Le Café Politique

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  Le débat sur l’identité nationale ou le golem de Sarkozy

vendredi 15 janvier 2010, par François-Xavier Barandiaran

Le débat inspiré par notre Président et mis en place par son ministre Besson, à l’automne dernier, me fait penser à la légende du golem de Prague, personnage qui, au lieu d’exécuter la tâche assignée par son maître, se transforme en monstre rebelle détruisant tout sur son passage. Il pourrait en aller ainsi du débat sur l’identité nationale. La captation de l’électorat frontiste lui avait très bien réussi pendant la campagne des présidentielles, si bien qu’il avait siphonné une bonne part des voix du Front National. Dès lors, pourquoi ne pas recommencer à l’approche des élections régionales, qui ne s’annoncent pas très favorables pour son camp, en ciblant les thèmes : immigration, insécurité, accolés à celui de l’identité nationale ?

Ainsi, il fallait faire feu de tout bois : violences dans les quartiers, sifflement de la Marseillaise, expulsions par charter, mariages « gris », burqa …et même la votation suisse sur les minarets qui est tombée pile poil dans nos querelles franco-françaises. En passant la main dans le sens du poil des préjugés indécrottables de beaucoup de français, ils allaient à nouveau contrer le Front National. Mais, comme un golem malicieux, le débat sur l’identité nationale leur a échappé et risque fort de les frapper en boomerang.

Ce serait une belle leçon pour tous les politiques, de quelque bord qu’ils soient, qui prétendent pouvoir diriger les affaires publiques en faisant appel au populisme et à l’irrationalité.

Dans « Le Paradigme perdu », Edgar Morin définit l’espèce humaine comme celle de « l’homo sapiens demens ». « Sapiens » renvoie à la sagesse des grecs, fruit de la raison, et « demens » rappelle l’influence des affects et des émotions non contrôlés. Nous sommes, ainsi, partagés entre l’objectivité et la démence, entre le raisonnable et le délire ou les émotions qui peuvent nous faire ressembler, parfois, à une tribu de primates cherchant à défendre leur territoire ! Cela, les hommes politiques le savent, et à une époque où dans les médias on a tendance à mettre en avant l’émotionnel par rapport au rationnel, certains en jouent pour que les tripes parlent plus fort que la raison. Il en est ainsi de ceux qui sachant que moult français ont un problème avec le passé colonial, l’immigration des dernières décennies du siècle dernier et l’idée qu’ils se font de « la patrie des droits de l’homme » guidant le monde, ont conçu ce débat piloté par le titulaire du Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale. Quelle idée d’accoler ces deux termes au sein du même ministère !

Comme on pouvait s’y attendre, le débat a dérapé, libérant une parole qui était tapie et refoulée, obligeant le ministère à censurer des milliers de contributions envoyées sur le site créé à l’occasion du débat : 15% sur les 50.000 recensées il y a quelques jours. On imagine aisément leur contenu injurieux et raciste !

Mais, le plus grave, c’est qu’avec des termes un peu plus policés des responsables politiques et même des membres du gouvernement se sont « lâchés » laissant apparaître des préjugés enfouis dans l’inconscient collectif contre l’immigration récente et contre les musulmans. Pour ceux qui les auraient oubliés je vais en faire une rapide revue de presse :

« On va se faire bouffer….il y a déjà dix millions….dix millions qu’on paie à rien foutre » (le maire UMP de Goussainville, dans la Meuse). « Moi, ce que je veux du jeune musulman quand il est français….c’est qu’il ne parle pas le verlan, qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers » (Nadine Morano, ministre de la famille)

« Le jour où il y aura autant de minarets que des cathédrales en France, ça ne sera plus la France » (Clément, ancien Garde des sceaux).

Sentant la catastrophe venir, des voix se sont élevées dans la majorité pour mettre fin à cette initiative qui « les mettait mal à l’aise ». Il en est ainsi de Martin Hirsch pour qui ce débat « est 100% politique ». « Ce débat manque de rigueur intellectuelle… Besson nous met dans le mur » (J-Pierre Raffarin) « Ce débat échappe à tout contrôle …il donne aux français de confession musulmane le sentiment d’être une fois de plus marginalisés » (Yazid Sabeg, Commissaire à la diversité). Et encore d’autres, comme F.Baroin, qui demande qu’on mette le débat entre parenthèses, au moins pendant la période électorale, et qui commente à propos de la saillie de N.Morano : « ce débat flatte les bas instincts »

Devant le danger de ne pas pouvoir contrôler le golem qu’ils avaient enfanté le conseiller du Président, Guaino, appelle à « élever » et à « élargir » le débat, et Sarkozy, après avoir reçu le Président du Conseil français du culte musulman pour tenter de calmer l’inquiétude de cette communauté, dans son message du Nouvel An s’est efforcé, sans jamais citer le débat, d’en corriger le tir en parlant de « fraternité », et a annoncé que des propositions seraient faites le 4/02/2010, date à laquelle devait se clore le débat sur l’identité. (Aux dernières nouvelles il devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année)

Il serait impossible de recenser, en dehors de la droite, toutes les voix qui, d’une façon ou d’une autre, s’insurgent contre ce débat ou proposent une autre façon de s’interroger sur l’identité de la France (certains, et non des moindres, vont même jusqu’à demander la suppression du ministère-de-l’identité nationale !). Des intellectuels, des écrivains, des journalistes n’acceptent pas un débat instrumentalisé par le gouvernement, clivant le pays entre les français authentiques et « les autres ». Depuis l’appel « Nous ne débattrons pas » jusqu’au manifeste de SOS Racisme « Arrêtez ce débat, Monsieur le Président », toutes ces voix anti-débat pensent qu’il constitue un piège qui remet en cause « la légitimité de la présence sur le sol national de catégories entières de la population », au lieu de « promouvoir une France de la liberté des opinions, de l’égalité des droits et de la fraternité des peuples ». En stigmatisant une partie des citoyens, ce débat « est un facteur de haine et de désunion là où notre pays devrait s’attacher à cultiver le vivre ensemble ». D’une parole lapidaire Emmanuel Todd l’a défini : « c’est la haine de l’autre », allant jusqu’à faire la comparaison avec les extrêmes droites des années trente. En effet, quand on considère le climat actuel et la montée en Europe (partis populistes belges, danois, hollandais,autrichiens, suisses et italiens) des forces politiques xénophobes, on peut craindre que nous ne soyons à l’aube d’une de ces périodes où « l’homo demens » se laisse emporter par la déraison et la folie collective. C’est le désarroi hargneux d’une classe politique face à la nouveauté d’une société de plus en plus multicolore et multiculturelle. C’est le ressassement des vieilles peurs qu’on croyait être l’apanage du Front National. C’est, comme souvent en période de crise, la facilité de désigner le bouc émissaire, alors que beaucoup de nos concitoyens se morfondent dans le sentiment de vulnérabilité, dans la peur du déclassement social et dans le doute de soi par rapport à la place de la France –et de sa moyenne grandeur déclinante- dans une planète mondialisée.

D’où la focalisation persistante -d’aucuns diraient croissante- sur l’islam et le leitmotiv : « ils ne pourront jamais être des français comme les autres ». Dès lors, malgré les appels à « élever » et à « élargir » le débat, il continue de tourner autour du thème de l’immigration, et surtout de celle qui a suivie la période coloniale, pendant les quatre dernières décennies du XXè siècle. Sans jamais l’avouer, la mentalité coloniale est toujours présente, ainsi que l’a priori que l’Islam est et sera incompatible avec la République. D’où la psychose –qui concerne aussi des gens et des politiciens de gauche- de voir partout le « repli communautaire » et même « le communautarisme » là où il n’y a (à part des minorités à combattre de fondamentalistes religieux ou d’idéologues islamistes) que des manifestations d’un repli sur soi de la part des enfants d’immigrés, de la seconde et troisième génération, qui ne se sentent pas reconnus comme des citoyens à part entière. Je pense, comme E.Todd, dans son entretien avec les journalistes du Monde, daté du 27-28 décembre 2009, que la France, malgré tout, « est en train de réussir son processus d’intégration ». Certes, le rythme est plus lent que pour d’autres populations arrivées sur le sol français au cours du siècle dernier, compte tenu des écarts culturels plus grands, s’agissant de populations de culture musulmane, et des a priori de la part du pays d’accueil. Le nombre croissant de mariages mixtes et les enquêtes sociologiques prouvent qu’une majorité -de l’ordre de 2/3- d’émigrés maghrébins s’intègrent dans les rouages de la République, y compris par l’acceptation de la laïcité. Je diffère, tout de même, d’avec le démographe, quand il affirme que les français « par leur tempérament égalitaire…n’ont rien à foutre des questions de couleur et d’origine ethnique et religieuse ». Contrairement à sa perception je pense que persiste en France, y compris dans certaines élites, une conception de l’intégration tout à fait assimilationniste, qui n’accepte aucune forme d’altérité culturelle. Or, être citoyen français –et avoir conscience de l’être- n’exclut pas le sentiment pour beaucoup de bénéficier -j’emploie ce terme parce que je considère qu’il s’agit d’une richesse- d’appartenances multiples. Allez interroger des corses ou des bretons, qui sont français depuis des siècles ou encore des basques dont les origines remontent à l’homme de Cro Magnon !

Quand comprendra-t-on que les jeunes des banlieues qui sifflent l’hymne national ne manifestent pas tant la haine de la France que la quête d’une identité chimérique, puisqu’on leur refuse celle d’être des français comme les autres ? Très pertinemment quelques jours avant Noël le rapport de l’Observatoire National des zones sensibles concluait : « le sentiment d’appartenance à la France et même le désir d’ascension sociale est très fort chez les jeunes des quartiers ». Dans ce même rapport on pouvait lire que 66% des actifs de moins de 25 ans n’ont pas de diplômes. Ils vivent dans ces ghettos urbains où on a concentré 4,5 millions d’habitants dont la culture d’origine est souvent musulmane !

Avec un peu d’humour un citoyen français « rebeu », avec des diplômes, racontait dans une tribune libre du Monde comment à longueur des journées il est traité comme « beur », et pas seulement par des racistes : « Non, je vous parle de l’ambiance générale : les bobos, les babas et les bling-bling ont tous dans leur caboche une ou deux petites blagues, deux ou trois craintes sur ces chers français…d’origine maghrébine »

Dans notre « douce France » on se réclame volontiers, et à juste titre, de la République, mais on se soucie beaucoup moins de vérifier si sa belle devise : « Liberté, Egalité, Fraternité » guide vraiment les choix de notre société et de ceux qui nous gouvernent. Comme le disait la sociologue Maryse Tripier interrogée pas « Libé » : « Ce qui compte, c’est ce que les citoyens font ensemble, peu importe d’où ils viennent ».