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  Croissance et compétitivité : pour une stratégie à long terme.

vendredi 3 février 2012, par François Saint Pierre

La crise économique et financière a remis au premier plan les questions de croissance et de compétitivité. Pour résorber le chômage et rembourser la dette l’augmentation du PIB, qui est l’indicateur habituel de la croissance, semble être la seule voie possible. Face à l’urgence, difficile pour la classe politique de proposer des mesures dont l’effet ne serait que lointain. Notre démocratie est basée sur des scrutins majoritaires qui se succèdent, impossible dans ces conditions de ne pas proposer des réponses applicables immédiatement pour répondre à la forte attente des français sur l’emploi et le pouvoir d’achat.

Concilier croissance, justice sociale et environnement correspond à la philosophie du célèbre triptyque du développement durable : l’économique, le social et l’écologique. Ce concept fait quasiment l’unanimité mais masque en fait les difficultés de fond. La croissance est perçue par le politique comme se déployant essentiellement dans un univers spatio-temporel très limité, pourtant les interactions positives ou négatives avec le long terme sont importantes. La justice sociale est liée à l’organisation anthropologique et sociologique de la société et si les transformations se font parfois de manière brutale l’ensemble renvoie à la longue durée. Notre démocratie républicaine cache l’essentiel de cette problématique dans le concept de peuple. "De qui sommes-nous solidaires ?" est une question difficile dont la réponse conditionne nos rapports avec les autres y compris avec les générations futures. L’environnement se joue évidemment à toutes échelles d’espace et de temps qui vont du local immédiat le plus spécifique au global de la planète pour des millénaires, comme la question du réchauffement climatique Dans les questions environnementales, notamment sur l’aspect biodiversité la solidarité entre les différentes espèces ne peut être réduite à zéro. Le déclin des populations d’abeilles, qui ont en agriculture un important rôle de pollinisation, en est un bel exemple.

S’il est facile de repérer dans les projets politiques ceux qui sont plutôt du côté de la solidarité et de l’égalité et ceux qui sont du côté de la liberté économique, il faut noter que les partis de gouvernement sont, au moins pendant les campagnes électorales, très soucieux de ne pas bouleverser le système en place. Maitriser les excès de la finance, ne pas abandonner les plus démunis, empêcher les classes moyennes de se déclasser grâce à un bon niveau d’activité économique sont les objectifs fondamentaux mis en avant par les partis et les médias. La droite, persuadée que ce sont les patrons qui donnent du travail, compte sur les financiers et les managers pour relancer l’économie et soutient donc sans états d’âme les propositions patronales qui visent à baisser le coût du travail. La gauche qui a une vision plus collective du travail préfère valoriser la formation, l’investissement public et l’ensemble de l’organisation sociale pour augmenter l’efficacité du système économique. Par exemple la capacité de faire circuler efficacement travailleurs et marchandises est un atout de compétitivité important, l’argent public investi pour améliorer l’efficacité des déplacements impacte positivement la productivité des entreprises. De ce point de vue l’argent dépensé par l’État n’est pas toujours une charge, mais peut-être un investissement productif.

S’il existe beaucoup de différence entre le libéralisme plus ou moins conservateur de droite et la social-démocratie l’ensemble du modèle social et économique n’est pas remis en cause. La vision dominante de la justice sociale qui s’est imposée depuis quelques années est celle de la "Théorie de la justice" de John Rawls : une société est juste s’il n’y a pas de perdants. Ce modèle est assez adapté aux périodex de croissance, Il a laissé les riches s’enrichir en toute bonne conscience. Les riches ont même fini par se persuader que c’était essentiellement grâce à eux que la richesse était produite et que les pauvres n’étaient que des bénéficiaires du dynamisme économique qu’ils impulsaient. Morale sommaire du libéralisme qui a conduit à l’explosion des inégalités. L’abandon par le politique de ses pouvoirs de régulation sur l’économie et l’absence de volonté de faire une forte redistribution via la fiscalité ont été portés depuis les années 1970/1980 par le succès de l’idéologie néolibérale. Les principaux projets politiques présentés pendant la campagne présidentielle, ne proposent que des légères corrections à cette dérive. Un seul exemple le taux d’imposition maximal de 45% proposé par François Hollande pour l’impôt sur le revenu qui dépasse 150 000 € par part est plus faible que sous Raymond Barre (65%) ou qu’aux États-Unis entre 1941 et 1964 dont le taux maximal était alors de 91 %. Cela n’empêche pas la droite de qualifier cette proposition de matraquage fiscal des classes moyennes.

La principale critique que fait la droite libérale aux défenseurs de la justice sociale mérite d’être analysée. Favoriser la justice sociale serait au total contre productif car cela freinerait la croissance et baisserait donc la quantité de biens à distribuer. Un système inégalitaire, s’il produit plus, peut au final distribuer plus aux pauvres qu’un système plus égalitaire. Pourquoi pas... sauf que l’expérience montre que notre système inégalitaire ne remplit pas son propre cahier des charges. Il a généré beaucoup de super profits pour quelques exceptions et il a produit beaucoup de biens de consommations qui ont surtout profité à une minorité. Le bilan qui a été longtemps présenté comme globalement positif s’avère totalement plombé par une dette généralisée. Si on intègre les coûts environnementaux la positivité du bilan est bien loin d’être au rendez-vous. Nous avons collectivement bénéficié pendant quelques années de l’exploitation intensive et excessive des ressources naturelles, cela nous a permis d’augmenter énormément notre consommation, mais au-delà de la dette financière nous avons aussi accumulé de la dette écologique. Le système libéral inégalitaire a effectivement poussé le système à produire plus, mais la non prise en compte de l’intérêt collectif a fortement fait baisser le rendement de ce surplus de consommation en terme de qualité de vie. Cela s’est traduit par la surconsommation des riches et par une perte d’efficacité économique comme dans l’exemple des transports où la vitesse moyenne de déplacement a ralenti. A quoi sert d’avoir une Porsche ou une Ferrari pour aller sur les routes françaises ! Avoir fait croire que tout le monde serait gagnant en laissant l’économie s’auto réguler, avec pour seul principe l’augmentation des profits des actionnaires, des financiers et des managers a été une superbe victoire rhétorique pour l’idéologie libérale, mais cela s’est avéré faux. Nous assistons avec la crise actuelle à la fin de cette illusion. S’il existe une part incompressible d’auto régulation par la loi de l’offre et de la demande, la démocratie doit aussi faire émerger par le débat public les orientations qu’elle veut donner à son économie. La justice sociale n’est en rien un frein à l’innovation et à la production de biens, on peut même penser que donner un sens, autre que financier, aux liens qui lient production et consommation peut avoir un effet positif sur la compétitivité.

Si la question écologique occupe une place importante dans les élections locales, elle est considérée comme secondaire au niveau national. Comme par le passé l’enjeu environnemental n’est pas un des thèmes majeurs de la campagne actuelle pour les présidentielles, on peut noter qu’il en est de même de la politique internationale. Il est de coutume de bien dissocier l’aspect environnemental et l’aspect justice sociale, cela est la conséquence d’une vision ancienne de l’écologie où pour avoir une bonne conscience écolo il suffisait de ne pas abandonner les papiers gras du pique nique au bord de la rivière. Maintenant que la pollution est devenue mondialisée, que l’énergie se fait rare et que le climat évolue a grande vitesse on ne peut se contenter d’une approche aussi simpliste. Est-il normal par exemple, parce que l’on en a les moyens, de consommer pour son plaisir des tonnes de CO2 ? Dans la mesure où la consommation excessive de certains biens pose indirectement problème aux autres la réponse est évidemment non. Sous cet aspect, ce n’est pas uniquement la richesse qui pose problème, mais l’usage que l’on en fait. Dire que les riches induisent du développement économique par leur consommation excessive ne peut compenser cet aspect fortement négatif. L’écologie a partie liée à la solidarité et on ne peut agir sur les grands problèmes environnementaux en se contentant de culpabiliser les consommateurs comme le propose le libéralisme.

Les indicateurs économiques comme le PIB ne prennent en compte que ce qui est associé à de la valeur monétaire. Si un pollueur ne paie pas de taxe, le fait de polluer ou non n’intervient pas directement dans le calcul économique. Pourtant lors d’une analyse globale la compétitivité d’un pays sera diminuée s’il y a trop de dégâts environnementaux, car cela se traduira par des freins collectifs comme le surplus de congés de maladie ou du temps de perdu dans les déplacements, qui augmentent fortement le coût du travail. Relancer la croissance par la consommation n’est pas forcément rentable si cette croissance ne s’appuie pas sur des mécanismes durables, qui sur le long terme permettent de favoriser la qualité de vie. La qualité environnementale est très souvent associée à l’archaïsme, pourtant la modernité est capable de produire des biens durables et de qualité. Le surcoût apparent est très souvent dû à la non prise en compte par l’industrie des coûts et parfois des dégâts qu’elle laisse à la charge de la société. L’exemple du nucléaire est flagrant, le coût de l’électricité semble bon marché, mais l’essentiel des coûts de recherche, de démantèlement, de stockage des déchets et surtout ceux d’assurance sont pris en charge par l’État. Cela peut être un choix démocratique, mais pour cela il faut que cette question soit l’objet d’un débat public informé. De même dans la comparaison entre le transport par camion et le fret ferroviaire il est indispensable de mettre aussi dans la balance les tonnes de CO2. L’adaptation à une économie durable n’est pas instantanée, faire de l’économie verte ce n’est pas redécouvrir l’usage de la lampe à huile, c’est aussi pouvoir créer de nouveaux emplois dont certains de haute technicité. Si on veut arrêter la désindustrialisation de la France le moyen le plus efficace est d’innover dans les technologies durables. Avoir de la recherche de haut niveau, des ingénieurs compétents et des techniciens qualifiés est pour cela une nécessité.

Le patronat explique que la compétitivité est inversement proportionnelle aux salaires des travailleurs et aux charges patronales. Certes le coût du travail est une variable importante, mais la productivité dépend très largement des investissements et de la compétence des travailleurs et des cadres. La capacité d’innovation en lien avec la recherche et le niveau des infrastructures joue aussi un rôle très important dans la capacité à fabriquer à coût raisonnable des produits de qualité. Le succès d’Airbus n’est pas lié à la faiblesse des salaires ni à l’absence de charges patronales, mais à une longue synergie entre la ville de Toulouse, ses écoles d’ingénieurs, la recherche publique et un tissu industriel qui a su préserver des techniciens qualifiés. Ce secteur devra lui aussi faire preuve d’innovation et d’excellence pour adapter les avions aux nouvelles exigences environnementales, notamment en terme de consommation énergétique et de production de CO2.

Paradoxalement concilier croissance, justice sociale et environnement est la meilleure solution pour sortir de l’ornière actuelle. Croire qu’il faut sacrifier l’environnement et la justice pour relancer au plus vite la croissance économique serait une erreur grave qui ne ferait que nous mettre un peu plus en difficulté pour affronter la prochaine crise que le système financier est certainement en train de mijoter