Le Café Politique

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  L’été 2004

mardi 21 septembre 2004, par François-Xavier Barandiaran

On s’attendait à une nouvelle canicule, et l’été fut frisquet. Mais, non moins ravageur,-analogiquement parlant- pour la France d’en bas et pour les espoirs du peuple de gauche. En effet, pendant que les français bronzaient sur les plages maritimes et fluviales, comme un rouleau compresseur, l’ultralibéralisme a continué sa marche en avant, apparemment inexorable. Vaincu à trois reprises dans les urnes, le gouvernement de droite n’a pas renoncé à ses réformes, posant des jalons qu’il sera, par la suite, difficile de supprimer. Même, il en a mis les bouchées doubles. Jugeons-en :

Vote de la loi réformant la Sécurité Sociale (la pseudo-réforme de Douste -Blazy !) sans s’attaquer à la plupart des problèmes de fond (gouvernance de la Sécu, réforme de l’hôpital, médecine préventive, contrôle des médicaments, etc…) ni au financement du déficit à court et moyen terme .Seuls les usagers (horrible mot, s’agissant de la santé) sont mis à contribution : la privatisation est en marche. Passage en force de la loi de décentralisation, par l’article 49-3, qui transfère des compétences vers les collectivités territoriales. Oh ! il ne s’agit pas d’avancer vers une vraie régionalisation -les prérogatives des régions et des départements sont de plus en plus intriquées-, mais de poursuivre le démantèlement de l’État, en obligeant les Régions à augmenter leurs impôts. Dans les services publics, l’été 2004 laissera aussi des marques : malgré les grèves du personnel d’EDF-GDF, le Gouvernement a changé le statut de ces deux entreprises devenues, ainsi, privées ; vente de 10% des parts de l’État à France-Télécom, ramenant celles-ci au niveau de 42,5% et privatisant automatiquement cette entreprise ; annonce de la poursuite de la fermeture de milliers de bureaux de la Poste notamment dans le monde rural. Sous la poussée du MEDEF et des éléments les plus libéraux de la droite, le débat sur les 35 heures a refait surface : alors que Chirac avait dans son discours du 14 juillet parlé « d’un acquis social » et n’envisageait que des assouplissements, les durs de sa majorité n’ont de cesse de demander l’abrogation de la loi. Ce serait pour eux une grande victoire idéologique. Mais, sans attendre la fin du débat, des entreprises ont mis leurs salariés devant le fait accompli : Bosh, Siemens, Doux, Seb…Remise en question des 35 heures sans compensation salariale, réduction de 25 à 30% des salaires, acceptée pour sauver des emplois, chantage à la délocalisation dans les nouveaux pays de l’Union Européenne ou ailleurs. « O tempora ! O mores ! » Quelle époque : les temps deviennent vraiment durs pour les salariés ! Dans la presse et dans l’édition, de nouvelles concentrations ont eu lieu au bénéfice de grands industriels de l’armement et de la construction : Dassault, Bouygues, Lagardère. La communication industrielle avance ; la démocratie, recule. Du coté de l’écologie : après l’avoir repoussé à trois reprises, le Gouvernement a, enfin, présenté le « plan climat » pour diminuer le réchauffement et mettre en application les accords de Kyoto, où la France est en retard par rapport au calendrier négocié. Mais, les annonces faites par le ministre de l’environnement sur le bonus-malus des voitures roulant au diesel se sont dégonflées comme une baudruche. La production de CO2 peut continuer, les efforts seront pour plus tard.

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Dans la vie des partis politiques, parmi les vicissitudes de l’été, je relèverai les points suivants :

- le feuilleton des relations entre Chirac et Sarkozy au sujet de la présidence de l’UMP et du cumul de cette fonction avec celle de ministre de l’Économie, après le « j’ordonne, il exécute », et qui a abouti « in extremis » à un accord tactique. Attendons la suite…

- la perte d’autorité du 1er Ministre Raffarin, chancelant et incapable de définir une ligne politique claire, annonçant des choix (amnistie fiscale pour les capitaux partis en fraude à l’étranger, s’ils sont rapatriés, et étalement du rattrapage du SMIC sur deux ans), qu’il est obligé de retirer, lui-même, quelques jours plus tard.

- affrontement entre les choix de Sarkozy : diminuer le déficit et rembourser la dette, et ceux de Borloo : priorité à la cohésion sociale. Stratégie du Président Chirac qui maintient deux fers au feu. Cela sert toujours en politique de montrer qu’on est sensible à la fracture sociale.

- Au parti socialiste, deux questions ont accaparé principalement l’attention : l’impatience des possibles futurs candidats à la présidentielle de 2007, qui piaffent comme des chevaux prêts au galop, et les débats autour de la Constitution européenne. Déjà, au Parlement de Strasbourg, les socialistes français s’étaient démarqués de leurs camarades européens, en s’opposant à l’accord passé entre le PSE (parti socialiste européen) et le groupe libéral majoritaire pour se partager moitié-moitié la présidence du Parlement, pendant la législature. C’est, en revanche, à propos de la ratification de la Constitution de l’Europe que les clivages sont devenus importants entre les « pour » et les « contre », surtout après la prise de position de Fabius. Les militants devront être consultés avant la fin de l’année.

- N’oublions pas, par ailleurs, que les 21 Conseils Régionaux à dominance socialiste ont mis en application, à la rentrée, la promesse de gratuité pour les livres scolaires et que le parti a mis en place la commission qui doit élaborer le projet politique pour 2007.

- Comme il est habituel, à la fin du mois d’août ont eu lieu les universités d’été des partis politiques :

1) les Verts étaient à Toulouse, toujours en proie au risque d’une balkanisation du parti entre les diverses nuances et tendances. Arriveront-ils à créer une majorité stable d’ici

à décembre, lors de leur congrès ?

2) La LCR, après les résultats mauvais de leur liste commune avec LO, continue à s’interroger sur le bien-fondé de cette stratégie, cependant que Besancenot appelle à un mouvement de « résistance de gauche »

3) Les membres d’ ATTAC n’ont pas fini de réfléchir au débouché politique de leur mouvement et au risque de lasser les militants, en faisant du surplace. Pourront-ils rester indéfiniment un mouvement d’éducation populaire ?

Côté action : rappelons les fauchages/arrachages d’OGM plantés en plein champ, opérés par des militants des Verts, la Confédération paysanne et autres altermondialistes.

Côté convivialité : la fête de l’Humanité a eu cette année un succès important. Les communistes ont perdu leurs bataillons électoraux mais ils ont réussi à trouver une place dynamique dans le jeu politique français.

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A la confluence du politique et du sociétal, deux types d’événements ont remué le fondement sociologique et anthropologique de notre société :

Sur fond d’actes racistes et de vandalisme de cimetières chrétiens, juifs et musulmans, les agressions racistes d’un déséquilibré psychologique, mais surtout la fabulatrice Marie L., qui porte plainte à la suite d’une fausse agression dans le métro et l’incendie d’un centre social juif à Paris par un bénévole mécontent, issu lui-même de la communauté juive, ces trois affaires obligent à réfléchir sur la précipitation de la presse et des hommes politiques, ainsi que sur les réflexes conditionnés de notre société, prompte à voir des « victimes » et des « coupables » désignés d’avance .

L’autre événement, cela a été le premier mariage entre deux homosexuels, célébré par Noël Mamère, et , par la suite, déclaré nul par la Justice. Il a lancé un débat qui n’est pas prêt de s’estomper sur le mariage, la filiation, l’égalité de traitement des personnes qui ont une sexualité différente.

Évidemment, on ne peut conclure cette rétrospective sans citer l’enlèvement des deux journalistes français en Irak, suivi du consensus national, dans lequel le trait le plus remarquable, me semble-t-il, est l’attitude des musulmans de France s’associant à toutes les voix républicaines, dissociant la loi sur les signes religieux et rendant hommage à la République. Si on y ajoute la rencontre-dialogue entre l’UOIF ( Union des organisations islamiques de France) et le CRIF ( Conseil représentatif des institutions juives de France ), on peut espérer qu’une page nouvelle vient de s’ouvrir dans ce qui est et qui restera pendant les lustres à venir l’un des problèmes cruciaux de notre société.

C’est fou ce qu’il peut advenir en politique pendant les quelques semaines d’un été !

Et encore, la liste n’est pas exhaustive, mais, quand même, assez longue pour établir un riche kaléidoscope qui devrait pouvoir nourrir la rentrée de notre café politique.