Le Café Politique

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  Aussi, à côté de nous, il y en a qui ont faim

mardi 27 novembre 2012, par François-Xavier Barandiaran

Je ne sais pas si beaucoup de nos concitoyens sont au courant qu’une bonne part de l’aide alimentaire distribuée en France provient du PEAD (Programme européen d’aide aux plus démunis). Au départ, depuis 1987, cette aide alimentaire était issue de la PAC et consistait à écouler les surplus des stocks constitués pour réguler la stabilité des prix agricoles. Mais, à partir de 2008, ces stocks ayant été supprimés, le PEAD évolue vers une enveloppe budgétaire qui finance la distribution de lait ainsi que la fabrication des produits dérivés du lait et des céréales. 18 millions d’européens pauvres, appartenant à vingt pays de la Communauté –dont 4 millions de français- en bénéficient, l’enveloppe budgétaire se montant à 48O millions d’euros en 2012. Soit un euro par habitant de l’UE ! Mais, la crise étant là et la tendance de certains pays à diminuer le budget général devenant de plus en plus pressante, les sept pays qui ne reçoivent pas l’aide alimentaire (Allemagne, Autriche, Pays Bas, République Tchèque, Suède et Royaume-Uni) ont dénoncé avec succès auprès de la Cour Européenne l’accord de 2008. Ce fut, immédiatement, le branle-bas de combat parmi les associations concernées, et après d’âpres négociations elles ont obtenu des pays dénonciateurs que le programme d’aide soit prolongé en 2012 et 2013, mais à condition qu’à partir de 2014 le PEAD ne relève plus de la PAC, mais des politiques sociales, renvoyant alors le problème au financement de chaque pays, un nouvel accord devant être trouvé avant la fin de 2012. A cet effet, ces dernières semaines la Commission a élaboré un projet hybride, qui, de toute façon, se traduirait par une diminution de 30% du montant relevant du budget général. La question devait être tranchée le 23 novembre dernier lors du Conseil des Chefs d’État européens. Suite à l’échec de celui-ci, elle est renvoyée au prochain.

Encore une fois, les plus pauvres de nos concitoyens risquent de payer un lourd tribut devant les exigences de serrage de ceinture imposé par le néolibéralisme. Par quelque bout qu’on attaque la question du budget européen, on aboutit immanquablement aux mêmes résultats : le détricotage de l’Europe sociale. Et l’on peut craindre que le cofinancement à la charge des gouvernements nationaux vers lequel on s’oriente ne se traduise purement et simplement par une diminution de l’aide alimentaire. Dès lors, il n’est pas inutile d’alerter l’opinion publique au moment où le rapport du Secours Catholique « Regard sur dix ans de pauvreté » confirme ce que toutes les associations d’aide aux plus démunis constatent d’année en année : la pauvreté s’installe dans notre société. Plus de huit millions de nos concitoyens vivent avec moins de 964 euros par mois, qui correspondent à 60 % du revenu médian calculé par l’INSEE. Ce seuil conventionnel de pauvreté « monétaire » est le plus incontestable, puisqu’il résulte de tous les revenus déclarés au fisc, mais il convient de le compléter, bien évidemment, pour approcher d’un peu plus la pauvreté vécue par des personnes en chair et en os, par le taux de ceux qui vivent à la rue ou sont très mal logés, par le nombres des personnes qui ne peuvent plus se soigner correctement, qui ne disposent pas de loisirs, qui n’ont pas suffisamment à manger…

Pourtant, le droit à l’alimentation figure dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 et qui reste la référence de nos sociétés « avancées ». Et, que constate-t-on ? Que de plus en plus de retraités, de familles monoparentales (le plus souvent une jeune femme avec son enfant), de travailleurs pauvres avec des contrats intérimaires ou en temps partiel, d’étudiants ou de chômeurs en fin de droits…frappent à la porte des associations qui distribuent de l’alimentation. Surtout les quatre qui sont habilitées à faire des collectes publiques : la Croix Rouge, le Secours Populaire, la Banque Alimentaire et les Restos du cœur. Ces deux dernières représentant l’essentiel de la distribution alimentaire, en France. Il n’est pas étonnant qu’elles se soient unies pour défendre le budget antérieur d’aide européenne (3,5 milliards pour sept ans, soit 500 millions/an contre celui proposé par la Commission qui n’est que de 2,5 milliards), étant donné qu’il s’avérait déjà insuffisant avec l’augmentation incessante de demandeurs. L’an dernier, 130 millions de repas ont été distribués en France grâce à l’aide européenne sur un total de 300 millions (dont 115 par les seuls Restos du cœur), et la dotation totale du PEAD est en 2012 de 70,3 millions d’euros. Chaque association reconnue fonctionne selon des critères qui lui sont propres, ainsi que les moyens qui les financent : par exemple, la part de l’aide européenne va de 23 % à 55 %, selon les associations.

Étant membre du Secours Populaire, je peux en dire quelques mots sur son fonctionnement. Depuis ses origines le SP a compté parmi ses activités la distribution de denrées alimentaires, mais en 1994 –Coluche avait créé les Restos du cœur en 1985 – celle-ci s’est structurée : les bénéficiaires, en fonction des critères de ressources, reçoivent des colis alimentaires en contrepartie d’une petite participation financière, et, en plus, peuvent faire leurs courses pour des produits de base, à des prix modiques. Dans certains comités des petits déjeuners sont proposés à des SDF, ainsi que des colis de première urgence. Dans d’autres on peut assister à des cours de cuisine, ce qui montre le souci d’apprendre aux gens à bien se nourrir. A d’autres endroits -pas assez nombreux, hélas ! – des jardins solidaires ont été créés. Pour le SP l’aide alimentaire distribuée, en 2011, à 1,5 millions de personnes provient en grande partie du PEAD (c’est dire la catastrophe que représenterait la diminution de celui-ci !) et du Plan National d’aide alimentaire (PNAA), créé en 2004 pour élargir l’offre avec de la viande, du poisson et des primeurs. Le reste du financement trouve sa source dans les collectes dans les grandes surfaces et les achats groupés réalisés directement grâce aux dons des particuliers.

Le citoyen lambda est en permanence sollicité par des questions liées à l’alimentation, où le « local » et le « global » sont étroitement liés, même si le global ne trouve pas l’écho qu’il mérite dans les médias généralistes : qui a retenu que le 16 octobre, journée mondiale de l’alimentation, le thème en 2012 était : « les coopératives agricoles nourrissent le monde ? ». Qui sait que, du 5 novembre 2012 à mars 2013 vont se dérouler en France les Assises du développement et de la solidarité internationale ? Que sous l’égide du ministre vert Pascal Canfin, ministre délégué au développement, le gouvernement français annonce – et amorce – la disparition de la Françafrique et l’attribution de 10 % de la taxe française sur les transactions financières à l’aide directe accrue aux ONG pour éviter les méandres de la corruption et pour promouvoir les cultures vivrières ?

Mais, revenons aux questions locales : par exemple, le gaspillage, qui peut être corrélé directement avec la faim, ici et ailleurs, symptôme patent de notre schizophrénie : les besoins des uns face au gaspillage des autres, et même à l’intérieur des familles emportées par la vague consumériste. « Chaque français – d’après le ministre délégué à l’agroalimentaire – jette entre vingt et trente kg de nourriture chaque année, dont sept kilos encore emballés ». G.Garot prépare, d’ailleurs, d’ici à 2013 « un pacte national contre le gaspillage », qui sur l’ensemble de la chaîne alimentaire se monte à 150 Kg et que le programme du gouvernement vise à diviser par deux d’ici à 2025 – c’est vraiment loin ! - en jouant sur les producteurs, sur les conditionnements des distributeurs, sur les marges de sécurité des dates limites de consommation des produits, etc. Néanmoins, chacun de nous est concerné : les parents d’élèves sur le gaspillage faramineux des cantines scolaires, les familles sur la gestion adéquate des réfrigérateurs et tout un chacun par la désintoxication nécessaire à propos des critères esthétiques d’achat qui donnent la préférence à l’aspect extérieur sur la qualité intrinsèque du produit, ce qui aboutit aux chiffres ahurissants cités ci-dessus. Comment accepter un tel gâchis ? C’est le cri spontané de beaucoup. Ne pourrait-on pas récupérer une partie de ces denrées qui partent à la poubelle ? Des reportages TV ont montré des gens qui y fouillent pour assurer leur subsistance. Les grandes associations d’aide, comme les Restos du cœur et le Secours Populaire, signent des conventions de récupération avec des grandes surfaces qui acceptent ce partenariat.

Rappelons, à ce propos, que depuis les années 1970 le SP a été pionnier dans la distribution des surplus destinés à la destruction, en passant des accords ici avec des producteurs de fruits, là avec des aviculteurs bretons, ailleurs avec des producteurs de lait. Pourtant, ce qui apparaît de prime abord comme une exigence première : éviter le gaspillage alimentaire, s’avère difficile à mettre en place, parce qu’il faut mettre en œuvre des moyens importants en matériel et en personnel : des camions réfrigérés et des lieux de stockage qui évitent de rompre la chaîne du froid, de la part des associations. Parce que la gestion des invendus exige du personnel chez les grandes surfaces. Parce que les normes de caducité sont devenues extrêmement tatillonnes et courtes. Parce que personne ne veut prendre le moindre risque en cas d’intoxication, qui actuellement est imputable aux donateurs qui préfèrent, dans ces conditions, javelliser les invendus. C’est sur tous ces tableaux que devra jouer le gouvernement s’il veut gagner son pari. Revenons au citoyen lambda de plus en plus sollicité. Si le nombre de demandeurs augmente –ce qui semble certain avec la crise qui dure -, et que les subventions publiques diminuent – perspective plus que probable -, les associations seront contraintes de s’adresser de plus en plus aux particuliers. Nous nous orientons progressivement vers un mode d’aide à l’américaine où l’État confie à l’initiative des citoyens et des fondations la responsabilité de porter secours aux plus démunis. Faudra-t-il, alors, ne pas réduire les déductions d’impôts pour les dons octroyés aux organismes qui fournissent des soins de première nécessité, comme la nourriture, et qui se montent, actuellement, à 75 %, dans la limite de 521 euros par an, soit 391 euros maximum de déduction. Voilà une niche à laquelle il ne faudra pas toucher !

Dans notre société de nantis, il est bien établi que plus les ménages sont pauvres, plus le taux du budget consacré à l’alimentation est important et, en général, plus la qualité de celle-ci laisse à désirer. Si pour une famille aisée ce budget représente 15 % des revenus et pour la moyenne nationale autour de 20 %, pour ceux qui vivent dans la grande pauvreté cela peut aller bien au-delà de 30 %. Mais, comme depuis quelques années les dépenses dites incompressibles (loyer, chauffage, eau, téléphone, électricité…) connaissent des augmentations bien supérieures à la hausse du pouvoir d’achat, ces familles sacrifient en partie l’alimentation, devenue une variable d’ajustement, tout en sombrant dans la spirale des impayés énergétiques et locatifs. C’est pour cela qu’un mouvement comme ATD Quart monde, dans sa lutte pour la reconnaissance des droits des pauvres, met en avant l’urgence d’augmenter les minima sociaux, qui permettent aux plus nécessiteux de ne pas sombrer complétement dans la misère. Faute de les augmenter les ressources de ces familles décrochent du coût de la vie : « comment s’étonner ensuite que certains enfants ne mangent pas les rations de fruits et légumes recommandés ? ». ATD demande, ainsi, que ces minima soient au moins réévalués à hauteur de 50 % du SMIC (1055 euros nets) et qu’à l’avenir ils soient indexés sur l’augmentation du coût de la vie pour que « les plus pauvres reprennent le chemin de la citoyenneté ». Dans la même ligne, pour qu’il y ait moins de personnes obligées de quémander l’aide alimentaire, ATD réclame « d’instaurer une tarification progressive des services essentiels (eau, gaz, électricité, téléphone) avec le slogan très parlant : « que l’eau pour boire soit moins chère que l’eau pour les piscines ! » Quand les impayés pour les loyers et les divers abonnements augmentent les CCAS (centres communaux d’action sociale) sont davantage sollicités et les queues s’allongent devant les associations qui répartissent l’aide alimentaire.

Les Chefs d’État se sont séparés le 23 novembre sans trouver un accord pour le budget européen, l’attente impatiente et chargée d’inquiétude des associations continue.