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  Tristes préparatifs de Copenhague 2009

samedi 28 novembre 2009, par François-Xavier Barandiaran

C’est le sentiment affligeant que l’on a quand on analyse les négociations qui ont eu cours lors des rencontres internationales de Bali, Poznan et Barcelone, en préparation du sommet de Copenhague. Tellement les intérêts et les antagonismes économiques nationaux l’emportent sur la nécessité urgente d’un accord pour sauver la planète. Si bien qu’à quelques jours de l’ouverture de ce sommet, où 192 pays, sous l’égide de l’ONU, vont donner une suite aux accords de Kyoto, tout le monde pronostique un échec. Ou un demi-succès, si en lieu et place d’un accord contraignant et chiffré, on devait se contenter d’une déclaration politique qui inciterait seulement les participants à poursuivre la négociation pendant l’année 2010. La réunion de Copenhague ne serait, ainsi, qu’une étape de plus. Donc, une année perdue, alors que « la maison brûle » et que selon Kuman Pachauri, président du GIEC, en 2014 les jeux seront faits. En effet, ce chercheur, qui figure –il est vrai- dans le camp des plus pessimistes, avait déclaré en 2007 : « pour contenir la hausse des températures en deçà de 2° degrés il ne nous reste que 7 ans pour inverser la courbe mondiale des émissions des gaz à effet de serre » (GES).

On entend déjà les déclarations triomphantes de certains dirigeants qui se satisferont parce que du 7 au 18 décembre on comptabilisera assez d’avancées pour pouvoir continuer à négocier pendant l’année 2010. Avancées probables, quand on voit qu’à l’approche du rendez-vous de Copenhague, certains pays, tels des joueurs de poker, abattent les dernières cartes plus favorables que les positions maintenues pendant les rencontres préparatoires : c’est le cas des USA et de la Chine ou l’activisme de notre Président qui ces jours-ci parcourt le monde pour apparaître comme le plus fervent des écologistes. En réalité, les pays industrialisés jouent à gagner du temps !

C’est hallucinant, quand on sait que pour une augmentation actuellement inférieure à 1° ce réchauffement provoque pas mal de catastrophes locales et les premiers millions de « réfugiés climatiques ». Les accords de Kyoto, suivis par ceux de Copenhague, espérons-le, se sont donné pour objectif de ne pas dépasser 2°, sans quoi se déclancherait une cascade de conséquences mettant en danger l’avenir de l’homme sur la Terre. On dirait que nous sommes pris dans une spirale infernale qui nous rend incapables de changer de trajectoire ! Il y a quelques jours le journal Le Monde, en parlant du dernier rapport de l’Agence Internationale de l’énergie qui prévoit qu’en 2030 les énergies fossiles représenteront encore 80% de l’énergie consommée dans le monde, affirmait : « ce document est un cri d’alarme, pour ne pas dire de désespoir ».

Et les négociations d’avant Copenhague continuent de patiner ! Et les pays riches rechignent à payer pour les pays pauvres (l’ONU calcule qu’il faudrait 240 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour permettre à ces pays de continuer à progresser et d’accéder aux biens fondamentaux : eau, nourriture, santé, éducation… en n’augmentant pas proportionnellement les émissions de GES). Les pays pauvres refusent, à juste titre, de renoncer à leur développement, alors qu’ils ne sont pour rien dans l’origine du problème, fruit de l’accumulation dans l’atmosphère des GES depuis la révolution industrielle de l’Occident, qui a été rendue possible par la spoliation des énergies fossiles. C’est ainsi que le G77 a claqué la porte à la réunion de Barcelone. Les pays émergeants, comme la Chine, l’Inde, le Brésil….conscients de l’importance de l’enjeu acceptent le principe de contribuer à la solution du problème du climat, mais attendent les engagements chiffrés et contraignants des pays développés pour annoncer les efforts qu’ils sont prêts à réaliser.

Même l’Europe, qui avait été à la pointe lors des accords de Kyoto, a du mal à maintenir son leadership : les européens sont favorables à un accord juridique contraignant faisant suite à Kyoto (prenant 1990 comme niveau de référence), mais refusent à procéder au chiffrage de ce que chaque pays devra mettre dans la corbeille pour aider les pays pauvres à faire face aux conséquences du réchauffement climatique et prétendent que les pays non développés participent non pas en fonction de leur richesse (il faudrait dire, plutôt, de leur pauvreté !), mais en fonction de leur niveau d’émission de GES. On va même jusqu’à envoyer à la figure des pays pauvres et émergeants le reproche qu’actuellement ils sont les plus gros pollueurs. C’est proprement scandaleux ! Quant aux pays de l’est de l’Europe ils ne veulent pas mettre un kopeck. Ainsi, l’Europe veut apparaître comme leader et modèle, mais est plus prodigue en paroles qu’en actes.

Quant à la France, elle cherche à faire accepter par l’Europe l’idée de la taxe carbone, mais d’autres pays, encore plus libéraux, lui opposent les accords de l’OMC et « les règles internationales du commerce ». Le Président Sarkozy, allié au Président Lula, cherche à rallier les pays du G77 pour sauver le sommet de Copenhague, ce qui donnerait à notre pays un rôle pilote. Seulement il a oublié de se concerter avec la Suède qui préside l’Europe et avec le Danemark qui sera l’hôte de la conférence !

Pourtant, des pas importants ont été franchis depuis les premiers accords de Kyoto en 1997, où le protocole avait été signé seulement par 39 pays. La nouveauté affecte en premier lieu les USA. Contrairement à Bush, qui niait le réchauffement et avait déclaré que jamais les EU ne sacrifieraient leur niveau de vie, Obama déclarait le 26 janvier 2009, peu après son entrée en fonction, lors d’un discours sur l’énergie et le climat : « Mon Administration ne niera pas les faits…nous devons prouver clairement au monde que l’Amérique est prête à montrer le chemin…parce que ce moment de péril doit être transformé en un moment de progrès ».

Depuis, il a annoncé un plan climat qui, entre autres, prévoit pour 2016 que les voitures américaines (finies les berlines gourmandes en gallons d’essence !) ne devraient pas consommer plus de 6,6 litres/100 km. Mais, le Congrès renâcle à légiférer et tant que le Sénat n’aura pas voté la loi sur les réductions de GES, Obama n’ira pas plus loin que le 17% par rapport au niveau de 2005 qu’il vient d’annoncer en même temps que son passage à Copenhague au début de la réunion internationale. D’ailleurs, aussitôt la Chine a fait savoir qu’elle envisageait de diminuer l’intensité en carbone de 40% à 45% (année de référence 2005). Ces annonces de dernière minute permettront aux négociations de s’ouvrir sous de meilleurs augures.En réalité, ces deux pays, qui occupent les premières places dans l’économie mondiale et qui sont aussi les deux plus gros pollueurs de la planète, se mesurent en se tenant par la barbichette : tu achètes mes millions de produits manufacturés et je finance ton déficit en achetant des milliard de dollars en Bons du trésor. Mais, sans ces deux pays rien d’efficace ne sera possible dans la lutte contre le réchauffement, qui, lui, ne connaît pas de frontières. La Chine vient de dépasser les USA quant à l’émission de GES et son marché intérieur est en pleine expansion : en 2007 il s’est vendu en Chine 8,8 millions de voitures, soit 22% de plus que l’année précédente. A ce rythme bientôt il y en aura autant qu’aux USA (200 millions). Et, malgré la crise, le taux de croissance pour 2009 va approcher 10%. Mais un chinois émet cinq fois moins de GES qu’un nord-américain !

L‘Inde est prête à faire des efforts, tout en rappelant qu’elle a encore 900 millions d’habitants vivant avec moins de deux dollars par jour et que son taux d’émission de GES est l’un des plus bas du monde : un indien rejette 1,1 tonne par an de CO2, alors qu’un nord-américain en produit plus de vingt ! Elle demande, en revanche, un transfert haut de technologies de la part des pays riches. De façon générale, à la conférence de Bali les pays émergeants ont reconnu la nécessité de diminuer l’émission des GES, puisqu’ils seront les premiers impactés par le réchauffement, mais attendent de voir les efforts qui seront consentis par les pays riches. Il reste, par conséquent, beaucoup de travail à faire à Copenhague.

A la veille de cette rencontre cruciale pour l’avenir de l’Humanité, ce qui est le plus à déplorer, c’est la faible implication de l’opinion publique et des citoyens. La montée en puissance de la conscience environnementale tarde à venir. On dirait que ce n’est l’affaire que des ONG. D’où, par exemple, le faible retentissement de la journée du 24 octobre, journée mondiale « pour réveiller les dirigeants » avant Copenhague. En France les onze ONG les plus importantes pour la défense des droits humains et de la nature, signataires par ailleurs de « l’ultimatum climatique », y avaient participé. Le chiffre emblématique de cette journée était 350. Comme les trois cents cinquante « ppm » (nombre de particules par million de molécules d’air), limite maximale de dioxyde de carbone qu’il aurait fallu ne pas dépasser pour que les activités anthropiques n’eussent pas eu d’incidence sur le climat. Alors qu’actuellement nous en sommes à 390 ppm et que chaque année ce taux s’incrémente de 2 ppm. Eh bien, même les dix top models, qui s’étaient déshabillées pour la bonne cause, n’avaient pas trouvé d’écho dans l’opinion !

Et, tant que chacun d’entre nous n’aura pas compris l’urgence et la profondeur des choix que notre société a à accomplir, on peut craindre que nos dirigeants politiques soient bien timorés dans leurs engagements.

En plus de cette faible mobilisation citoyenne, un autre sujet d’inquiétude peut atteindre ceux qui ont compris que le réchauffement climatique ne pourra être stoppé que si nous sommes prêts à mettre en question l’orientation productiviste de notre économie et, concomitamment, nos modes de vie. Au nom d’une croyance indéfectible dans les bienfaits de la sacro-sainte croissance, il est à la mode de parler d’une économie « verte », d’un développement « vert », d’une écologie alliée au productivisme et dirigée par la finance, de la solution attendue exclusivement des nouvelles technologies dans les matériaux de construction ou dans les voitures de demain, et, même des remèdes miracle, comme la séquestration de gaz carbonique dans des réservoirs géologiques ! Le réchauffement climatique ne serait pas le problème, mais la solution à la crise, en devenant le nouveau moteur de la croissance. C’est ce qu’on peut appeler l’écologie de droite. Même les quotas ou « droits de polluer » accordés à chaque pays par les accords de Kyoto commencent à intéresser les banques qui espèrent spéculer là-dessus. Sur ce marché pour le moment la tonne de carbone coûte moins de 10 euros –tellement on a été généreux avec les entreprises polluantes-, mais, dès que la crise sera passée les banques espèrent faire leurs choux gras dans le marché du carbone. Le capitalisme libéral, qui n’a tiré aucune leçon de la crise actuelle, voudrait faire du problème du climat une nouvelle « opportunité » de croissance économique. Vive le réchauffement, nouvelle vache à lait du productivisme !

Quand on parle autour de soi de sobriété et de changement de nos modes de vie, il ne manque pas de personnes sensées et instruites pour te renvoyer le quolibet : « mais tu veux revenir à l’âge de pierre ? ». Tous les changements technologiques qu’on annonce pour demain ou après-demain seront les bienvenus, mais le plus sûr moyen de diminuer les GES c’est de consommer moins d’énergie ! Le GIEC demande aux pays riches de diviser par quatre leurs émissions dans l’atmosphère d’ici 2050 : mais cela signifie que chacun d’entre nous devra, par exemple, diviser par quatre ses déplacements par avion ou en voiture individuelle, diviser par quatre l’énergie fossile utilisée pour le chauffage et, in fine, renoncer au superflu pour ne garder que ce qui est utile pour nous et pour la survie de la planète. Mais, comment y arriver, alors qu’un sondage publié la semaine dernière nous apprend que 80% des français rêvent d’une maison individuelle et que 65 % rejettent l’idée même d’une densification de la population des villes ?. Prend-on le chemin de ces économies si l’on considère qu’en Ile-de-France les déplacements quotidiens effectués en voiture ont explosé de 60% en seulement dix ans, cependant que la population n’augmentait que de 12% ?

On évoque souvent les GES produits par les transports ou par l’habitat (la Commission européenne vient de stipuler que d’ici à 2020 tous les nouveaux bâtiments construits dans l’UE devront avoir une consommation d’énergie proche de zéro). Mais, on parle moins de l’élevage, qui est responsable d’un cinquième des GES, presque autant que les transports. Or, un français mange, en moyenne, 90 kg/ an de viande, soit trois fois plus qu’avant la deuxième guerre mondiale.

La crise climatique est une crise de civilisation : elle arrive en même temps qu’on prend conscience que la planète est limitée et que le modèle occidental productiviste, en plus d’agrandir les écarts entre riches et pauvres, entre pays du Nord et du Sud, représente une impasse pour les générations futures. Le collectif français s’et donné comme devise : « urgence climatique, justice sociale ». Nul doute que dorénavant on pourra difficilement se réclamer de la gauche si l’on ne tient pas à la fois l’écologie et la justice sociale. En une formule choc Hervé Kempf a intitulé son dernier livre : « Pour sauver la planète, sortez du capitalisme »

Tout un programme.