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  Scénario et questions

dimanche 5 juin 2005, par Michel grossetti

Scénario et questions

Je fais partie de ceux qui ont voté « oui » le 29 mai. Parce que je trouvais que ce texte comportait des améliorations par rapport au fonctionnement actuel de l’Union Européenne, parce que j’aime bien l’idée d’un regroupement pacifique et démocratique des nations qui équilibrent progressivement leurs niveaux de richesse vers le haut, parce que je craignais qu’un rejet du texte ne contribue à freiner durablement ce processus, parce que je craignais que la mise en échec des partis dont je me sens le plus proche, le PS et les verts, n’écarte la gauche durablement du pouvoir en France et n’ouvre un boulevard à une personnalité de droite qui prendra un virage franchement libéral au nom d’une « modernisation » du pays (Nicolas Sarkozy me paraît tout indiqué pour ce rôle), parce je n’ai pas trouvé convaincants les arguments des partisans du « non », très nombreux parmi mes copains. Je ne crois pas que le jeux étaient faits d’avance, comme on a toujours tendance à le croire après coup (Cf. les réflexions de François sur les sondages : les sondages sont de bons indicateurs des opinions à un moment donné et c’est tout). Je crois que l’engagement efficace et actif des courants altermondialistes et de personnalités de la gauche institutionnelle a fait basculer une partie de l’opinion de gauche et finalement le résultat final. La tâche leur a été facilitée par deux éléments : d’une part l’insertion dans le traité de la partie 3, qui aurait pu en être dissociée et discutée à part, et d’autre part la création d’une configuration « tout ou rien » par les promoteurs du traité (« si c’est non c’est une catastrophe »), qui était contradictoire avec les principes de la démocratie et que ceux qui ont appelé à voter « non » ont eu raison de dénoncer. L’impopularité et la bêtise du pouvoir en place n’a évidemment pas arrangé les choses…

Le référendum a eu lieu et, plutôt que de régler des comptes, il faut essayer de voir ce que l’on peut faire. Voici le scénario que je vois se dessiner et que je souhaiterais pour ma part que l’on parvienne à éviter. Au niveau européen, après une période d’agitation, les choses en restent à un status quo, avec peu de moyens consacrés à l’intégration des pays récemment intégrés, peut-être une modification de quelques points « techniques » des traités existants (répartition des voix entre les pays, passage à la majorité qualifiée, etc.). En l’absence de politique européenne, les pays seront tentés de reconstruire des politiques plus ou moins protectionnistes et l’Europe se détricote doucement. Au niveau français, la fracture de la gauche s’avérant durable, et donnant lieu à une multiplication des psychodrames internes au formations politiques (ceux qui comme moi on connu les courant gauchistes des années soixante-dix vont avoir une impression de déjà-vu, et de bonnes occasion de s’amuser d’ailleurs !), un président de droite est élu en 2007 et probablement réélu en 2012. Les fonctionnaires voient leur nombre diminuer très significativement (malgré de nombreuses manifestations auxquelles je participerai) et de nombreux pans des services publics sont privatisés (avec création d’organismes de contrôle de type CSA). L’indemnisation des chômeurs diminuera, ainsi que la prise en charge des frais de santé. Bref, la France s’alignera progressivement sur un modèle international au détriment des plus démunis et des fonctionnaires.

Que faire ?

Au niveau européen, c’est à ceux qui ont défendu le « non » tout en disant défendre le projet européen de prendre l’initiative de construire un projet de relance du processus européen sur des bases différentes. Il faut pour cela qu’ils fassent émerger un mouvement européen et un discours clair et crédible qui puisse constituer une base possible pour les futurs débats européens. Ce ne sera pas facile : j’estime qu’il leur faudra 5 à 10 ans pour y parvenir. Mais il faut qu’ils s’y attellent tout de suite. Sinon, ils n’auront fait que confirmer les craintes et les accusations de ceux qui jugeaient leur position stérile. En particulier, il faut que la partie économique de leur projet soit crédible et ne se limite pas à de vagues imprécations contre l’ « ultra-libéralisme ». Ce peut être une orientation keynésienne ou une autre, mais il faut qu’elle soit claire.

Au niveau français, il faut recoudre la gauche au plus vite, en assumant qu’elle peut regrouper des point de vue différents en matière économique et européenne, mais en reconnaissant qu’elle se fonde sur des valeurs communes : recherche de l’équité sociale, de la protection des moins favorisés, défense des libertés, etc. Pour commencer il faut à tout prix éviter la naturalisation des positions du 29 mai avec des adjectifs stupides comme « ouistes » et « nonistes » qui ne feront qu’aggraver les choses. Et là aussi, il faut s’atteler à construire un projet acceptable par les diverses sensibilités qui se sont exprimées. Comment assurer dans ce pays une meilleure équité, une protection sociale de qualité ET un niveau de richesse commune élevé ?