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  L’élection présidentielle aux U.S.A…..et nous

vendredi 22 octobre 2004, par François-Xavier Barandiaran

L’élection présidentielle aux U.S.A…..et nous

F-X Barandiaran

Dans quelques jours les citoyens des États-Unis vont élire leur Président, qui,- d’après Marianne- est en même temps le président du monde. C’est aussi l’opinion de l’écrivaine américaine Susan Sontag : « les américains, dit-elle, sont convaincus que leur président est le président de la planète ».

Dès lors, les élections américaines du 2 novembre nous poussent à prendre parti. Déjà, force est de constater que les USA, avec leur puissance économique et militaire, leur niveau de vie et leur rayonnement culturel, provoquent, soit de la fascination (Sarkozy, lui-même, ne déclarait-il pas il y a quelques jours devant un auditoire d’étudiants new-yorkais : « Nous aimons les États-Unis…le monde vous admire, le monde vous respecte » ?), soit une sorte d’attraction-répulsion : jamais, jusqu’à aujourd’hui, les opinions publiques de la plupart des pays de la Terre, sans parler des nations musulmanes, n’ont eu une réaction aussi négative à l’égard des USA.

Certes, il ne faut succomber au simplisme de penser qu’il n’y aurait qu’une seule et unique Amérique. Tous les analystes s’accordent à dire que durant la campagne électorale les clivages entre deux Amériques se sont approfondis. D’autres voient même 4 lignes de fracture importantes dans la société actuelle américaine. En essayant, donc, de ne pas tomber dans la caricature je vais dire ce qui ne me plaît pas du tout dans cette Amérique que l’administration Bush a portée au paroxysme, et qui, par moments, nous renvoie à nous, français, européens, notre image, comme s’il s’agissait d’un miroir déformant.

Le premier danger est de considérer que le pouvoir et la force sont à l’origine de tout et sont, par conséquent, supérieurs au droit. Un des maîtres-penseurs du cercle rapproché de Bush, Robert Kagan, compare les USA à Mars (le courage viril et le combat) et l’Europe, à Vénus (le sens de la conciliation et l’harmonie). Aux États-Unis la suprématie technologique et militaire, le hard power ; à l’Europe, le soft power : le multilatéralisme et le droit international, bref la faiblesse.

Avant de faire la guerre à l’Irak, les néo-conservateurs auraient dû lire J-J Rousseau : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit ». Bush, dans son ignorance, ne doit pas savoir que c’est précisément en Irak, ancienne Mésopotamie, qu’on a trouvé la plus ancienne codification de droit et de jurisprudence de l’Humanité, le Code d’Hammourabi.

L’inquiétude ne peut que s’accroître, si l’on considère le messianisme congénital de l’Amérique, depuis les « pères pèlerins » (ces enfants persécutés de l’Europe, qu’ils ont fuie pour régénérer en Amérique du Nord le christianisme et y fonder le nouveau paradis terrestre).

Déjà Fukuyama et Huntington avaient théorisé, dans les années 1990, le rôle des USA qui devaient implanter dans le monde entier la démocratie (leur démocratie !) et son corollaire, le libéralisme économique, tout en se défendant du nouvel adversaire, la civilisation musulmane, qui prenait ainsi la place du communisme récemment déchu.

L’objectif de P.Wolfowitz, bien avant le 11 septembre 2001, était d’établir un nouvel ordre au Moyen Orient, en se débarrassant de Saddam et en installant un régime démocratique en Irak qui aurait fait tache d’huile sur les pays environnants. L’attentat de New York, en créant chez les citoyens américains le traumatisme que l’on sait, mais qu’on ne mesure peut-être pas justement en Europe, a réuni autour du Président Bush, au moins dans un premier temps, une majorité de gens en faveur d’un projet aussi fou.

Par ailleurs, ce qui est frappant sur le plan intellectuel, c’est le manichéisme de l’analyse de la clique bushienne : le Bien et le Mal ; ce qui est bon pour les USA doit l’être pour le monde entier ; « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous »(D.Rumsfeld) ; terrorisme ou démocratie ; barbarie ou civilisation……

Comment réduire la complexité du monde à un seul mot : terrorisme ? Un tel simplisme n’a d’équivalent que dans les déclarations de l’internationale Al-Quaïda, dans sa haine contre l’Occident Chrétien.

C’est cette logique binaire du raisonnement qui explique l’incompétence et l’échec des USA en Irak, puisqu’ils avaient ignoré dans leurs calculs le nationalisme irakien, les données religieuses et les structures de la société. Les conseillers de Bush avaient menti pour vendre à l’opinion américaine une guerre gagnée d’avance, après avoir imaginé une réalité irakienne qui n’existait que dans leurs cerveaux !

Un autre sujet d’étonnement, c’est de penser que l’on puisse transplanter la démocratie sur des terres et des sociétés aussi différentes. De croire qu’on peut le faire même par la contrainte, alors que la démocratie ne peut naître qu’à travers une réappropriation, sur le terreau de l’histoire et des valeurs culturelles de chaque région. De plus, elle ne peut attirer que si elle est exemplaire. Et quel exemple plus rebutant pour les pays arabo-musulmans que celui du conflit israélo-palestinien, où, depuis l’origine, la dignité et les droits du peuple palestinien ont été bafoués, et à propos duquel l’administration Bush s’est alignée inconditionnellement derrière Sharon ?

C’est, d’ailleurs, sur ce conflit que la coalition entre les néo-conservateurs et les chrétiens fondamentalistes est la plus patente : une lecture littérale de certains passages de la Bible les a conduits à la croyance que le millénarisme (règne du Christ pendant mille ans à la fin des temps), dont parle l’Apocalypse, avait commencé avec la naissance de l’État d’Israël.

Vu depuis notre Europe sécularisée, ceci est purement scandaleux, même pour la plupart de chrétiens. On a déjà beaucoup de mal à comprendre la « religion civile américaine », où 80% se disent croyants en un Dieu « culturellement situé, mais confessionnellement pas défini », selon la formule de S.Fath, dans Esprit d’août-sept. 2004.

On pouvait sourire ironiquement devant la croyance des américains d’être « l’autre peuple élu », qui confond le Paradis avec l’American way of life. Mais cette irruption dans la vie politique de la vision fondamentaliste des évangélistes, pentecôtistes et autres illuminés dangereux dépasse les limites de la raison.

Et, puisqu’il est question de dieu, parlons de la divinité argent qui occupe une place essentielle dans la vie d’un américain moyen : emprunts nombreux, cartes de crédit à profusion, dettes multiples, gestion des actions, suivi de la Bourse….

Tout est fait pour pousser à consommer, pour pouvoir jouir de tout, tout de suite. La quête de l’hédonisme n’est-elle pas la première des divinités ? Ce mode de vie, encouragé à outrance par la politique fiscale de Bush (surtout pour le 1% d’américains les plus riches), a poussé plus haut encore la spirale du surendettement, autant dans les comptes de chaque américain que dans le déficit du pays, créant un déséquilibre vertigineux pour l’économie mondiale.

Foin de la solidarité, de l’assurance sociale pour les laissés pour compte du système ou de la cohésion sociale ! Les répercussions de ces choix politiques ne vont-elles pas jusqu’à pousser l’Administration Bush à dénoncer les accords de Kyoto, de peur que cela ne remette en question le niveau de vie des américains, cependant que les USA sont les premiers pollueurs de la planète ?

Beaucoup d’autres points pourraient être évoqués ici (rapport entre l’individu et l’État, conception du droit, exaltation de la liberté individuelle…), où l’on pourrait établir le décompte des divergences et des convergences avec notre modèle social. Espérons que le débat, en plus de nuancer certains de mes propos, permettra aussi de considérer des questions qui nous reviennent en boomerang : prurit de la France de se considérer comme « l’autre modèle » (ah ! la nostalgie du temps où la politique française avait des répercussions planétaires !) ; incohérence entre l’attitude de respect du droit international, quand il s’agit de l’Irak, et le silence complice avec la Tchétchénie de Poutine ; obsession pour la croissance économique et renoncement progressif au modèle de l’État-Providence. D’autres questions seraient aussi pertinentes : quelle Europe souhaitons-nous construire à côté (ou en face) de la puissante Amérique ? ou encore : céder à l’islamophobie ambiante, n’est-il pas abonder dans le sens de « la guerre des civilisations » ?