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  Histoire et villes durables

jeudi 17 janvier 2008, par Joseph Saint Pierre

Je voudrais apporter quelques commentaires sur le sujet de la ville durable. Je suis d’accord avec la phrase d’introduction, mais il semble nécessaire d’apporter quelques nuances. Je cite : « Les villes sont le produit d’une histoire longue et complexe, avec un développement souvent plus lié à une auto-organisation économique et sociale qu’à une volonté politique »

L’auto-organisation économique correspond à la ville moderne au sens large mais la plupart des villes avaient une histoire plus ancienne et ont souvent hérité des structures antiques ou médiévales (dans le cas européen) parfois des structurations rigides par des pouvoirs forts. Les romains et les anciens chinois (jusque récemment) avaient des conceptions strictes en ce qui concerne la construction des villes, les traces de remparts ou de voies de circulations sont des indices d’origines structurées avec une volonté certes autoritaire mais qui mérite à mon avis le qualitatif de politique. Dans le cas toulousain les axes de circulations que sont la rue Alsace et la rue de Metz même si ils ont été construits au 19ème siècle sont les héritiers des deux axes orthogonaux principaux : le decumanus maximus et le cardo maximus construits à l’équerre par les "urbanistes" romains. On peut trouver cela très bien expliqué sur la page http://voies.archeo-rome.com/voies03.html. Les villes européennes du Moyen-âge ont souvent été le lieu d’émergence d’un pouvoir économique qui s’est détaché (pas complètement) de pouvoirs forts et structurés, militaires, religieux, mais il y a eu très tôt des formes de pouvoir que l’on peut qualifier de politique avec des volontés de façonner les villes. Les exemples les plus connus sont les cités états italiennes dont la plus intéressante me semble être Venise. On peut aussi s’intéresser au cas de Toulouse où les capitouls ont joué un rôle qui peut être assimilé à celui d’un conseil municipal avec des velléités de contrôle de l’activité urbaine.

Les villes ont souvent été structurées par les voies d’eau, les fleuves, rivières ou la mer, le cas de Venise déjà citée est particulièrement intéressant de ce point de vue. La construction des ponts, des aqueducs, des canaux, des quais, des digues, des ports etc... est essentielle dans l’organisation urbaine, la construction de tels équipements a presque toujours été décidé par des pouvoirs institutionnalisés et parfois à très haut niveau, royaume ou empire et sans doute exceptionnellement par des organisations économiques indépendantes des pouvoirs politiques. Certaines villes américaines du Far West ont peut être construites rapidement par des chercheurs d’or ou autres aventuriers mais je pense qu’il s’agit en grande partie d’un mythe. L’accès à l’eau est essentiel à la vie et il me semble nécessaire depuis toujours d’assurer l’accès à cette ressource dans tout groupe organisé et en particulier les villes, même si le souci d’avoir une eau de qualité minimale n’était pas explicité de la même manière qu’actuellement et il devait exister avec une notion de durabilité implicite. J’attache une importance aux villes européennes médiévales car elles ont joué un rôle essentiel dans l’émergence de l’individu moderne et cela a, à mon avis, un très grand rapport avec les questions soulevées par le développement durable, la décroissance soutenable, l’environnement, l’écologie. Un détail qui me semble symptomatique est l’apparition des horloges sur les cathédrales et beffrois, d’après l’historien Jacques Legoff il s’agit du temps régulier "rationnel" des marchands au détriment du temps irrégulier de l’église. Cette question est longuement abordée dans le livre "Reason and Society in the Middle Ages" d’Alexander Murray, d’après Murray et Legoff et surtout Aron Gourevitch "La naissance de l’individu dans l’Europe médiévale" il y a des liens entre rationalité, société médiévale occidentale et individu moderne. Legoff attribue la création du purgatoire à la rationalité médiévale. Pour schématiser les villes médiévales ont créé des individus relativement libérés de la contrainte religieuse pouvant commercer, gagner beaucoup d’argent et avoir une ascension par la richesse plutôt que par les armes. Contrairement aux idées reçues le Moyen-âge a connu des progrès "technologiques" notamment dans la construction navale, ce qui a permis d’augmenter les échanges, les grands voyages du 15ème siècle se situent dans le prolongement de progrès antécédents. On présente souvent les excès du 20ème siècle, en termes de consommation, comme une conséquence de la révolution industrielle des 18ème et 19ème siècles pour moi il existe une continuité forte entre la fin du Moyen-âge et l’époque contemporaine. À travers les siècles la vitesse de déplacement à cheval a augmenté, les chevaux ont été sélectionnés, sont devenus plus grands, plus adaptés à la traction, mieux nourris, mieux dressés, les routes se sont améliorées, l’organisation des déplacements avec des relais fréquents et bien disposés etc... Le déplacement à cheval du 18ème siècle est très différent du déplacement médiéval et surtout bien plus rapide, le progrès apporté par la traction à vapeur n’est pas si énorme que l’on croit et il y a une sorte de continuité dans l’évolution de la vitesse, l’historien Daniel Roche a très finement étudié cette évolution. L’utilisation du cheval a été très tardive, les bus toulousains était hippomobiles de la création du réseau en 1863 jusqu’en 1906 date d’apparition du premier tramway électrique, de nombreuse villes ont eu des tramways hippomobiles jusqu’au début du 20ème siècle. Ce regard un peu long sur le passé permet d’envisager un développement durable des villes sans nécessairement révolutionner la structure des villes en réutilisant des lieux, des réseaux etc. Il me parait plus difficile de modifier les mentalités, notamment par rapport aux valeurs individualistes modernes, mais aussi par rapport à la vitesse car ce sont des caractéristiques profondes et anciennes.

Le plus gros effort pour avoir des villes "durables" ne dépend pas des progrès technologiques mais plutôt de changements d’attitude dont certains me semblent perceptibles, à titre d’exemple je cite le système "pédibus", ou "autobus pédestre", des élèves marchant en groupes accompagnés par des adultes pour aller à l’école, plus de détails sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A.... Il en existe à Toulouse et cela semble fonctionner. De manière plus générale je suis convaincu que l’éducation est fondamentale par rapport aux enjeux du développement durable mais attention je ne plaide pas pour un enseignement orienté vers le développement durable mais plutôt un savoir général scientifique, philosophique, historique. La nécessité de la décroissance de certaines consommations (ressources naturelles) devrait découler seulement de la connaissance des disponibilités et de l’arithmétique et bien sûr de certaines valeurs comme l’altruisme. Ceci étant je constate souvent un déficit de connaissances élémentaires et je considère la transmission des connaissances comme un domaine essentiel car transversal. Je crains que l’on transforme tout sujet de société, comme "la ville durable", en catalogue de mesures à prendre en évitant une approche globale considérée comme trop abstraite, trop éloignée des préoccupations quotidiennes des "vrais" gens.

Par ailleurs je me permets de relier ce sujet aux élections municipales du mois de mars, en effet la "ville durable" pourrait et devrait, à mon avis, concerner fortement les élus municipaux, or comme je l’ai écrit l’approche historique me semble très pertinente pour aborder le sujet et j’ai la désagréable impression que l’on veut souvent restreindre le rôle des élus municipaux dans le meilleur des cas à de simples gestionnaires d’affaires locales et dans le pire à de simples soutiens des candidats aux seules « vraies » élections en France ; c’est à dire les élections présidentielles. Les réflexions sur la ville durable ne pouvant être que les sous produits d’un débat national comme le fameux Grenelle de l’environnement. Ce que je demande aux élus (municipaux) ce n’est pas seulement de prendre les mesures en terme d’urbanisme ou de transport afin d’avoir des villes durables mais de favoriser la prise de conscience individuelle et collective sur les enjeux liés au développement durable. À Toulouse le Muséum d’Histoire Naturelles pourrait être lieu parfaitement adapté pour de l’éducation populaire mais aussi du débat sur l’évolution de la planète mais ce n’est heureusement pas le seul endroit où on peut aborder ces sujets. Je trouve très positif que des cafés comme le Café Politique abordent ce type de sujets et permettent au lampiste que je suis de donner son point de vue.

Dans le cadre de discussions sur l’urbanisme j’ai très souvent cité la page web des Sociétés Savantes de Toulouse consacrée aux plans d’urbanisme de la ville au 20ème siècle, il s’agit un article exceptionnel de Jean Coppolani, j’en recommande vivement la lecture : http://www.societes-savantes-toulou... Cet article permet d’entrevoir l’évolution de la ville dans une période récente mais cela permet d’appréhender l’intérêt de la démarche historique. Un proverbe africain parait-il mais de valeur universelle dit : "Celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va." Ce proverbe pourrait s’appliquer aux villes, aux pays ; pour envisager une ville durable il faudrait savoir d’où elle vient et donc qu’elle est son histoire tout en faisant attention de ne pas oublier les enjeux globaux et ceux individuels.

Je trouve très intéressant de regarder le développement durable au niveau de la ville et cela pourrait être décliné au niveau du quartier, de la rue, de la copropriété ou de la région, du pays, du continent, de planète. Tous ces niveaux permettent de casser la dichotomie local contre global en montrant les divers niveaux d’interventions et la complexité des enjeux.

Merci de permettre des débats politiques dans un café même si ces débats ne peuvent se substituer aux réflexions des élus, on peut espérer qu’ils ont un petit effet.