Le Café Politique

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   Vue panoramique sur le nouveau paysage politique français

mercredi 31 mars 2010, par François-Xavier Barandiaran

Rarement une élection locale aura eu un tel retentissement sur l’échiquier politique national. A commencer par la mise à nu de la défiance béante de la majorité des citoyens à l’égard de la politique. Les abstentionnistes, premier parti de France ! Et l’on fait semblant de s’en offusquer ! Pourtant, nombreuses sont les raisons qui peuvent expliquer une telle désaffection :

Pourquoi les français se déplaceraient jusqu’aux bureaux de vote, dès lors que la place des régions est mal identifiée et leur budget et compétences réduits au minimum, et que pour la première fois les élections régionales n’étaient pas couplées avec des cantonales, instance bien plus proche du quotidien des gens, surtout en dehors des grandes agglomérations ?

Comment ne pas sentir le dépit de tous ceux qui triment - certains avaient cru aux vaines promesses du Président- pour qui « la crise, c’est tous les jours », comme me disait un bénéficiaire du Secours Populaire ? Les plus de quatre millions d’inscrits aux différentes catégories de chômeurs, les plus d’un million passés à la trappe des statistiques : les non-inscrits découragés de toute demande de réinsertion, les radiés en nombre du Pôle Emploi et ceux qui se trouvent en stage de formation professionnelle. Ajoutez-y les deux millions de travailleurs pauvres, aux contrats précaires et aux horaires partiels, les paysans en perte de revenus qui s’inscrivent au RSA, les retraités et les artisans qu’on retrouve sur les queues des Restos du cœur !

Quelle hypocrisie à simuler l’étonnement devant le taux d’abstention, lors du deuxième tour, dans des banlieues définitivement abandonnées comme Clichy-sous-Bois (68,7 %), Roubaix (65,7 %) ou Vaux-en Vélin (66,7 %) !

Quand on additionne toutes ces « galères », on arrive bien à un tiers de français qui tirent le diable par la queue, des gens de peu à qui il ne reste plus beaucoup de motifs pour croire à l’action des politiques. Il y quelques semaines le Médiateur de la république parlait « d’une société française en grande tension nerveuse, fatiguée psychiquement ». Et le sociologue Eric Morin, dans un entretien au Monde du 25 mars, pouvait affirmer : « Toute une partie de la population vit aujourd’hui dans la peur du lendemain et ne se sent pas représentée ». Même ceux qui ont une situation, comme on dit, se sentent exposés au risque de déclassement : « il en résulte une peur de l’avenir qui n’a pas d’équivalent ailleurs dans le monde ». Il serait temps qu’on se penche sur ce « mal français » qui a, sans doute, beaucoup à voir avec notre identité nationale ! On parle, alors, de dépolitisation, mais Marcel Gauchet a employé le terme plus juste de « politisation négative », qui s’est manifestée par le record d’abstention, par un vote blanc ou nul significatif et par le retour du Front National.

A la lecture des médias après les deux tours des régionales, voilà le nouveau paysage politique, tel que je l’aperçois :

On peut chipoter sur les chiffres, mais il est incontestable que le Front National est loin d’être à l’agonie, comme le montrent les résultats, surtout dans les douze régions où il a pu se maintenir au deuxième tour et où il a gagné 500.000 voix par rapport au premier. Certains avaient cru le « siphonner ». Le revoilà à visage découvert - ce qui, à mon avis, est préférable à un maintien de ses idées camouflées sous d’autres sigles -, avec le même profil que les autres partis populistes européens : un nationalisme pointilleux, une xénophobie sans fard et une peur de voir frelatée la « pureté européo chrétienne » devant un islam prétendu conquérant et inassimilable.

L’électorat de droite est assommé après une telle déroute, 19 points en dessous de la gauche - échec qui va bien au-delà des résultats attendus lors d’une élection de mi-mandat -, et la majorité parlementaire au bord de la crise de nerfs. Sarkozy a, tout de suite, entamé la reconquête de sa majorité : finie l’ouverture à gauche (dont il ne reste que quelques vestiges dans le gouvernement) si mal acceptée par ses troupes, et en avant l’ouverture à droite avec l’entrée –ô combien mesurée !- d’un centriste, d’un chiraquien et même d’un villepiniste dans le gouvernement. Bien que sa parole apparaisse très dévaluée, il promet de continuer les réformes et, surtout, il renie ce qu’il avait annoncé comme une décision historique, la création de la taxe écologique. Carbonisée la taxe carbone !

Le Président a dû céder à la pression du Medef et de F.Copé qui lui tient tête et, surtout, qui tient d’une main de fer le groupe des députés UMP, dont il est le président. C’est un classique en politique. Sarkozy s’était

emparé du RPR pour le transformer en UMP, tremplin nécessaire pour se faire élire en 2007, et voilà que sa créature, son parti, est en train de lui échapper ! Pour reconquérir la confiance des siens il tourne le dos à sa stratégie de vouloir apparaître comme le Chef d’Etat le plus écologiste de la planète. Il est vrai qu’entre temps a eu lieu le fiasco de Copenhague et que sa tactique de vouloir attirer une partie de l’électorat sensible aux problèmes d’environnement et de climat a fait long feu. L’heure est à l’écolo scepticisme !

La tâche de rassembler la famille de droite, dont il a grandement perdu la confiance, va être d’autant moins facile que de nouveaux possibles rivaux apparaissent pour l’aventure présidentielle à venir. Et, tout d’abord, F.Fillon, qui est le seul « miraculé » de la débâcle et dont les bonnes opinions dans les sondages distancent de plus en plus les mauvaises qui affectent le Président. Au-delà de la fidélité réaffirmée du Premier Ministre, l’électorat de droite lui attribue les qualités qui manquent à Sarkozy. De là à voir en lui un bon futur candidat… Et voilà que de Villepin lance son nouveau mouvement aux allures gaulliennes, qui deviendra un parti le 19 juin, clin d’oeil à l’Histoire. Pour l’heure on ignore complètement son programme, mais on sait que son fondateur sera un adversaire pugnace sur la route des présidentielles.

Au centre la situation est plus floue. Il y a de la brume dans le paysage. Il paraît, néanmoins, que le Nouveau Centre, corseté à l’intérieur du parti du Président, s’interroge sur sa stratégie d’intégration au sein de l’UMP, parti trop monolithique. Il y en a ,même, qui commencent à demander le départ de ce parti unique, qu’ils trouvent trop à droite. Ainsi, H. de Charrette qui impulse la « reconstitution de la force politique du centre » ou Jean Artuis qui appelle au rassemblement de tous les centristes, à la refondation de notre famille ». Ils aspirent, surement, à la réunification avec tous les transfuges militants du Modem qui, après le résultat pitoyable de 4,3 % du parti de Bayrou, ne veulent plus suivre aveuglement leur leader, orienté exclusivement vers la poursuite de son projet présidentiel. C’est qu’un parti est une aventure collective et au Modem il y a trop de distorsion entre le projet personnel du président et les militants qui veulent créer une force politique ni de droite ni de gauche.

L’échec du Modem a, ipso facto, éloigné le danger de clivage au sein du PS entre ceux qui miroitaient une alliance avec lui et ceux qui étaient contre. C’est un problème de moins pour le parti socialiste, pour qui d’autres inconnues restent à résoudre les mois à venir. Pour l’heure, le voilà grand gagnant de ces élections. Mais, sans vouloir rabaisser le mérite des équipes sortantes, toutes reconduites avec en plus le gain de la Corse, son succès est quelque peu immérité : il s’agit plus d’un échec cuisant pour Sarkozy que d’un signe de confiance de la part des électeurs à l’égard du PS. En effet, on attend toujours son projet – longue gestation pour un accouchement qui se fait attendre -, projet qui prouverait que les socialistes ont des réponses aux attentes des français.

En abandonnant leur tentation hégémonique dans la plupart des régions où il y a eu des listes communes « de la gauche solidaire », ils ont prouvé que la gauche de gouvernement peut se mettre en ordre de bataille pour gagner les présidentielles en 2012. D’ailleurs, dans deux régions où la fusion des listes n’a pas eu lieu, les électeurs ont donné un sacré coup de pouce aux listes maintenues : 5 point de plus, en Bretagne, à la liste écologiste à 17,4 %, et 6 points à la liste Front de Gauche-NPA, dans le Limousin, à19,1 %. Mais, il reste un long chemin à parcourir jusqu’à l’organisation des primaires – expérience jamais tentée en France – et des possibles accords programmatiques.

Leur premier partenaire est Europe Ecologie, devenue troisième force politique, qui aurait pu savourer encore une victoire plus éclatante si nous ne vivions pas une période de reflux des idées écologistes après l’échec de Copenhague et les attaques en règle de tous les lobbys productivistes. Bien que les opinions publiques se soient mises à douter, l’ancrage de l’écologie dans l’échiquier politique français est un fait. Mais que faire de cette victoire ? Le mouvement Europe Ecologie est un conglomérat de forces assez diverses qu’il faut structurer. Et cela assez rapidement pour être présents en 2012, la « mère de toutes les élections ». Deux lignes s’offrent aux militants : celle des Verts qui ne veulent pas renoncer à leur ancrage à gauche et ne souhaitent pas se hâter précipitamment, et celle de Cohn-Bendit, plus pressé, qui aspire à dépasser le clivage gauche droite au nom des nouvelles exigences de l’urgence climato écologique. Cohn-Bendit, éternel trublion jamais à court d’idées, rêve d’une nouvelle façon de faire de la politique en mettant en ordre de marche tous les petits ruisseaux qui confluent vers Europe Écologie. Pas de parti politique à l’ancienne, mais la volonté d’inventer ensemble une « coopérative politique ». Cela soulève des espoirs, mais aussi des interrogations et des inquiétudes. Concomitamment à cette structuration se pose la question de présenter ou pas un candidat

écologiste en 2012. Cohn-Bendit est prêt à y renoncer contre une cinquantaine de circonscriptions « gagnables » lors des législatives. Les Verts y sont plus réticents et souhaitent prendre le temps d’en débattre.

Le troisième pôle de « la gauche diverse » est constitué par le Front de gauche, qui après avoir obtenu plus de 6 % au premier tour, a fusionné dans 17 régions. Ce faisant, il a répondu aux aspirations unitaires des électeurs se situant à gauche du PS et a contribué au grand succès de « la gauche, solidaire, écologiste et républicaine ». Que va devenir ce Front après les régionales ? En son sein déjà des tensions se font jour à propos des élections à venir, le PC appelant aux assises de toute la gauche, tandis que Mélenchon, qui ne cache pas son désir d’être candidat aux présidentielles, propose aux diverses forces composantes que le Front de gauche présente « des candidats communs au « paquet » des prochaines échéances cantonales, sénatoriales, présidentielles et législatives ». Camarades, l’union est un combat !

Enfin, tout à fait à gauche du paysage politique nous trouvons les trotskistes. Et là, rien de nouveau. Les deux familles ont obtenu un piètre résultat. Le NPA subit un véritable échec, avec seulement 2,5 % des voix, nettement moins qu’aux européennes. Leur décision d’aller seuls n’a pas été comprise par leur électorat. Besancenot déclarait sur TF1 le soir du premier tour : « on revendique notre indépendance vis-à-vis des partis institutionnels, ça a un coût. Ce soir, on en paie le prix fort ». Dont acte.

Pendant ce temps le capitalisme financier repart de plus belle, comme si rien ne s’était passé, et le Gouvernement français poursuit le grignotage incessant des services publics au moyen de la révision générale des politiques publiques.