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  Alimentation : transition ou révolution ?

jeudi 28 octobre 2021, par François Saint Pierre

Si pratiquement pour certains se nourrir n’est pas un problème, pour beaucoup c’est au quotidien une vraie difficulté, difficile à résoudre tellement les arbitrages entre le coût, le plaisir, le temps disponible et les enjeux de santé sont complexes. Cette question est en plus éminemment politique ; la production, le contrôle, le stockage et la distribution de biens alimentaires sont des choix collectifs qui ont des effets quasi immédiats sur nos vies, mais aussi des effets importants sur l’environnement et le climat. Après la deuxième guerre mondiale, les tracteurs, les engrais et les pesticides ont permis la "révolution verte" qui a augmenté de manière considérable la production d’une alimentation standardisée. Pour des logiques de rentabilité et pour accompagner le développement urbain, cette abondante production a fait évoluer le système de distribution vers le supermarché et l’hypermarché. La globalisation du commerce a, petit à petit, reconfiguré, même dans les pays pauvres, le système alimentaire mondial.

Système qui nous permet de manger des fruits toute l’année, mais qui pousse parfois le paysan des pays pauvres à privilégier les cultures d’exportation aux cultures vivrières. Système qui fait largement dépendre la qualité de l’alimentation des moyens financiers, accentuant les inégalités sociales sur un besoin fondamental. Système qui a obtenu son efficacité et sa rentabilité en raison d’une utilisation excessive des produits chimiques et pétroliers. Système qui a conduit à produire de la viande sur le modèle industriel, sans aucun souci du bien-être animal. Système qui a conduit à une dégradation durable de la biodiversité, à une baisse de la qualité des sols et au réchauffement climatique. Système sensible aux effets de la spéculation financière et aux enjeux géostratégiques, notamment sur la possession des terres. Bref une "révolution verte" longtemps vantée par les dirigeants mondiaux qui apparaît de plus en plus sur le long terme comme un échec.

Comment nourrir, dans trente ans, de façon saine, sûre et équitable, dix milliards d’humains sur une planète qui se réchauffe et perd sa biodiversité ? Le modèle actuel n’est pas tenable et une transition en douceur n’est plus possible car nous avons trop attendu. Le dernier bilan de l’accord de Paris montre que face à l’urgence on ne peut se contenter de quelques promesses.

La transition est la première option. Circuits courts, bio, agriculture périurbaine, marchés de producteurs, agriculture raisonnée, remplacer le pétrole par l’électricité, de quoi permettre à ceux qui ont quelques moyens de mieux manger et de participer à l’effort environnemental. Dans cette hypothèse, la vitesse de la transition est-elle à la hauteur des enjeux ? Certainement pas pour le climat et la biodiversité, ni pour les 800 millions de sous-alimentés. Dans nos démocraties néolibérales la question de l’alimentation passe bien après les enjeux sécuritaires ou de pouvoir d’achat. Le système productif agricole n’est que partiellement dans le champ du libéralisme économique et encore moins dans l’espace du débat politique démocratique. En France l’autonomie alimentaire n’est pas vu comme la nécessaire résilience d’un système qui devrait favoriser l’autonomie de la production locale tout en défendant les intérêts communs au niveau national, mais comme un pouvoir discrétionnaire des gouvernants dont l’objectif premier est de plaire aux lobbies de l’agro-alimentaire et de la distribution.

L’alimentation étant au cœur de notre fonctionnement social, c’est tout notre mode de vie et notre organisation sociale qu’il faut repenser. Le risque d’une stratégie inadaptée n’est pas, comme par le passé, la survenue de quelques famines localisées, mais une dégradation excessive de la qualité de vie sur notre planète. Des révoltes sociales incontrôlables pourraient conduire à un effondrement de notre civilisation. Scénario digne des prévisions les plus sombres des collapsologues.

La deuxième option doit nécessairement permettre de transformer le système alimentaire en dépassant les logiques du marché. Que ce soit sur la propriété de la terre, sur la qualité de la production agricole, sur les émissions de CO2, sur l’usage des pesticides et sur les modes de distribution, on ne peut se contenter, contrairement à la doxa libérale, d’une régulation par les prix. Certes il y a quelques régulations étatiques ou européennes, mais qui se contentent le plus souvent de gérer les anomalies importantes. L’excès d’étatisme n’encourage pas les initiatives locales qui ne correspondent pas au modèle dominant. Le local qui a en responsabilité le maintien des terres agricoles, les circuits de distribution et qui gère de nombreuses cantines doit prendre toute sa part à la transformation radicale du système. La relocalisation doit se faire à toute les échelles, y compris celle de la proximité. De même les organisations mondiales comme la FAO ou l’OMC doivent avoir plus de force pour lutter contre les mauvaises pratiques de certains États ou de certaines multinationales. L’autonomie alimentaire doit être un bien commun mondial à disposition de tous et ne plus être une arme géostratégique ou un privilège de riches.

Tenir compte de toutes les externalités négatives sur l’environnement et rendre le système plus juste, obligera à restreindre certaines consommations, même pour ceux qui en ont les moyens. En moyenne un américain mange 8 fois plus de viande qu’un kényan, au-delà des problèmes de santé causés par une consommation excessive ou des conditions lamentables des élevages industriels, c’est l’impact sur le climat et la capacité de nourrir l’humanité qui est en jeu. Toute la chaîne alimentaire a été organisée avec une logique productiviste permise par un faible coût de l’énergie. Une consommation plus responsable, plus locale, plus économe en énergie, avec plus de légumineuses et moins de viande, doit être encouragée à tous les échelons de l’organisation sociale.

La problématique alimentaire se recoupe grandement avec les enjeux climatiques, énergétiques et de baisse de la biodiversité, il est donc nécessaire de lier ces questions dans une vision politique de notre avenir. Si on continue à pratiquer la politique de l’autruche, en laissant le système s’autoréguler essentiellement par le marché, la métaphore de la fin du monde rejoindra le réel de la fin du mois, mis en avant par tous ceux qui sont économiquement à la peine.