Le Café Politique

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  • Rubrique
  •   J72 Concilier croissance, justice sociale et environnement

    Lundi 6 février 20h45

    Salle de réception du stade de Balma

    Invité : Geneviève Azam

    Maître de conférences en économie et chercheuse à l’Université Toulouse II

    Co-présidente du conseil scientifique d’Attac

    Auteur de « Le temps du monde fini - Vers l’après-capitalisme", (Les liens qui libèrent, 2010)

    Pour une altercroissance

    Face à la crise économique et financière, la gauche comme la droite espèrent le retour de la croissance pour éviter l’explosion du chômage et pour pouvoir rembourser les dettes trop longtemps accumulées. C’est cette même croissance qui servait de justification aux idéologues ultralibéraux des années 70/80 pour demander l’abandon des régulations et solidarités diverses. Le rendement du capital était alors l’alpha et l’oméga du credo économique. Cette stratégie a effectivement largement profité à une petite minorité, mais le bilan social et écologique de ces dernières décennies est catastrophique. L’obsession de la croissance du PIB ne s’est pas accompagnée d’une vision à long terme. Les marchés financiers ont imposé leur logique à l’économie pour générer de l’argent et non pour augmenter la qualité de vie des individus. Le monde moderne est devenu un énorme convoi de marchandises qui génère des déchets et qui marginalise toutes les structures d’appartenance en transformant le citoyen responsable en individu consommateur. La désindustrialisation de la France ne nous a pas encore empêchés de continuer à consommer, mais a fait le lit de la récession actuelle car le convoi de marchandises part trop souvent de Chine et repart presque à vide ! (1)

    L’incapacité des politiques à défendre les biens publics et à imposer une internalisation des coûts environnementaux dans la valeur économique a conduit à une logique de prédation vis-à-vis de la nature. L’échec des négociations sur le climat de Durban, après celui de Copenhague montre l’incapacité de l’humanité à prendre en charge l’intérêt général transnational (2). Notre modèle économique et politique dont nous avons tant vanté les mérites est en train de transformer la planète en une vaste poubelle trop chaude. Nos sociétés occidentales sont dans une situation schizophrène, d’une part la relance du système de production est la solution pour éponger la dette et sortir de la crise, d’autre part notre modèle économique basé sur la consommation excessive d’énergie fossile n’est plus soutenable.

    La finitude de la terre fait que la croissance en tant que telle ne peut pas être un objectif absolu. Encore faut-il savoir de quoi on parle quand on évoque la croissance. L’indicateur implicitement choisi est le PIB, qui renvoie bien plus à la trilogie : produire, vendre, consommer, qu’à la qualité de vie de chacun. Construire des bons indicateurs pour mesurer un développement économique efficace, socialement juste et écologiquement soutenable n’est pas si facile, mais relève de l’urgence (3). Tous les responsables parlent dans leur projet politique de l’environnement, mais en général de manière très floue et très peu donnent à cette problématique une priorité importante. La crise est trop souvent un excellent alibi pour justifier que l’urgence n’est pas dans le climat ou la biodiversité et la plupart des politiques considèrent cette question comme un sujet marginal, qu’il ne faut pas trop creuser pour ne pas déplaire aux électeurs. Plus profondément les catégories sociales, qui ont profité du confort de la société de consommation, veulent bien un peu de "greenwashing", mais ne sont pas décidées à sacrifier leur mode de vie pour des objectifs de long terme plus ou moins incertains. La question de l’égalité est structurellement liée à celle de l’écologie. Une société qui se laisse trop facilement persuader que le progrès passe par l’enrichissement des plus riches ne peut pas prendre en compte efficacement l’intérêt général. (4)

    Pour arrêter d’augmenter la dette écologique et pour développer des énergies moins polluantes il faudra revenir à un peu plus de sobriété énergétique et encourager "l’économie verte" (5). En agriculture, dans l’industrie ou dans l’organisation sociale la capacité d’innovation sera fondamentale, pour cela augmenter le niveau de formation de tous est une nécessité. Il est certain que plus de justice et plus d’intelligence sont nécessaires pour aborder cette période de mutation, mais la réflexion sur ce que pourrait être une altercroissance mérite largement d’être approfondie.

    François Saint Pierre

    1. En 2010 l’UE a importé de la Chine pour 268 milliards d’euros de biens et services mais n’ en a exporté que pour 113 milliards.

    2. A propos de Durban : "Il y a là une incohérence fondamentale. Nous ne sommes pas sur la trajectoire qui permet de limiter la hausse à 2°C. Les chiffres seront de nouveau sérieusement discutés en 2015, après la remise du 5ème rapport du Giec. Cependant on en connait déjà globalement la teneur, il ne sera pas possible de jouer la surprise en 2015, alors qu’il sera déjà tard pour agir !" Emmanuel Guérin Directeur du Programme Climat à L’Iddri

    3. Pour les indicateurs voir dans le numéro de janvier 2012 de "Pour la science" l’article : "Du social dans les écobilans". Dans ce même numéro, l’article "Nourrir et préserver la planète" montre toute l’intelligence qu’il nous faudra pour nourrir demain deux milliards d’habitants de plus, sans dégrader l’environnement.

    4. " Un aspect clé réside dans le fait que les populations les plus défavorisées subissent une double charge. Plus vulnérables aux effets les plus larges de la dégradation de l’environnement, elles sont aussi confrontées aux menaces sur leur environnement immédiat dues à la pollution de l’air intérieur, aux eaux polluées et aux déficiences de l’assainissement. Ces privations environnementales en termes d’accès aux combustibles de cuisson, à l’eau salubre et à l’assainissement de base, importantes en soi, constituent aussi des violations majeures des droits humains." Rapport sur la pauvreté du PNUD

    5. Shell : "Pour compenser la baisse de production de 5% par an des champs pétroliers en exploitation, il va falloir en dix ans dénicher quatre nouvelles Arabie Saoudite." (l’agence fédérale de la protection de l’environnement vient d’autoriser Shell à franchir la porte de l’ultime zone pétrolifère inexploitée du territoire des États-Unis !)