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  Résumé de "Démêler le vrai du faux sur la flambée des prix agricoles mondiaux"

lundi 19 mai 2008, par Jacques Berthelot

Jacques Berthelot (jacques.berthelot4@wanadoo.fr),

Solidarité http://solidarite.asso.fr

I – Classement des causes de la flambée récente des prix agricoles

On peut distinguer les causes liées à l’augmentation de la demande de celles liées à l’insuffisance de l’offre ou à la hausse des coûts, sachant que certaines causes ont eu des effets à court terme alors que d’autres correspondent à des tendances de long terme.

1) – Causes liées à la demande

a) La cause essentielle a été l’envolée de la production de biocarburants depuis 2006 qui a réduit les volumes de céréales et oléagineux disponibles pour l’alimentation humaine directe et entraîné la hausse des prix des produits animaux consommateurs d’aliments du bétail.

b) La hausse de la consommation des produits alimentaires, notamment de produits animaux, et donc de "grains" (céréales et oléagineux), est certes liée à la hausse rapide du niveau de vie des pays émergents comme la Chine et l’Inde mais c’est une tendance à l’œuvre depuis longtemps qui ne peut rendre compte de la flambée récente des prix agricoles.

La croissance de la population mondiale à long terme – de 6,6 milliards en 2007 à 9,3 milliards en 2050, qui concernera les seuls PED – n’est pas responsable de cette flambée. Mais elle évoque les difficultés à venir pour satisfaire les besoins en 2050, alors que 854 millions d’humains souffrent encore de sous-nutrition chronique et que plus de 2 milliards souffrent de malnutrition (déficit en protéines, vitamines ou oligo-éléments).

c) Plus récemment la spéculation financière massive sur les prix des matières premières agricoles (et non agricoles, dont le pétrole) liée à la chute des valeurs mobilières, du marché immobilier des Etats-Unis (EU) ("subprimes") et à la dépréciation du dollar.

d) Mais aussi la spéculation des commerçants et des consommateurs anticipant la poursuite de la hausse des prix, et les importations gouvernementales de pays comme les Philippines pour décourager la spéculation des commerçants nationaux.

2) – Causes liées à l’offre

a) Les baisses de production :

- à court terme, celles dues à des calamités naturelles (sécheresse ou pluviométrie excessive),

- ou, en tendance depuis plusieurs années, des hausses de production inférieures à celles de la demande, entraînant la baisse des stocks, du fait du plafonnement des rendements et surtout d’une moindre compétitivité due à des importations à prix de dumping. C’est l’aberration des règles des échanges agricoles – promues par la Banque mondiale, le FMI, l’OMC et les pays développés – ayant obligé les PED à réduire leur protection à l’importation tout en autorisant le dumping des pays développés camouflé sous des subventions agricoles internes massives.

b) La flambée des prix du pétrole : qui a renchéri le coût des intrants agricoles et les frais de transport et qui a justifié les décisions politiques d’accélérer la production de biocarburants.

c) Plus récemment les restrictions ou embargos à l’exportation de produits agricoles d’un grand nombre de pays exportateurs pour garantir la sécurité alimentaire de leurs citoyens à un prix raisonnable, et qui ont accéléré la flambée des prix.

II – La responsabilité des principaux pays dans la flambée des prix agricoles mondiaux

Les médias occidentaux imputent une responsabilité importante à la Chine et à l’Inde du fait de la forte hausse de leur consommation alimentaire liée à leur forte croissance économique. La responsabilité écrasante incombe aux EU et à l’UE.

1) La Chine

Les échanges de produits alimentaires de la Chine ont été excédentaires de 4 milliards de $ (Md$) en moyenne de 2000 à 2006, dont de 4,947 Md$ en 2006, 2004 ayant connu un léger déficit de 306 millions de $ (M$). En particulier elle a été exportatrice nette de céréales, sauf en 2004, mais était importatrice nette de 28 millions de tonnes (Mt) de graines oléagineuses et de 8,5 Mt d’huiles en 2006-07.

La Chine a-t-elle contribué à l’expansion des biocarburants ayant alimenté la flambée des prix des grains ? La réponse est nuancée. Si la Chine a produit 3,8 Md de litres de bioéthanol en 2006, dont 90% à partir du maïs, étant alors le 3è producteur mondial, elle a interdit en juin 2007 toute nouvelle production de maïs pour éthanol après la hausse de 42% du prix du porc en 2006. Elle a alors abaissé ses objectifs de 5 Mt d’éthanol en 2010 à 2 Mt, qu’elle peut produire aussi à partir de manioc, et sa production a effectivement baissé de moitié, à 1,82 Mdl, en 2007. Comme, malgré la production d’éthanol de maïs, la Chine a encore exporté beaucoup de maïs en 2007, on ne peut imputer à son éthanol une responsabilité dans la flambée des prix mondiaux des céréales.

Et comme la Chine n’a produit que 50 000 t de biodiesel en 2006 contre un objectif de 2 Mt en 2010, sa production de biodiesel n’est pas responsable de la flambée du prix mondial des huiles. Cependant, parce que, avant de réduire de moitié sa production d’éthanol en 2007, la Chine avait transféré au maïs 10% des superficies semées en soja et suite à des conditions climatiques défavorables, sa production d’oléagineux a baissé de 4,5 Mt en 2007, ce qui l’a obligé à augmenter ses importations de graines oléagineuses de 5 Mt et celles d’huile de 1,5 Mt en 2007-08. Toutefois la hausse du prix des oléagineux incombe bien plus aux EU puisque leur production de soja a chuté de 16 Mt en 2007.

La valeur ajoutée agricole de la Chine a augmenté de 4,5% par an de 2003 à 2007. Mais il y avait encore 154 millions de Chinois sous-nutris chroniques en 2002-04.

L’impact négatif de la Chine sur la flambée récente du prix des céréales doit donc être écarté même si ses importations accrues d’oléagineux ont eu un impact sur leurs prix mondiaux, mais bien moindre que la chute de la production de soja aux EU en 2007.

A long terme toutefois la Chine devra probablement faire face à un déficit accru de ses échanges agricoles. Mais la Chine a pris conscience de ces défis : hausse des investissements agricoles de 31% en 2007 et doublement des subventions agricoles en 2008 par rapport à 2004, à 79,2 Md$.

2) L’Inde

Elle a été exportatrice nette de produits alimentaires de 3,4 Md$ en moyenne de 2000 à 2006, dont 4,3 Md$ en 2005 et 2006. Les exportations nettes de céréales ont représenté en moyenne 1,337 Md$ soit 31% du total sur la période, mais sont tombées à 500 M$ en 2006, notamment parce que l’Inde a importé 6 Mt de blé alors qu’elle avait été exportatrice nette de 2,3 Mt de 2000 à 2005. Elle en a encore importé 2 Mt en 2007 et pourrait être excédentaire en 2008. Mais l’Inde exporte surtout du riz (4,7 Mt en 2006) et un peu de maïs (0,6 Mt en 2006).

Le déficit des échanges d’oléagineux a presque disparu en 2006 (0,3 Md$ contre 1,5 Md$ en 2003) car si l’Inde importe beaucoup d’huile de soja et de palme, elle exporte de l’huile d’arachide et de ricin et surtout des tourteaux d’oléagineux.

L’Inde est aussi exportatrice nette de viande et de produits laitiers. Au total l’excédent de la balance commerciale agricole a dû se maintenir en 2007-08.

L’Inde et les biocarburants : elle est devenue le 4è producteur de bioéthanol en 2006 avec 1,9 Mdl mais la production s’est effondrée à 200 Ml en 2007. Elle voulait couvrir 20% de ses besoins en diesel pour 2011-12 à partir de biodiesel tiré de l’huile non comestible de Jatropha cultivé sur terres arides, mais ce programme n’aboutira pas car le gouvernement a fixé un prix du biodiesel inférieur au coût de production des industriels qui paient aux agriculteurs un prix non incitatif. Le Ministre des finances a déclaré le 26 mars 2008 que c’est "de la folie de cultiver des aliments pour les transformer en carburant", ce qui laisse entrevoir l’arrêt de tout soutien gouvernemental.

Mais le dynamisme de la production agricole en Inde est bien moindre qu’en Chine et la valeur ajoutée agricole n’a augmenté que de 2,7% par an de 2003 à 2007. Que l’Inde soit exportatrice nette de céréales et que le taux de croissance du PIB ait dépassé 8% depuis 2004 n’empêche pas qu’elle continue à avoir 212 millions de sous-nutris chroniques en 2001-03 et que leur nombre a augmenté de 10 millions depuis 1995-97.

Si l’agriculture indienne aura bien plus de mal que la Chine à faire face à ses besoins alimentaires futurs, l’impact négatif de l’Inde sur la flambée actuelle des prix doit être écarté.

3) Les EU

Les EU ont accusé un déficit de leurs échanges alimentaires de 11,3 Md$ en 2006 (comme en 2005), notamment du fait d’un déficit en produits de la pêche de 9,7 Md$. Toutefois la flambée récente des prix agricoles leur permettra de retrouver un excédent en 2007 et 2008.

Les EU sont les premiers responsables de la flambée des prix agricoles et des émeutes de la faim par leur objectif dément de production de biocarburants et parce que les prix des grains des EU font les prix mondiaux sur lesquels les autres pays exportateurs s’alignent.

La production de maïs pour l’éthanol est passée de 41 Mt en 2005-06 à 79 Mt en 2007-08, soit de 14,4% de la production à 23,7% et atteindrait 33,2% (124 Mt) en 2015-16 pour remplir le mandat voté par le Congrès. Les chercheurs US estiment que cela fera encore monter le prix du maïs et impliquera des subventions accrues pour que la production d’éthanol reste rentable.

Liens entre la hausse de prix du maïs induit par l’éthanol et les prix des autres grains : la forte hausse de prix du maïs en 2006-07 a entraîné une forte hausse des surfaces et une récolte record en 2007, au détriment des surfaces de blé et soja dont les prix ont bondi davantage que celui du maïs, d’autant que leur coût de production est bien moindre que celui du maïs.

Il est clair qu’avec 79 Mt de maïs pour l’éthanol en 2007-08 – soit 23.7% de la récolte, 24% de plus que les exportations et 82,5% des exportations mondiales de maïs –, et puisque les prix FOB des EU font les prix mondiaux, les EU sont les premiers responsables de la flambée des prix mondiaux du maïs et des autres grains compte tenu de leurs effets de substitution.

Soulignons que l’USDA vient de reconnaître la responsabilité de l’éthanol de maïs dans la flambée des prix agricoles mondiaux .

Mais les EU sont aussi le premier coupable pour la flambée du prix des oléagineux en 2007-08 parce que le transfert au maïs de surfaces semées en soja a réduit la production de soja de 16 Mt in 2007, contre une réduction de 4,5 Mt en Chine.

Les EU font peser une menace d’autant plus forte sur les prix mondiaux à venir qu’ils n’ont aucune raison de stopper les biocarburants puisque la flambée des prix a fait bondir de 48% le revenu net agricole en 2007 et l’excédent des échanges agricoles à 11,9 Md$ contre 4,6 Md$ en 2006. Pour 2008 le revenu progresserait de 4% et l’excédent agricole bondirait à 24,5 Md$. Qui plus est le Farm Bill juste voté par le Congrès a accru les subventions aux biocarburants.

Mais le pire n’est jamais sûr puisque les trois candidats à la présidence des EU viennent de changer leur fusil d’épaule sur le soutien à l’éthanol de maïs, notamment le favori des sondages, Barak Obama, ce qui est d’autant plus remarquable que, sénateur au Congrès pour l’Illinois, deuxième Etat pour la production de maïs et de bioéthanol, il en a longtemps été un fervent promoteur.

4) L’UE

L’UE-27 prétend nourrir le reste du monde tout en pointant la Chine et l’Inde comme responsables importants de la flambée des prix agricoles ! Cette prétention est risible et affligeante car c’est l’UE, plus encore que les EU, qui reçoit une aide alimentaire nette massive des pays en développement (PED).

a) Les échanges alimentaires de l’UE sont déficitaires de 20,2 Md$ (16,1 Md€) en 2006 avec les produits de la pêche et de 3,5 Md$ (2,8 Md€) sans eux.

b) L’UE-27 est la 1ère importatrice nette d’oléagineux, loin devant la Chine : 17 Mt de graines oléagineuses (dont 15,3 Mt de soja), 27 Mt de tourteaux (dont 22,1 Mt de soja) et 8,2 Mt d’huiles (dont 1,4 Mt de soja) en 2006-07.

c) L’UE-27 serait importatrice nette de 12,4 Mt de céréales en 2007-08 : elle resterait exportatrice nette de blé pour 2,5 Mt mais ses importations nettes de céréales secondaires seraient de 13,9 Mt plus 1 Mt de riz.

d) Les biocarburants sont aussi responsables de la flambée des prix agricoles : l’UE a un objectif d’incorporation de 5,75% de biocarburants dans les carburants des transports en 2010 et de 10% en 2020.

i) Le biodiesel représentait en 2006 80% des biocarburants de l’UE (4,9 Mt contre 1,2 Mt pour le bioéthanol) qui a produit 77% du biodiesel mondial, loin devant les EU (0,8 Mt). Il a absorbé 64 % de l’huile de colza utilisée dans l’UE-25, la balance commerciale de graines de colza est déficitaire, l’UE importe 45% de ses besoins en huiles et ses importations ont doublé de 2000 (5,2 Mt) à 2006 (10 Mt). Cela a contribué à la hausse du prix des huiles, notamment de colza.

ii) La production de bioéthanol a atteint 1,77 Mdl en 2007, au 4è rang après les EU, le Brésil et la Chine. Comme la consommation a été de 2,7 Mdl en 2007, les importations du Brésil ont été de 1 Mdl, malgré un droit de douane de 0,26 $/l. Les 1,560 Mdl d’éthanol de l’UE en 2006 ont été produits à partir de 3 Mt de céréales et 0,8 Mt de betteraves. Mais l’objectif pour 2012 d’atteindre 10,1 Mdl d’éthanol nécessiterait 16 Mt de céréales 35 Mt de betteraves. Si l’éthanol a déjà contribué significativement à la hausse de leurs prix, il le fera infiniment plus d’ici 2012 si les objectifs sont maintenus.

L’INRA estime que, pour incorporer 5,75% de biocarburants en 2010 sans importations, cela nécessiterait 13 millions d’ha, soit 20% des surfaces arables actuelles, ce qui poserait des problèmes d’environnement et augmenterait beaucoup le prix du colza. A fortiori l’objectif de 10% pour 2020 aurait des répercussions difficilement imaginables sur les surfaces et les effets sur l’environnement, tant dans l’UE que dans les pays d’où viendraient les importations.

iii) Les critiques aux biocarburants de l’UE et en général : celles de la société civile exigeant un moratoire de la production et des importations de biocarburants dans l’UE et celles de politiques (Gordon Brown, Romano Prodi, Angela Merkel, le Parlement européen, le Commissaire à l’Environnement Stavros Dimas, l’OCDE, la Banque mondiale, le FMI et la FAO) ont conduit la Commission européenne à proposer des restrictions à l’importation d’huiles végétales de pays où leur production dégrade l’environnement, proposition que le Conseil devrait adopter le 7 mai 2008.

Mais la Commission européenne a rejeté le 14 avril 2008 l’affirmation de Jean Ziegler que la production de biocarburants est "un crime contre l’humanité", arguant que remettre en cause cette composante de son programme de lutte contre le réchauffement climatique remettrait aussi en cause son objectif de réduire de 20% en 2020 les émissions de gaz à effet de serre. La Commission suit les industriels des biocarburants qui nient tout impact sur les prix mondiaux.

Il ne faudrait pas en conclure à une condamnation de tout biocarburant mais de ceux qui font concurrence à la production alimentaire. Le biogaz issu de la méthanisation des déchets doit être encouragé à condition que, pour les "déchets" agricoles, on ne réduise pas le bilan du sol en matière organique, donc en lui restituant le compost qui en résultera. De même l’utilisation directe de l’huile brute dans les véhicules des producteurs peut être encouragée. Mais le bioéthanol de seconde génération, issu du bois et autres matières cellulosiques, s’il devient un jour rentable, ne devra pas réduire les terres aptes à la production alimentaire et devra être compatible avec un développement durable aux plans économique, social et environnemental.

5) Les autres responsabilités des EU et de l’UE dans les émeutes actuelles de la faim

a) Les EU et l’UE ont élaboré ensemble l’Accord sur l’agriculture (AsA) de l’OMC qui a ruiné les agricultures des PED Si, face à la flambée des prix alimentaires, le FMI, la Banque Mondiale, l’OMC et l’OCDE concluent à la nécessité de finaliser le Doha Round pour libéraliser davantage les échanges agricoles, en réalité c’est la forte baisse des protections agricoles conjuguée au dumping massif des exportations de l’UE et des EU qui ont accru la dépendance alimentaire des PED en ruinant leurs agriculteurs et industries alimentaires.

Non seulement les EU et l’UE font pression pour que les PED continuent à réduire leur protection sur l’importation des produits agricoles et non agricoles, mais l’AsA leur a permis de poursuivre un dumping massif de leurs exportations agricoles par deux mécanismes :

i) Par la définition du dumping et des subventions autorisées : pour l’OMC il n’y a pas de dumping tant qu’on exporte au prix intérieur, même s’il est inférieur au coût moyen de production. Cela a été la raison majeure des réformes de la PAC depuis 1992 : rapprocher les prix agricoles des prix mondiaux a permis à l’UE d’exporter sans ou avec peu de subventions à l’exportation. Cela a aussi été la raison majeure des Farm Bills depuis 1996 : baisser les prix intérieurs des "grains" pour éliminer les concurrents sur le marché mondial grâce aux aides (marketing loans, paiements contracycliques) compensant la baisse jusqu’à un prix minimum.

ii) Par la violation des règles de l’AsA et la non prise en compte des précédents de l’Organe d’appel de l’OMC : vendre à un prix inférieur au coût de production n’est possible que dans les pays riches qui compensent ces bas prix par des subventions internes "découplées" des niveaux de production ou de prix courants, autorisées par l’OMC. Aujourd’hui l’essentiel du dumping massif des EU et de l’UE réside dans les subventions internes aux produits exportés car les subventions spécifiques à l’exportation ont beaucoup baissé dans l’UE depuis les années 1990 et n’ont jamais été fortes aux EU. L’Organe d’appel de l’OMC a jugé depuis 2001 que le dumping doit tenir compte des subventions internes aux exportations et que les aides dites "découplées" ne le sont pas. Mais l’OMC ne considère pas les jugements de son Organe d’appel comme des précédents.

Ainsi sur des subventions totales au coton des EU de 5,1 Md$ en 2005, 4,8 Md$ sont internes dont 4,5 Md$ aux agriculteurs (le reste aux filatures). Comme 73,5% du coton a été exporté, 3,3 Md$ ont été des subventions internes au coton exporté versées aux agriculteurs, soit 93% des 3,6 Md$ des subventions totales au coton exporté, les exportateurs en ayant reçu 253 M$. Si les EU ont été condamnés à l’OMC à supprimer leurs subventions à l’exportation du coton en août 2006, ils ont maintenu 93% des subventions aux producteurs pour le coton exporté. Un constat semblable peut être fait pour les autres produits des EU et de l’UE.

En conséquence le maintien d’un très faible prix du coton explique en partie les émeutes récentes de la faim en Afrique de l’Ouest, à côté du dumping massif des produits alimentaires de base exportés par l’UE et les EU (blé, riz, sucre, oléagineux, produits laitiers, viande de volaille) qu’ils ont dû importer puisque ces pays ont été obligés d’abaisser énormément leur protection à l’importation sous les pressions du FMI et de la Banque mondiale, bras armé des EU et de l’UE qui en contrôlent à eux deux la majorité des voix.

iii) L’UE et les EU n’ont pas notifié à l’OMC leurs subventions aux aliments du bétail dans la catégorie des subventions astreintes à réduction : l’UE a "oublié" de notifier dans cette catégorie environ 10 Md€/an depuis 1995. Les EU ont aussi oublié de notifier ainsi les aides directes aux grains pour aliments du bétail pour environ 2 Md$ par an.

b) L’AsA comme la PAC et le Farm Bill ont consacré la dérégulation des marchés agricoles nationaux et internationaux, "le libre jeu des forces du marché" étant censé optimiser les prix pour tous les acteurs, et d’abord pour les consommateurs. Les gros perdants sont les petits agriculteurs, en particulier ceux des PED qui ne bénéficient pas comme leurs collègues du Nord de subventions massives même quand les prix sont élevés, et qui représentent d’ailleurs les ¾ des 854 millions de sous-nutris chroniques. Les seuls gagnants sont les firmes agroalimentaires mondialisées dont les profits ont grossi, notamment avec la flambée récente des prix agricoles : ceux de Cargill ont bondi de 86% sur novembre 2007-février 2008 par rapport à la même période d’un an plus tôt ; ceux d’ADM, premier producteur d’éthanol de maïs aux EU et un des premiers producteurs de biodiesel de l’UE, ont bondi de 65% de 2006 à 2007 ; ceux de Bunge, qui produit aussi du biodiesel dans l’UE, ont explosé de 750% sur décembre 2007-mars 2008 par rapport à la même période d’un an plus tôt.

c) La responsabilité la plus lourde de l’UE et des EU dans la progression récente et surtout future de la faim réside dans les accords bilatéraux de libre-échange imposés aux PED, notamment l’ALENA imposé aux agriculteurs mexicains par les EU depuis 1994 et les APE (Accords de partenariat économique) imposés aux pays ACP fin 2007. Les exportations de maïs des EU au Mexique, où la tortilla est la nourriture de base, sont passées de 0,9 Mt en 1991-93 à 8,8 Mt en 2006. Surtout les APE constituent la mèche qui allumera dans les années à venir une bombe dont l’explosion provoquera en Afrique sub-saharienne des émeutes auprès desquelles celles des dernières semaines apparaîtront insignifiantes.

6) Le Brésil

Pour le Président Lula, "Le vrai crime contre l’humanité serait de rejeter a priori les biocarburants, et de laisser les pays étranglés par le manque de produits alimentaires et d’énergie dans la dépendance et l’insécurité"… mettant en cause "l’impact négatif… des subventions et du protectionnisme dans le secteur agricole" .

Certes, étant tiré de la canne à sucre, le bioéthanol du Brésil, dont le volume talonne celui des EU, n’est pour rien dans la flambée du prix des céréales, ni même du sucre puisque son prix a baissé depuis 2006. Pour autant cela ne justifie pas l’éthanol de canne à sucre ni le biodiesel du soja du Brésil. Car ils confortent la monoculture industrielle, de plus en plus en OGM, des grandes firmes de l’agrobusiness en vue de l’exportation, au détriment des petites exploitations familiales, de la réforme agraire, des consommateurs, de l’environnement et de la biodiversité.

La croisade mondiale du Président Lula pour promouvoir les biocarburants s’explique aussi par leurs retombées économiques considérables pour le Brésil : forte hausse des profits de l’agrobusiness et des exportations alimentaires et d’éthanol, le Brésil ayant réalisé un excédent fabuleux de 50 Md$ de ses échanges agricoles en 2007. Le pire est que le Brésil trahit les PED en vendant son leadership pour un plat de lentilles puisque, dans ce contexte de prix agricoles élevés si rentables pour ses exportations, il cherche avant tout à finaliser le Doha Round qui lui ouvrirait de nouveaux marchés. En totale contradiction avec les objectifs de la majorité des PED qui priorisent la protection de leur marché intérieur.

Pourtant cette fuite en avant dans l’agrobusiness d’exportation largement contrôlé par les multinationales entraînerait des dégâts écologiques considérables, alors que deux chercheurs agro-météorologues brésiliens ont évalué les effets probables du réchauffement climatique sur la sécurité alimentaire. Une hausse de 5,8 degrés au cours du siècle réduirait de moitié les terres potentiellement utilisables pour produire du café, du riz, du haricot, du maïs et du soja et une hausse de 3 degrés les réduirait d’un tiers. Et ceci alors que les réserves de terres cultivables du Brésil et de l’Argentine sont considérées comme indispensables pour nourrir les 9,3 milliards d’êtres humains attendus pour 2050.

III - Le rôle de la spéculation financière sur les produits agricoles dans la flambée des prix agricoles

La flambée en deux ans de 120% à 190% de janvier 2006 à mars-avril 2008 des prix des céréales et oléagineux ne peut s’expliquer seulement par la baisse de 19% des stocks mondiaux de céréales, de 11% des stocks de graines oléagineuses et de 12% des stocks d’huiles – du fait notamment de leur utilisation pour les biocarburants – mais par une très forte spéculation financière qui a amplifié considérablement les fluctuations et s’est appuyée sur des anticipations auto-réalisatrices.

Comment expliquer autrement que par la spéculation la hausse en une seule journée du prix du riz de 31% le jeudi 27 mars 2008, passant de 580 à 760 dollars, ou de 29% du prix du blé HRW le 25 février 2008 ?

Selon le New York Times du 22 avril 2008, "Les prix des indices larges de commodités ont grimpé de 40 pour cent l’année dernière et les prix des grains ont gagné encore plus – environ 65 pour cent pour le maïs, 91 pour cent pour le soja et plus de 100 pour cent pour certains types de blé. Ce boom des prix a attiré un torrent de nouveaux investissements de Wall Street, estimés à au moins 300 milliards de $".

La Commodity Futures Trading Commission, qui surveille les marchés à terme des EU, "a découvert que les fonds de Wall Street contrôlent un cinquième des contrats à terme de commodités comme le maïs, le blé et le bétail vif sur les marchés à terme de Chicago, Kansas City et New York. Sur les marchés à terme de Chicago, par exemple, les fonds réalisent 47 pour cent des contrats à long terme sur les porcs en vif, 40 pour cent de ceux sur le blé, 36 pour cent de ceux sur le bétail vif et 21 pour cent de ceux sur le maïs. “Ce sont des chiffres qui vous laissent pantois” déclare Dan Basse, le président de AgResources, une firme de recherches agricoles de Chicago".

A côté de la spéculation sur les marchés financiers, il y a aussi celle des autres opérateurs, dont les agriculteurs et les exportateurs qui doivent faire face en outre à l’appréciation de leur monnaie nationale par rapport au dollar. Car les échanges agricoles se font essentiellement en dollars, y compris le riz entre pays asiatiques. Ainsi le dollar est passé de 40,77 bahts thaïlandais en janvier 2006 à 31 baths à la mi-mars 2008 et les exportateurs qui ont vendu à terme se plaignent des rétentions de stocks des riziculteurs et des rizeries, dans l’attente de la montée des prix, et ils doivent donc souvent acheter à un prix supérieur à leur prix de vente.

Enfin un autre effet pervers de la flambée des prix agricoles est l’explosion parallèle du prix des terres agricoles. Au Royaume-Uni "la valeur des terres agricoles a augmenté de 28 pour cent au second semestre 2007… et de plus de 10 pour cent dans les quatre premiers mois de 2008". Selon l’USDA le prix moyen des terres arables a augmenté de 13% aux EU en 2007 et devrait monter de 15% encore en 2008.

Comme les bulles spéculatives sur les marchés boursiers ou immobiliers, celle en cours sur les produits agricoles éclatera, d’autant que l’élasticité de la demande alimentaire est très faible et qu’une hausse minime de la production globale fera s’effondrer les prix. Déjà le prix du blé a chuté de 43% pour le HRW et de 33% pour le SRW entre la dernière semaine de février et la deuxième semaine de mai 2008. Mais la hausse des coûts de production et de transport des produits agricoles et alimentaires liée à la flambée du prix du pétrole maintiendra les prix à un niveau supérieur à ceux de la période antérieure.

Seule la refondation des politiques agricoles sur la souveraineté alimentaire sans dumping permettra de surmonter les défis du développement durable à long terme aux niveaux économique, social et environnemental.

18 mai 2008