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  Internet sera ce qu’en feront les Internautes, son histoire n’est pas écrite

vendredi 25 janvier 2013, par Joseph Saint Pierre

L’utilisation massive des ordinateurs et d’appareils, ayant des capacités similaires et même supérieures aux anciens ordinateurs comme les tablettes et surtout les téléphones "intelligents", est assez récente. La France a un rôle particulier dans cette histoire pour des raisons liées au langage, mais pas seulement. Le mot ordinateur est une invention du français datant de mars 1955, le mot comput est français directement issu du latin et le mot computeur aurait pu s’imposer, comme se fut le cas pour d’autres langues latines comme l’italien ou le portugais. Le mot informatique est aussi une invention du français datant de 1962. L’utilisation du mot numérique pour désigner cet utilisation massive des ordinateurs, téléphones, tablettes est aussi une invention beaucoup plus récente pour remplacer des adjectifs qui semblaient peu appropriés comme digital ou électronique, fort employé encore pour ce dernier dans des expressions comme courrier électronique ou courriel. L’absence du mot électronique peut faire oublier que tous les objets de l’informatique même si on les nomme numériques sont bien des objets physiques, bourrés d’électronique et consommateurs d’électricité. Un des enjeux essentiel du développement des technologies de l’information réside dans l’énergie, le refroidissement de ce que l’on nomme les "data center" où sont stockées les informations, notamment par des géants de l’Internet comme google ou facebook. La fabrication des ordinateurs, téléphones et tablettes nécessite des matériaux rares et qui ne sont pas inépuisables, indium notamment. Si le développement de l’Internet à un intérêt politique, sociologique, humain il est fondé sur de la technique et de la science et cela semble oublié par la plupart des décideurs politiques, par la plupart des journalistes et aussi le grand public. Le sens ordinaire du mot numérique tel qu’on peut le trouver dans des dictionnaires est lui aussi assez souvent oublié. La lettre grecque pi est utilisée en calcul élémentaire, elle désigne le rapport constant entre la longueur de la circonférence d’un cercle et la longueur de son diamètre, 3,1415926 est une valeur numérique approchée de pi cette valeur est un nombre écrit avec des chiffres alors que pi est une valeur abstraite. Sur la plupart des claviers des ordinateurs il y une partie de clavier où il n’y a que des chiffres que l’on nomme pavé numérique, car il sert essentiellement à saisir des nombres.

La France est parfois considérée comme particulière dans le développement de l’Internet en raison de l’existence du Minitel. La fin de cet objet est relativement récente et si son effet a retardé l’accès de la France à Internet, il semble qu’un des points essentiel de différence sur le plan politique est la dimension nationale du Minitel versus la dimension internationale, dès le début, d’Internet. On a parfois tendance à réduire la naissance du réseau Internet à la guerre froide, à la volonté de l’« agence pour les projets de recherche avancée de défense » du département de la défense des États-Unis de créer un réseau connu sous le nom d’ARPANET. Certes ARPANET a une importance dans l’émergence d’Internet, mais il y a d’autres éléments qui ont joué un rôle et notamment des universités des États-Unis. Schématiquement la conception du réseau Internet est décentralisée ou plutôt elle est censée permettre le fonctionnement du réseau avec la disparition de nœuds importants. De manière approximative et imparfaite on peut supposer que le réseau est plus adaptée à une structure fédérale, collégiale qu’à une structure hiérarchique. On retrouve cette analogie bien plus tard au moment de l’invention du protocole http et donc du web à la fin des années 1980 début des années 1990 dans le cadre de ce que l’on nomme habituellement le CERN et dont le nom complet est en français : « Organisation européenne pour la recherche nucléaire » Il s’agit d’une organisation de recherche européenne dont l’importance dans la recherche en physique est énorme, elle regroupe des chercheurs de 80 pays et environ 500 universités. En 2012 il a été très fortement question du boson de Higgs et des travaux effectuées dans cette organisation. Le parallélisme entre le fonctionnement d’une organisation et un objet de communication comme le web est tentant. Il est amusant de noter qu’il a été fortement question de la crise en Europe sur le plan monétaire, financier, économique, politique pendant qu’une organisation très européenne dans son histoire obtenait des résultats très importants sur le plan théorique et avait un effet secondaire, à travers le web, sur des comportements sociaux.

L’utilisation des ordinateurs et de l’informatique n’est pas passée de la science vers le grand public directement. Une des plus grandes firmes de l’informatique reste encore IBM, cette entreprise a été fondée en 1911 sous le nom Computing-Tabulating-Recording Company, le nom IBM veut dire International Business Machines et date de 1924. Les machines qui ont précédé l’ordinateur chez IBM servait à faire du business à travers une gestion des informations mais pouvaient être utilisées par des états et par des services publics. Les impôts, les recensements, les comptes bancaires, les consommations électriques etc. sont informatisés depuis longtemps où étaient traités avec des machines ancêtres de l’ordinateur. L’idée que l’informatique aurait été utilisée à des fins commerciales après une invention scientifique, académique est trop simple. De même l’utilisation de l’informatique par des pouvoirs politiques semble inhérente à la partie militaire de ses origines.

Les ordinateurs ont remplacé des machines à calculer scientifiques mécaniques ou électromécaniques mais ont aussi remplacé des machines à calculer de comptables. Par ailleurs, mais c’est aussi plus tard, les ordinateurs ont remplacé la plupart des machines à écrire, les claviers des ordinateurs sont très semblables, au moins dans la disposition des lettres, aux claviers des machines à écrire. Cette proximité est sans doute essentielle pour expliquer au moins en partie l’importance des ordinateurs et de leur dérivés dans la communication.

Les origines des ordinateurs et de l’informatique montrent qu’il y des enjeux politiques, économiques qui sont assez anciens et ne datent pas de l’actualité récente.

L’informatique pouvait et peut toujours être utilisée pour faire des affaires, gagner de l’argent, avec le progrès technique et la rapidité des communication cela offre de nouvelles possibilités.

L’informatique est toujours utilisée et de plus en plus à des fins scientifiques, académiques, scolaires, éducatives à tous les niveaux et dans toutes les disciplines.

L’informatique est utilisée par des services publics, les administrations et par les états, éventuellement pour contrôler, surveiller, censurer, interdire, réguler.

Chacun de ces points mériteraient des développements très importants mais les interactions entre ces divers sont sans doute plus originales et sont peut être à l’origine de modifications politiques intéressantes et parfois paradoxales. Une question politique fondamentale concerne le fameux choc des civilisations popularisé par Samuel Huntington et contesté par de nombreux auteurs. En quoi le développement des techniques de communications favorise ou défavorise le rapprochement entre les diverses parties du monde ? Internet favorise-t-il la domination de la langue anglaise dans sa version des États-Unis ou avantage-t-il l’expression dans toutes les langues minoritaires ou même très minoritaires ? Internet a-t-il joué un rôle décisif dans les mouvements que l’on nomme globalement "printemps arabes" ? En quoi l’utilisation de l’internet a-t-il changé les campagnes électorales, le choix des candidats, la mise en place de primaires ? Est ce que les blogs, les sites internet ont joué un rôle lors du référendum sur le traité européen en 2005 ? Dès le début des années 2000 il était déjà fortement question de l’émergence de la démocratie électronique comme forme d’une démocratie "participative".

Les enjeux éducatifs me semblent essentiels pour des raisons professionnelles, le développement de l’informatique et des ordinateurs ont servi à disqualifier les mathématiques, voici deux extraits de propos écrits par Claude Allègre, homme politique influent qui a été ministre de l’éducation nationale :

« Va-t-on continuer à recourir aux mathématiques pour calculer ? Depuis l’apparition des calculettes, on n’enseigne plus à extraire une racine carrée, ni à se servir d’une table de logarithmes. Continuera-t-on demain à enseigner les subtilités de la construction des courbes ou le calcul d’intégrales compliquées ? L’ordinateur va nous conduire à reconsidérer les mathématiques comme un auxiliaire des sciences »

« recruter les scientifiques avec les maths est aussi baroque que de recruter des littéraires sur une interrogation de grammaire ».

Certes monsieur Allègre est un cas particulier extrémiste mais nombreux sont les décideurs qui tiennent des propos semblables et surtout l’évolution de l’enseignement des mathématiques a été marquée par une diminution des horaires à tous les niveaux souvent au profit d’enseignements autour des nouvelles techniques d’information et de communication et fort peu liés aux aspects fondamentaux de l’informatique.

En janvier 2009 j’ai écrit un message à monsieur Leterre professeur (sociologie, philosophie) d’université en région parisienne et à l’institut d’études politiques de Paris, à propos d’une conférence longtemps restée visible et disponible à l’écoute sur Internet. Cette lettre se trouve ici :

http://cict.fr/~stpierre/Leterre.html

Il s’agit d’une défense de l’utilisation des ordinateurs pour les mathématiques et la dénonciation d’un discours affirmant la non utilité des mathématiques en raison de l’intelligence supposée des ordinateurs.

Les mathématiques ne sont pas les seules à pouvoir être concernées par cette évolution, certains voient dans le développement de l’Internet une manière de changer profondément le rôle des enseignants voire de s’en passer complètement.

L’usage d’une encyclopédie libre comme wikipedia peut permettre d’apprendre beaucoup de choses et ce dans de nombreuses langues, mais il est parfois très difficile de structurer les savoirs y figurant et les pages ne se remplissent pas toutes seules, il y a nécessairement des contributeurs et des méthodes de validation qui ne sont pas simples et qui nécessitent un travail très proche de celui d’un enseignant. Contrairement à certaines idées reçues le développement des technologies créent des nouvelles activités, des nouvelles réflexions, de nouveaux problèmes.

Le sujet des logiciels libres, des données ouvertes, les encyclopédies libres est assez nouveau, il semble assez spécifique à l’informatique et à sa nature immatérielle. Les supports plus anciens comme les disques, les livres sont concurrencés par les nouveaux objets faits par des moyens informatiques. Les concepts de liberté issus du monde du logiciel libre ce sont étendus à d’autres domaines.

J’ai longuement abordé la question du logiciel libre dans le cadre d’un café du citoyen en mars 2011, un résumé se trouve ici :

http://cict.fr/~stpierre/logiciels-...

Les logiciels libres ont un très grand rapport avec des sujets politiques il est impossible de développer plus ce rapport que je ne l’ai fait lors de ce café.

Il ne s’agit pas d’avoir une vision optimiste ou pessimiste de l’effet de l’importance des ordinateurs, de l’informatique, de l’Internet. Les objets sont là et il faut faire avec. Entre se tenir à l’écart complètement et tomber en admiration béate devant les miracles de la technique, il semble possible d’utiliser ces moyens tout en se battant contre des dérives supposées, imaginées ou fantasmées qu’ils portent. On accuse Internet de favoriser les rapports instantanés, fondées sur des échanges bref, en style télégraphique et avec des mots de franglais, alors qu’il est parfaitement possible d’y écrire des textes assez longs, avec des phrases, sans abréviation et sans utiliser de jargon. Il est parfaitement possible d’aborder des sujets de réflexions philosophiques, historiques sur Internet. Internet est supposé faire perdre le sens du territoire alors qu’il est parfaitement possible d’utiliser Internet pour des usages très locaux. Internet fournit ce que des êtres humains y ont mis dedans, si ce qui est écrit sur Internet ne convient pas, il est en principe assez facile d’exprimer sur Internet un désaccord.

Internet sera ce qu’en feront les Internautes, son histoire n’est pas écrite.