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  "Science sans conscience n’est que ruine de l’âme"

La science comme enjeu politique

dimanche 9 mai 2021, par François Saint Pierre

Sujet classique de philosophie au bac, que les étudiants envisagent généralement comme concernant la responsabilité du scientifique dans ses recherches. Le savant fou qui passe outre le respect de la vie humaine en est la figure extrême. Mais la recherche est de plus en plus une aventure collective qui s’effectue au sein de grands laboratoires et les conséquences des découvertes scientifiques peuvent fortement impacter en bien ou en mal la vie de millions de personnes.

Comme dans tout métier, le chercheur doit, quand il travaille sur un sujet, respecter les règles morales élémentaires. En tant que citoyen, il doit aussi faire un effort de transversalité pour mesurer ses responsabilités et les conséquences possibles de son travail. Mais, au-delà de cette indispensable approche individuelle, la conscience dont parle Rabelais doit aussi se construire collectivement. En démocratie c’est le rôle de tous, mais plus particulièrement des médias, des intellectuels et des responsables politiques.

La science est à la base de la construction des connaissances qui ont permis pendant longtemps à l’humanité de progresser vers de plus en plus de qualité de vie. Depuis quelques années la science devient technoscience et l’instrument fondamental de la puissance économique et militaire dans la compétition internationale. Le principe de responsabilité de Hans Jonas (1) ou le principe de précaution, inscrit dans notre constitution, sont des symptômes de notre inquiétude devant les risques d’emballement d’un système productiviste hyper efficace. Comme si ce n’était plus le problème d’un savant fou, mais l’expression d’un doute profond sur la capacité de la science actuelle à œuvrer pour le bien commun.

Pourtant il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce n’est pas la science qui est nécessairement à mettre en cause, mais le pilotage de la science par ceux qui en ont la responsabilité. La croyance à l’autorégulation des marchés a conduit à un affaiblissement de la recherche fondamentale car les financements se sont portés vers des recherches qui semblaient rentables à court terme. Le chercheur est de plus en plus apparu comme un travailleur qui participe au système productif en oubliant que le processus de recherche n’a de sens que si on l’intègre dans un ensemble plus vaste et que sa participation à la croissance du PIB n’est pas son seul objectif.

L’autre tentation est de croire que la science est uniquement au service de la nation. Que les institutions scientifiques et les chercheurs participent à l’intérêt national est une évidence, mais cela doit se faire dans un cadre international, la science doit être au service de l’humanité et totalement indépendante des idéologies. L’affaire Lyssenko (2) et les délires expérimentaux de certains médecins nazis (3) sont des prototypes de la dérive que peut entraîner la soumission directe des scientifiques au pouvoir politique.

Pour éviter ces dangers il est important de respecter les processus de production de la science que la civilisation a élaborés au cours des siècles et que rappelle la Charte européenne du chercheur (4) publiée en 2005. Les deux principes sont une grande autonomie de la recherche, notamment dans le choix des sujets, et l’évaluation de la recherche par d’autres chercheurs indépendants des autorités administratives ou politiques. Si globalement le statut du chercheur reste solide, nombreux sont ceux qui sont inquiets de l’augmentation des pressions qu’exercent les pouvoirs économiques et politiques sur les chercheurs. La loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche, si elle semble vouloir revaloriser le financement de la recherche, a inquiété beaucoup de chercheurs sur l’évolution de leur statut, au moment même où le pouvoir politique contestait l’opportunité de certaines recherches en sciences sociales.

Le deuxième aspect important est l’organisation et le financement de la recherche. Si le chercheur doit être autonome, les institutions ou entreprises qui financent la recherche sont normalement soumises à des contraintes et à l’obligation de faire des choix. La pression pour maintenir une recherche de haut niveau et la volonté d’orienter les financements vers des objectifs stratégiques ne sont pas illégitimes, en revanche la responsabilité du pouvoir est de maintenir une bonne attractivité des métiers de la recherche ainsi qu’un un financement adapté aux besoins. Notre originalité, héritée de l’histoire, est d’avoir des organismes de recherche puissants, relativement déconnectés des universités et du système de formation des grandes écoles. Dans quelle mesure avons-nous intérêt à converger vers les standards internationaux est une vraie question politique, qui ne peut se résumer au choix idéologique d’une privatisation tout azimut, en mettant en avant les bienfaits de la concurrence entre les chercheurs.

Notre recherche reste de haut niveau, mais semble s’affaiblir en valeur relative, cela s’explique en grande partie par la montée spectaculaire de la Chine dans le monde de la science. Ce déclin relatif est inquiétant, car il risque d’entériner pour longtemps le recul de la France comme puissance économique et diplomatique. Mieux financer la recherche est une nécessité, même si on se place dans une logique de transition de notre modèle social et économique afin de résister au changement climatique ou à la perte de la biodiversité. Cela permettrait aussi d’optimiser le temps disponible des chercheurs, qui en perdent beaucoup à répondre à des appels à projets bien trop aléatoires.

Le lien entre les citoyens et la recherche ne doit pas se faire uniquement par la vulgarisation scientifique. La création de comités d’éthique dans les institutions de recherche ou l’orientation de certains laboratoires vers des recherches collaboratives, qui associent chercheurs et acteurs de la société civile est un pas en ce sens et cette démarche doit être poursuivie. Certaines associations et ONG ont compris que pour se faire entendre dans l’espace public, il était nécessaire d’utiliser des travaux scientifiques incontestables. La création d’instances de réflexions citoyennes ouvertes sur les enjeux de la recherche est essentielle. Les conférences citoyennes ont montré leur utilité en ce domaine, leur principale faiblesse étant leur côté exceptionnel. Il faudrait que la vie démocratique remette dans son agenda médiatique l’importance de la recherche et que nous fassions vivre collectivement l’idée fondamentale de la démocratie : le débat public doit s’organiser en toute liberté avec des arguments rationnels.

Presque cinq siècles après Rabelais il est nécessaire de revisiter cette question de la responsabilité que nous avons vis-à-vis de la recherche. Nous ne sommes pas tous capables d’être des scientifiques, mais nous devons tous être conscients de l’importance d’une recherche de qualité pour notre avenir commun.

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Pr...

(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Trofi...

(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C...

(4) https://euraxess.ec.europa.eu/jobs/...