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  Le dernier rempart

vendredi 17 mars 2017, par Stuart Walker

La mise en question de l’Europe relève des difficultés qu’éprouvent les pays du vieux monde à accepter un rééquilibrage du pouvoir économique vers, aujourd’hui, les pays émergents, et, demain, les pays du tiers monde. Nous avons le choix entre des frontières ouvertes porteuses d’espoir, et les nationalismes qui nous ramèneront vers les heures les plus sombres de notre histoire.

Einstein disait "Je ne sais avec quelles armes les hommes se battront pendant la troisième guerre mondiale, mais pour le quatrième, ce sera avec des bâtons et des gourdins". Il y a beaucoup d’Européens qui éprouvent une dégradation réelle de leur condition ; mais elle est relative. Ce serait une erreur de croire que "ça ne pourrait être pire".

L’Union Européenne a été créée sur un socle de principes humanistes. L’Institut Jacques Delors a émis la remarque que "il y a deux sortes de pays en Europe ; ceux qui sont petits, et ceux qui ne savent pas encore qu’ils vont le devenir". Si elle se défait, quel sera le poids de chaque fragment pour défendre ces principes dans le monde ? Les grandes puissances, La Chine, l’Inde, l’Amérique, la Russie, bafouent toutes, à leur manière, les droits de l’homme.

Nous sommes une région de l’Europe au même titre que la Californie l’est des États Unis. Il faudrait nous en féliciter, puisque l’économie Californienne vient de doubler celle de la France, pour devenir la sixième mondiale. C’est en 2014 que l’Europe a reçu le Prix Nobel de la Paix. Elle est le plus grande marché mondial , ce qui lui donne un potentiel d’influer sur des normes sanitaires et manufacturières dans le monde. Si, à son tour, elle abandonne la cause écologique, personne ne peut prévoir l’ampleur des conséquences.

Les votes Brexit et Trump sont le résultat de campagnes mensongères.

Ce n’est pas une aubaine de centaines de millions qui attend les Britanniques, mais plutôt une indemnité de plusieurs dizaines de milliards, pour le non-respect des engagements pris. Environ 50% des exportations britanniques sont destinés au continent. Ses agriculteurs seront mis à mal par l’arrêt des subventions européennes. Mme. May veut, à la fois une sortie "dure", et une renégociation des accords commerciaux. Il y en a des milliers, signés laborieusement sur une période de 50 ans. Les refaire prendrait plutôt 10 que 2 ans, une décennie d’incertitude, voire d’instabilité. En tout état de cause de nouveaux accords seraient sujet aux décisions de la Cour Européenne de Justice, seule compétente pour arbitrer des disputes commerciales. Il y a peut-être un effet positif actuel, mais la démarche est à peine entamée. Et Londres ne pourra soutenir indéfiniment la livre.

Le Royaume Uni a une solde migratoire moins importante que l’on imagine. Son industrie, ses services et son agriculture dépendent de travailleurs, manuels et intellectuels, venus d’ailleurs. Sa population est vieillissante. Elle a besoin de nouveaux actifs, qui cotiseront aux caisses, et qui seront des consommateurs. Souvent ils occuperont des emplois dédaignés par les natifs. Une partie de leurs économies seront transférée vers leur pays d’origine, participant ainsi à son développement.

Son intégrité territoriale est menacée par des remous sur la périphérie. Un nouveau référendum en Écosse basculerait probablement en faveur de l’indépendance. Plus préoccupants sont les effets en Irlande. C’est, en grande mesure, grâce aux progrès économiques que permettait l’adhésion à l’Europe, que Tony Blair a pu persuader l’IRA de déposer les armes, mettant fin à un conflit de 400 ans. Avec la restauration de la frontière avec l’Eire, il risque de les reprendre.

Trump se félicite de l’embellie de Wall Street. Mais des commentateurs objectifs prévoient que les baisses d’impôt (surtout en faveur des plus aisés) et les investissements massifs non-financés dans les infrastructures, produiront un déficit de 1 000 milliards de dollars, et l’augmentation de la dette à 20 000 milliards de dollars. Un pays ne se gère pas comme une entreprise. La dénonciation des accords de Paris créera des emplois dans le secteur minier, mais aura, à terme, un coût écologique incalculable. La fermeture de la frontière avec le Mexique profitera a aucune des deux parties ; de même pour l’abrogation de l’accord avec l’Iran. La déportation d’une dizaine de millions de clandestins, si elle est actée, rappellera la fuite des Huguenots sous Louis XV, dont la France ne s’est toujours pas remis.

Si l’Europe ne parle plus de "croissance zéro", elle n’a pas non plus vendu son âme au Marché. Elle a été à l’origine de mesures pour assainir les paradis fiscaux. Elle s’aligne progressivement sur l’opinion du FMI que ses exigences d’austérité ont été dans certains cas trop sévères. Elle n’est pas sans entendre les demandes de Mme Lagarde que certaines dettes soient échelonnées, voire en partie annulées. Mr Draghi à déversé d’énormes liquidités dans le cadre d’un "quantative easing" selon le modèle de l’équipe Obama. Le Plan Junker, n’est pas qu’un chiffon de papier.

L’Europe n’est pas elle-même surendettée, mais si les bénéficiaires de sa largesse constituent un éternel puits sans fond, elle le deviendra, et signera sa propre impuissance. Pour l’instant elle n’a ni Président, ni numéro de téléphone, et souffre cruellement du manque d’harmonisation fiscale. Au lieu d’une armée, elle en a 26. Soit elle inclut ces points sur son agenda, soit elle perdra la confiance des états membres et se délitera.

Si elle a trop écouté les lobbies industriels, c’est au tour des opinions publiques de se faire entendre. Elles doivent pouvoir imposer progressivement plus de pouvoir à son parlement, un siège au lieu des deux actuellement, un train de vie moins opulent des eurocrates. La critique d’un excès d’ingérence a été entendue. Là où Barroso faisait voter 120 initiatives par an, Junker n’a introduit que 23 depuis 2014.

Un hebdomadaire anglo-saxon a titré récemment en couverture qu’on s’attend en France à une élection qui "décidera du futur de l’Europe". Tout semble indiquer que c’est le candidat centriste qui est le plus à même de dégonfler la bulle sécessionniste. Il ne balaie aucune des critiques dont Bruxelles est l’objet, mais reste le plus résolument européen d’entre eux. Son objectif d’un resserrement des liens avec l’Allemagne va dans le sens d’une "Europe à 2 vitesses ", une nécessaire antidote au passage trop rapide de 9 à 27 états membres. Il est possible qu’il trouve en Martin Schultz un interlocuteur plus souple que Mme Merkel dans le cadre, par exemple, d’une réduction des excédents allemands et des mesures de mutualisation. En phase avec une grande partie de l’opinion publique il propose un "Buy European Act", pour préserver les industries stratégiques

C’était en 1969 que le désarroi de la gauche a produit, en Poher et Pompidou, un deuxième tour ou deux membres de même bord se confrontaient. Il n’est pas trop tard pour empêcher les mêmes causes de produire les mêmes effets, et de permettre, autant que peut se faire , à une Europe mal en point, de se refaire une santé.