour l’ONG « Aide et Action » appelant au parrainage de l’éducation d’un enfant : « 100 millions d’enfants privés d’éducation c’est 100 millions d’adultes sans avenir »

On peut en conclure que pour ce périodique il n’y a pas de contradiction –au moins de principe- entre le bénévolat d’une action humanitaire et l’engagement global contre le libre-échangisme commercial. C’est, aussi, mon avis.

Et pourtant, la méfiance réciproque et, parfois, le débat à ce sujet font partie de notre vécu personnel. De plus, parmi les jeunes générations l’action concrète à la préférence sur l’action politique, qui exige une analyse d’ensemble et une volonté de transformer les structures socio-économiques. Ainsi nous voyons naître des associations de protection de l’enfance, des associations de consommateurs qui se soucient du commerce équitable (contrôle des conditions de production des biens agricoles ou manufacturés), des banques d’investissement qui excluent des placements dans telle ou telle branche ou dans tel pays, suivant des critères éthiques.

Bien qu’en France les mouvements soient encore balbutiants, tout le monde connaît le boycott lancé aux USA contre la marque Nike, parce qu’un de ses sous-traitants employait des enfants.

Mais, quand on sait que 2 milliards et demi d’être humains vivent avec moins de 2 dollars par jour, on comprend que les seules actions bénévoles ne pourront venir à bout de la régression des pays les moins avancés, de l’extension du sida, de l’exploitation des enfants ou de la faim dans le monde.

La globalisation de l’économie met de plus en plus en évidence que nous nous trouvons dans une situation de guerre économique planétaire généralisée : les intérêts des pays ou des zones géographiques se croisent, concordent ou s’affrontent selon les divers niveaux de développement. Lors de la dernière rencontre de l’OMC à Cancun il n’y avait pas moins de 23 chantiers en négociation !

Ainsi, ces pays pauvres d’Afrique, qui après avoir sacrifié leurs cultures vivrières pour produire du coton, veulent sauvegarder leur produit en s’alliant avec l’Europe, même si à un autre niveau ils font cause commune avec le groupe des 21 pour dénoncer les subventions européennes et américaines à leur agriculture.

Un autre pôle de contradiction provient de l’exigence des pays riches à l’égard des pays émergeants pour qu’ils respectent les normes du BIT en ce qui concerne les conditions de travail- et, entre autres, le travail des enfants- pour ne pas être un pôle d’attraction trop tentant pour l’expatriation des industries attirées par le bas coût de la main d’œuvre. On comprend que travail des enfants, exploitation des adultes, pauvreté persistante et accords commerciaux, ce sont des facettes d’une même réalité.

On comprend, aussi, pourquoi une organisation, comme l’OMC, ne peut pas répondre à toutes ces attentes et exigences. Il faudrait pour cela que les organismes financiers internationaux fassent la distinction entre croissance et développement. Ce serait, alors, un système radicalement différent : au lieu de demander comment maximiser les échanges commerciaux et l’accès au marché des pays arriérés, les négociateurs s’interrogeraient sur comment permettre à des pays de sortir de la pauvreté.

C’est bien ce qu’affirme un grand repenti, J.E.Stiglitz, prix Nobel d’économie et ancien vice-président de la Banque Mondiale, quand il dénonce l’application aux pays pauvres des standards économiques du capitalisme américain, aggravant ainsi leur situation de stagnation et de chômage.

En prenant la faim dans le monde comme centre de regard, François de Ravignan dans son livre "La faim, pourquoi ?" (d’une clarté méridienne, court et d’une lecture facile) démontre comment la faim ne peut pas être éradiquée par les moyens capitalistiques employés par l’aide des États et autres organismes financiers internationaux.

La faim est due à la privation de travail ou des moyens de s’en procurer, à la suppression des cultures vivrières, remplacées, sous la pression des pays anciennement colonisateurs et aujourd’hui des multinationales, par des cultures de rente ou d’exportation.

Ce n’est pas en poussant les pays pauvres à produire quelques denrées nécessaires aux pays riches qu’on supprimera la faim dans le monde. Mais, en promouvant la souveraineté alimentaire des peuples, en donnant la priorité aux ressources propres à chaque pays et en développant progressivement leur marché intérieur : objectif de l’ONG altermondialiste "Via Campesina". Y introduire nos modes de production, c’est les pousser à s’endetter pour employer un minimum de mains-d’œuvre payées à bas prix (nous y retrouvons le travail des enfants !) et, ainsi, enrichir une bourgeoisie locale inféodée ou des gouvernements souvent corrompus.

Mettons le projecteur sur notre mode de consommation : la satisfaction des prétendus "besoins" que la société consumériste a créés, au prix souvent d’une exploitation des richesses des pays sous-développés.

Le cours des matières premières (minerais, pétrole, fruits, café, coton...)se négocie à Londres ou à New York. Et ce sont les sociétés transnationales qui décident en fonction de leurs intérêts. Les mêmes intérêts que nos États européens vont soutenir, au lieu de promouvoir le développement des pays producteurs. Les matières premières proviennent de ces pays où les enfants n’ont pas droit à la nourriture ou à l’éducation. Mais, les plus-values restent dans nos sociétés dites de consommation.

Et que dire de l’aide directe au développement toujours stagnante ou en diminution (depuis 30 ans l’objectif affiché de l’aide est de 0.7% du PIB), souvent accordée pour des motifs géo-stratégiques à des régimes corrompus ou des emprunts qui viennent grever la dette du Tiers-Monde, parce que concédés selon les taux et les lois du libéralisme marchand, au lieu de promouvoir le développement endogène fondé sur les traditions et les institutions propres à chaque aire culturelle. Comble du scandale : pour la sixième année consécutive les pays moins avancés ont versé aux pays créditeurs plus d’argent qu’ils n’en ont reçu, et 54 pays sont aujourd’hui plus pauvres qu’ils ne l’étaient en 1990 !

Ce ne sont, donc, pas les chantiers, où notre action politique doit s’exercer, qui manquent, sans oublier l’exclusion et la précarité qui se manifestent dans nos pays industrialisés et qui sont le fruit de la même mondialisation libérale. Si, de surcroît, nous participons à des actions humanitaires qui concrétisent cette analyse des causes et des moyens....

F-Xavier Barandiaran

Pour en savoir plus :

-"Quand le capitalisme perd la tête" Joseph E.Stiglitz.Fayard.

 "La faim, pourquoi ?". François de Ravignan. La Découverte.