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  L’Islam est-il compatible avec la République ?

mardi 25 novembre 2003, par François-Xavier Barandiaran

La France est en effervescence : le socle de la République serait ébranlé, et, notamment, l’un de ses piliers, la laïcité. L’enjeu est d’importance, mais qu’en est-il du risque réel ? Il est à considérer en tenant compte du contexte international et national, dont voici un sommaire tableau :

1) Depuis environ deux décades on a assisté dans l’aire islamo-musulmane, sunnite et chiite, à l’éclosion de mouvements politiques, qui , s’appuyant sur la religion, proposent une prise du pouvoir et l’installation de régimes islamistes. Ils vouent, par ailleurs, une haine sans limite à l’Occident et à certaines de ses valeurs. Logiquement ils ont étendu leur action et leur influence aux pays européens, où se trouvent de fortes populations musulmanes. Bien que très minoritaires au sein de celles-ci, leur action est réelle. Certes, et il ne faut pas l’oublier.

2) Concernant la France, l’événement est plus ancien, mais beaucoup de ses acteurs sont encore vivants : il s’agit de la fin de la colonisation des pays du Maghreb, et surtout de la guerre d’Algérie. Son ombre plane encore sur notre vie politique, et l’empoisonne, 50 ans après, de par l’intérêt qu’en tire le Front National et d’autres forces similaires.

C’est sur cette toile de fond que se joue, aujourd’hui, l’acte des débats à propos du voile. Comme l’écrit R.Solé : « si le sujet provoque tant de passion, c’est bien parce qu’il touche aussi aux inégalités sociales, aux peurs de toutes sortes, à l’histoire et à l’identité d’une société française incertaine de son avenir ». Je ne vais pas m’attarder à considérer l’opportunité d’une loi ou pas, afin que le principe de la laïcité soit respecté. Ce débat a lieu partout. En revanche, il m’est avis que ce qu’il faut empêcher par dessus tout, c’est qu’une fois de plus la question du voile ne se transforme en rideau de fumée qui évite le vrai débat sur le pacte républicain.

Depuis un demi siècle, et surtout depuis la période dite du « regroupement familial » dans les années 70-80, entre 4 et 5 millions d’arabo-musulmans se sont installés en France et ont vocation à y demeurer. Voilà la réalité nouvelle pour la République, qui se doit de faire de ces nouveaux venus des citoyens à part entière. Ayant des valeurs anthropologiques, culturelles et religieuses différentes, la confrontation est inévitable : qu’est-ce qui est négociable ou pas pour chacune des parties ? Un dialogue, un temps d’acclimatation assez long seront nécessaires. Mais, qui dit dialogue parle du respect de la culture et de la dignité de l’autre. En somme, la vraie question est celle de l’acceptation par la République de la réalité musulmane, et réciproquement.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits… » affirme notre constitution.

Or, quel constat rapide peut-on établir de la situation actuelle à l’égard de la grande majorité de la population musulmane ? Pour la décrire on trouve , de plus en plus, sous la plume de certains le terme de ghetto. . Le mot est impropre ? Jugeons-en

 Cela commence par la ségrégation du logement (’phénomène qui s’accentue de plus en plus via la politique de l’accès à la propriété et le départ progressif des familles -souvent européennes- qui ont des revenus plus stables ) dans des cités multitudinaires, d’une laideur insupportable, situées souvent entre friches industrielles et autoroutes, comme dans la couronne parisienne.

 Il s’en suit des problèmes de scolarisation,-important défi lancé à l’Éducation Nationale qui ne fait plus office de tremplin pour les enfants de la « France d’en bas »- aggravés par tous les détournements du respect de la carte scolaire.

 Ségrégation, aussi, pour l’accès au logement des jeunes couples, aux loisirs et au travail -(Cft toutes les enquêtes menées à propos des refus de candidatures envoyées par des personnes, munies de diplômes, comportant des noms à consonance arabe)

 Ainsi, le peu de qualification pour les uns, et la couleur de la peau, pour tous les autres, expliquent que le taux de chômage dans certains quartiers est trois à quatre fois supérieur à celui des jeunes d’origine européenne. De telle manière, se développe un climat d’exclusion qui alimente, par ricochet, une attitude négative, et pour tout dire, un refus d’intégration dans les normes et les valeurs de notre société

 Dans le quotidien le plus banal de nos rencontres, qui n’entend pas, au moins une fois par jour, un propos anti-arabe ou islamophobe ? ou tout simplement, de supériorité, comme si on avait perpétué dans la relation à ces populations d’origine maghrébine le rapport colon-colonisé, d’avant l’indépendance ?

-D’où l’échec de l’intégration des jeunes de la 2ème et 3ème génération, qui, ne se sentant pas reconnus comme de vrais citoyens français, ont créé une citoyenneté des « cités »

-Ce déni de reconnaissance atteint tous les niveaux de l’identité d’une communauté : On humilie la culture musulmane quand on ignore le rôle qu’elle a joué dans le passé, depuis le rayonnement culturel de Bagdad entre le 9èmè et le 12ème siècles jusqu’aux splendeurs d’ El Andalus, et la dette que la nôtre a à son égard quant à la transmission et l’accroissement des connaissances en médecine, en astronomie, en algèbre et mathématiques, et jusqu’à la connaissance par l’Occident de la philosophie grecque au Moyen Âge ! On humilie une religion, quand on ne lui permet pas d’avoir les moyens et les lieux de culte pour pouvoir être pratiquée dignement : rappelons « l’islam des caves » et des hangars, faute de pouvoir construire des mosquées

Dans le domaine politique, qui traduit de la manière la plus visible l’appartenance citoyenne, comment justifier que le débat récurrent de la participation des immigrés, au moins aux élections locales , n’ait jamais abouti ? Que dire de la frilosité des partis politiques (la gauche n’a pas mieux fait que la droite !) pour inclure dans leurs listes, à des postes éligibles, des candidats issus de l’immigration ?Les musulmans de France ne peuvent que se sentir diminués dans un pays qui pratique la ségrégation et la discrimination à tous les niveaux

Comment s’étonner, alors, que devant une République défaillante, quant à son modèle d’intégration, des mouvements islamistes attirent un certain nombre de jeunes, leur apportant l’identité dans un repli politico-religieux ? Par conséquent, en rester, au niveau du débat sur l’interdiction du voile islamique, à la nécessité ou pas de faire une loi, c’est ne rien comprendre à l’urgence et à l’importance de la situation :à savoir, créer les conditions pour que des croyants musulmans ne soient pas dévoyés par des courants islamistes radicalisés

En même temps, en tenant compte de la complexité du réel et des personnes (attention à la simplification de transformer le voile exclusivement en symbole de telle ou telle contre-valeur !), continuons à faire confiance à l’école et à ses acteurs pour « explorer au préalable d’autres voies (que celles de la loi), en particulier celles du dialogue et de la démarche éducative pour obtenir le retrait du voile » (G.Ascheri, président de la FSU).

Oui à la laïcité et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Non aux fausses solutions simplistes et opportunistes. L’Islam est au cœur de nos sociétés occidentales et va y rester C’est au début d’un marathon que nous assistons, dont la fin de course ne doit être autre qu’apprendre à vivre ensemble

FXB

Devinette : quelle personnalité politique a déclaré au journal « Le Monde », le 18 novembre : « J’ai la conviction que c’est dans les cités que se joue la République..

C’est à dire celle de l’égalité des chances et de son unité. La fracture entre deux France ne fait que s’aggraver depuis 15 ans…la spécificité française aujourd’hui en Europe, c’est que l’arrogance républicaine nous a fait passer directement à la case « ghetto » sans passer par la case communautaire que rejettent les principes de notre République. Cette ghettoïsation favorise les haines, bien plus qu’un système communautaire ».