jeudi 31 mars 2016, par François Saint Pierre
Les ultras du libéralisme pensent que la raison de la crise agricole actuelle est l’excessive lenteur mise par le milieu à s’adapter aux nouvelles conditions de la concurrence. Le raisonnement est simple, le porc ou le lait français sont trop chers, il faut donc industrialiser un peu plus les secteurs en difficulté et baisser les revenus pour augmenter la compétitivité. Petit bout de vérité qui masque les multiples contraintes sociales, économiques et environnementales auxquelles sont confrontés les agriculteurs. On peut plutôt penser que "la concurrence libre et non faussée", qui est devenue le soubassement idéologique de nos dirigeants nationaux et européens, a conduit le monde agricole français dans une impasse catastrophique.
Les secteurs qui s’en sortent le mieux ne sont pas ceux du "big is beautiful", mais plutôt ceux qui ont développé, la qualité, le bio, le circuit court, plus proches des méthodes artisanales que des pratiques industrielles. L’erreur des ultralibéraux est toujours la même, considérer que tout peut être traité comme étant essentiellement une marchandise dont la production doit être régulée par la loi de l’offre et de la demande. Alors que la concurrence sur l’usage des sols, pour développer des productions industrielles comme les biocarburants, devient très importante, il est indispensable de ne pas laisser l’agriculture sous la mainmise totale du marché et de faire de la sécurité alimentaire un enjeu national.
L’alimentation est un bien nécessaire à tous qui est en lien direct avec la bonne santé de la population. Les risques épidémiologiques liés à une mauvaise alimentation sont très importants. Pendant longtemps l’État s’est contenté de vérifier la qualité bactériologique des produits, mais l’augmentation de la prévalence de maladies comme le diabète ou les récentes découvertes sur les effets des perturbateurs endocriniens ne peuvent plus être ignorés. La production agricole n’est pas un élément comme un autre de la société de consommation.
L’agriculteur n’est pas qu’un producteur, c’est aussi quelqu’un qui participe à l’entretien du territoire et à la qualité du paysage. Services rendus à la collectivité qui justifient amplement que l’on subventionne ceux qui sont en difficulté. Le rôle de l’agriculture dans l’adaptation au changement climatique va devenir de plus en plus central. Par exemple, augmenter l’albédo des sols va être une charge supplémentaire qui sera confiée aux agriculteurs de demain. Si chaque agriculteur doit se préoccuper individuellement de produire de manière rentable des produits de qualité, l’ensemble du système est par contre clairement sous la responsabilité des autorités politiques. L’agriculture est devenue le prototype de l’impuissance des politiques. L’Europe est souvent accusée, mais tout le monde sait bien que la politique agricole commune a toujours été cautionnée par la France. Récemment Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture, a accepté de revenir un peu en arrière sur les quotas laitiers, mais sur le fond la trajectoire adoptée par la commission européenne reste profondément favorable au développement d’une agriculture productiviste capable de jouer le jeu de la concurrence entre pays.