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  Réforme des retraites : une crise démocratique

vendredi 3 février 2023, par François Saint Pierre

Lors de l’élection présidentielle de 2022, le candidat Macron a exprimé son intention de mettre progressivement l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Le gouvernement a ensuite rapidement proposé une loi dans l’esprit du programme politique du Président élu. Les parlementaires qui soutiennent le gouvernement, alliés aux élus de droite, semblent décidés à voter cette loi via un procédé certes constitutionnel, mais normalement marginal dans le fonctionnement de nos institutions.

Malgré de longues explications dans les médias pour justifier la nécessité de cette réforme pour sauver le principe de la répartition, la grande majorité des français n’a pas été convaincu. Comme cette réforme impacte fortement la vie quotidienne, nombre de travailleurs se sont mobilisés pour empêcher le vote et l’application de cette loi, qu’ils jugent non pertinente et injuste.

Dans une logique totalement représentative, malgré le droit de manifester ou de faire grève, le désaccord du peuple ne peut être pris en compte que par l’intermédiaire des représentants. Les grèves et les manifestations n’ont comme seul horizon politique les nuisances qu’elles entraînent, qui peuvent faire fléchir le pouvoir. Cette situation ubuesque est contraire à l’idée fondamentale que la démocratie c’est le pouvoir du peuple. Les représentants sont normalement choisis pour rendre effective la volonté majoritaire, sans mépriser les minorités et non pour être des autocrates pendant la durée de leur mandat.

Il est toujours difficile de savoir ce que veut le peuple. L’élection des représentants est un des indicateurs, les avis des corps intermédiaires (syndicats, associations, institutions indépendantes) et les diverses opinions exprimées dans les médias sont aussi d’autres moyens d’entendre des avis qui ne sont pas basés sur l’appartenance à un parti. Le peuple peut aussi exprimer son mécontentement par des manifestations dans la rue ou lorsque exceptionnellement le pouvoir l’autorise, par des pétitions ou des référendums. Notre Constitution laisse la place à ces trois aspects, mais de manière extrêmement inégale. De plus, la forte présidentialisation de notre système politique favorise le biais des capacités financières dans les campagnes électorales et induit ensuite une surreprésentation des classes les plus aisées dans tout le système représentatif.

Les partisans de la réforme des retraites proposée par le gouvernement pensent que cette réforme n’est pas discutable, car elle découle du programme d’Emmanuel Macron. Si le parlement la vote, elle deviendra pour eux totalement légitime. Point de vue radical qui revient à dire que le droit de manifester publiquement existe, mais qu’il n’a aucune valeur dans l’élaboration des décisions publiques, même si l’importance des manifestations corrobore l’opinion mesurée par les sondages. Lorsque de nombreux corps intermédiaires émettent des critiques assez vives, ces derniers sont renvoyés à leur manque de légitimité, car ils appartiennent à la sphère de la démocratie participative et délibérative qui n’existe quasiment pas dans notre Constitution.

Cette position excessivement rigide s’apparente aux dérives autoritaires de certains pays dits illibéraux, qui sont des "tyrannies de la majorité". En France, l’expression de la volonté populaire est beaucoup trop concentrée sur l’élection présidentielle. Plutôt que d’avoir un garant de l’État de droit qui impulse une vision de l’avenir, on a l’impression que l’élu doit être un sauveur de la Nation, omniscient et doté d’une Infaillibilité pontificale. Voter pour lui, c’est accepter l’intégralité de son programme et reconnaître la légitimité de toutes les décisions qu’il sera amené à prendre au cours de son mandat. L’excès de délégation conduit à des contradictions triviales comme dans le cas de cette réforme. Comment peut-on faire semblant de croire qu’en élisant Macron le peuple français a exprimé le choix de prolonger de 2 ans l’âge de départ à la retraite ?

Notre Constitution a évolué à plusieurs reprises, mais elle reste toujours fondée sur l’importance primordiale du système représentatif, avec l’élection déterminante du Président de la République. Si beaucoup de français, tout en critiquant durement les Présidents successifs, défendent encore cette élection, il me semble que la situation actuelle démontre la nécessité de faire évoluer radicalement notre Constitution. Une part de démocratie représentative est indispensable, mais elle doit être plus parlementaire que présidentielle. Il faut par ailleurs faciliter le fonctionnement des corps intermédiaires et valoriser leur parole dans une logique de démocratie participative effective. Il faut aussi favoriser les mécanismes institutionnels qui permettent au peuple d’avoir l’initiative de s’exprimer par référendums ou par pétitions sur des sujets problématiques. La démocratie doit se vivre en continu et dans tous les secteurs de la vie sociale et non uniquement sur le choix du sommet de l’État, pendant quelques mois tous les 5 ans.

Si on ne fait pas l’effort de redonner de l’initiative et du pouvoir au peuple, notre système politique risque de favoriser l’abstention et la montée d’un populisme de plus en plus radical. À terme cela ne peut qu’affaiblir la légitimité de notre état de droit. En période de croissance économique ce risque pourrait paraître bien faible. Mais dans la situation actuelle, où les perspectives de dégradent de plus en plus, la possibilité d’une réaction populaire incontrôlable n’est pas à écarter.

Le centre libéral et la droite conservatrice défendent les intérêts économiques des classes aisées en justifiant les inégalités sociales par l’efficacité du système. Leur puissance financière leur permet d’avoir des haut-parleurs médiatiques bien plus puissants que ceux qui essayent de faire entendre la voix des classes populaires. Cependant, l’inflation et les inquiétudes sur l’avenir liés aux crises climatiques et géostratégiques, rendent le récit du pouvoir de moins en moins crédible. Le passage en force de cette loi sur les retraites ne dévoile-t-il pas simplement l’hypocrisie des classes aisées, qui à coup de théorie du ruissellement et d’admiration pour les milliardaires, font croire depuis trop longtemps aux électeurs qu’elles méritent l’accès au pouvoir ?