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  Du modèle social français à l’harmonisation fiscale européenne

mercredi 2 novembre 2005, par François-Xavier Barandiaran

Le débat sur le « modèle social français » est irréel et douloureux :

- irréel, parce que , si l’on s’en tient aux discours, tout le monde en France est favorable à son maintient, depuis la gauche de la gauche jusqu’au Premier ministre qui s’est érigé, lors de sa conférence mensuelle du 27 octobre, en défenseur du modèle social français et de sa modernisation. Donc, peut-on en conclure qu’il ne peut y avoir de confrontation devant une telle presque unanimité, -excepté Sarkozy, mais nous y reviendrons- ?

- douloureux, parce que, d’une part, le constat quotidien que chacun peut faire met de plus en plus en évidence les carences et les échecs de notre système face à l’insécurité sociale : chômage massif, système scolaire inégalitaire, société de plus en plus hiérarchisée en castes, ghettoïsation des pauvres, incapacité à intégrer les immigrés, etc.. Et, d’autre part, parce que le grignotage des services publics se poursuit inexorablement, avec la dérégulation du droit social (notamment avec les « contrats nouvelle embauche » qui donnent le droit aux patrons de licencier sans motif pendant une durée de deux ans), la fiscalité ouvertement « classiste » donnant encore des avantages aux possédants, la sécurité sociale à deux vitesses…

Il est, aussi, éprouvant pour les femmes et les hommes de gauche, qui militent pour maintenir les « avantages acquis », comme une armée presque défaite qui se bat en retraite en essayant de sauver ce qui peut l’être, par manque de véritable projet politique et de perspective de création d’une Europe sociale.

Défaitisme ? Non, tout n’est pas perdu ! A preuve, le « non » français et hollandais au référendum sur la constitution, qui a stoppé la dérive d’une Europe marchande. A preuve, aussi, le profil bas adopté par Blair, pendant les six mois de présidence du Conseil européen, obligé dan son propre pays à renoncer au projet de loi qui devait retarder l’âge de la retraite de 60 à 65 ans pour certains fonctionnaires. A preuve, la grève générale en Belgique ces jours-ci contre la réforme de la pré-retraite de 58 à 60 ans. A preuve, encore, les centaines de collectivités publiques qui en France se déclarent « zone hors ACGS », demandant un moratoire sur les négociations qui visent à privatiser tous les services.

Néanmoins, les temps s’annoncent difficiles. Face au choc de la mondialisation et au vieillissement des populations, tous les pays cherchent à remodeler leur système social : pensons à la grande majorité d’électeurs allemands, qui ont forcé les deux principaux partis à un compromis entre le projet très libéral de la CDU-CSU et le bilan de Schröder (réductions des indemnisations de chômage de 32 à 12 mois, ticket modérateur pour les consultations chez le médecin et l’achat des médicaments, retraites gelées, etc..)

Question : jusqu’où faut-il céder pour favoriser la croissance et l’emploi ?

- le modèle anglo-saxon, depuis les années Thatcher, et plus modérément avec Blair, a cédé complètement devant la mondialisation : flexibilité totale et protection sociale minimum ;

- le modèle scandinave maintient un haut degré de protection sociale, moyennant un fort taux de prélèvements obligatoires qui dépassent 50% : la liberté de licencier est compensée par une forte indemnisation du chômage, et surtout par le soutien et l’encadrement du statut du salarié licencié ;

- le modèle français et allemand (ils se ressemblent de par la place prépondérante que l’État y occupe : dans un cas, à cause des nationalisations d’après 1945, et, dans l’autre, depuis sa création par Bismarck), qui offraient une réglementation stricte du droit du travail et une couverture ample des risques sociaux, reculent, aujourd’hui, avec un taux de croissance et de création de richesse faible.

Certains, en France, lorgnent du coté du modèle scandinave et surtout anglo-saxon, comme si chaque système n’avait pas sa cohérence propre, ne pouvant pas être copié comme une recette de cuisine ! En particulier Sarkozy - et certains politiciens se prétendant de gauche, ce qui est beaucoup plus inquiétant !- voudrait imiter « ce qui réussit » au Royaume Uni, prônant, même, une « rupture » avec le modèle social Français. C’est une véritable fascination qu’exerce, aussi, sur beaucoup de journalistes économiques le modèle le plus inégalitaire qui soit, où la nécessité d’avoir plusieurs jobs pour survivre n’a pas fait reculer la pauvreté. De plus, pour l’année 2005, le taux de croissance, tant envié des britanniques depuis quelques années, tomberait selon les derniers pronostics à environ 1,5%, soit à peu près celui de la France ! On comprend mieux pourquoi Blair, qui rêve de faire de son pays « le phare du XXIè siècle », n’a pas transformé sa présidence de l’Europe en marche triomphale !

En un mot, il est patent pour un militant de gauche que le salut ne peut pas venir de pays où la précarité généralisée et la débrouillardise individuelle sont la rançon de la soi-disant réussite économique. Pour citer un autre pays, je parlerai de l’Espagne où, avec un taux de croissance de 3,3%, les 900.000 postes de travail créés depuis un an ont été assortis de contrats à durée déterminée dans une proportion de 80%.

Mais, si nous avons inscrit ce sujet à l’ordre du jour du prochain « café politique », c’est que nous pensons qu’il peut y avoir confrontation de points de vue différents. Est-il interdit aux citoyens de gauche de s’interroger sur la modernisation de la fonction publique ? Est-ce que la seule propriété par l’État de tel ou tel service public garantit son bon fonctionnement et le service rendu aux usagers ? S’il est évident que l’application des lois du marché, et notamment celle de la rentabilité, n’est pas conciliable avec la mission des services publics, peut-on, pour autant, faire fi de l’efficacité des dits services ? Qui d’entre nous n’a pas entendu souvent, de la part de gens mécontents devant les lenteurs ou l’inefficacité d’une administration, formuler la critique suivante : « Ah, c’est normal, ce sont des fonctionnaires » ?

On peut fustiger la privatisation de la SNCM et des autoroutes ou le « bradage » d’EDF et se demander, en même temps, dans quels services et à quelles conditions le « marché » pourrait intervenir, ne serait-ce que pour mettre en application des normes européennes sur les services que l’UE appelle « d’intérêt général » ? Pourquoi la gauche n’a pas su créer des comités d’évaluation, mettant autour d’une table des élus, des syndicalistes, des experts, des associations d’usagers, à propos du bon fonctionnement des services publics pour les innover et répondre mieux aux besoins de la population ? C’est un peu fort que ce soit un Premier Ministre de droite qui institue une charte des services publics pour évaluer leur efficacité !

A partir des modèles qui fonctionnent dans les divers pays d’Europe y aura-t-il un jour un modèle social européen ? Pour ceux qui croient encore en l’Europe c’est à souhaiter. Mais, force est de constater qu’elle n’en prend pas, pour le moment, le chemin, puisqu’il ne peut pas y avoir d’Europe sociale sans harmonisation de la fiscalité. Or, ce à quoi nous assistons, sauf dans les pays scandinaves, c’est à une baisse générale des impôts directs et à une hausse tendancielle des impôts indirects autour de 20%. Selon V.Drezet, secrétaire du Syndicat national unifié des impôts, dans le n°873 de Politis : « en matière d’imposition des revenus, entre 1986 et 2002 la baisse a atteint 10 points en Espagne, 11 points en Italie, 12 points aux Pays Bas, 15 points en France et en Allemagne, 18 points en Belgique et 20 points en Grande-Bretagne ». Et, en France, la réforme fiscale annoncée pour 2OO7 accordera 70% des baisses aux 20% les plus riches !

Cela augure des lendemains calamiteux pour les modèles sociaux français et européen. Ce cadeau fait aux riches coûtera très cher aux pauvres, parce que l’impôt sur le revenu, en étant progressif, est le seul moyen qui reste à l’État de redistribuer la richesse et d’assurer un minimum d’équité et, par conséquent, de cohésion sociale. En empruntant cette voie ce n’est pas vers une Europe sociale qu’on avance, mais vers une guerre concurrentielle de tous contre tous. Ils l’ont bien compris les 10 derniers pays venus à l’UE, qui pratiquent à qui mieux mieux le dumping fiscal.