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  Vaccin : pour une analyse risque-bénéfice individuelle et collective

vendredi 27 novembre 2020, par François Saint Pierre

Le partage simpliste du monde entre pro-vaccins et anti-vaccins est un symptôme de notre faiblesse à organiser correctement un débat démocratique sur les enjeux sociaux-politiques. Effet des questions sommairement classificatrices des sondages d’opinion et de la mise en scène des joutes oratoires qui alimentent le spectacle médiatique, mais plus profondément cela traduit l’incapacité en termes de temps, de volonté et de compétences des citoyens à peser sur les choix qui engagent l’avenir notre société. Faiblesse de notre système démocratique qui, bien loin de son affirmation centrale sur le pouvoir du peuple, reporte trop l’analyse des enjeux et la responsabilité des décisions aux représentants élus et à la haute fonction publique.

L’histoire des vaccins, et le réel des campagnes de vaccination, montre que, s’il y a eu des réussites superbes, il y a eu aussi des échecs et des résultats mitigés. On peut donc être pour le principe de la vaccination et être critique par rapport à certaines politiques vaccinales qui ne paraissent pas toujours justifiées.

L’évaluation d’une politique vaccinale est très complexe. Dans un premier temps, il est normal de regarder l’efficacité du vaccin sur un temps court par rapport à la maladie dont il est censé nous protéger. Regarder l’écart de protection sur deux bras construit aléatoirement d’une cohorte, l’un comportant des gens réellement vaccinés, l’autre n’ayant droit qu’à un placebo, est une méthode correcte. Mais mesurer un effet significatif est difficile, par exemple pour 17 000 000 de personnes vaccinées contre la grippe en France on évalue la baisse moyenne de mortalité annuelle autour de 2500 http://beh.santepubliquefrance.fr/b... soit environ un décès évité pour 7000 personnes vaccinées. La mesure de la baisse de gravité de la maladie dû au vaccin est encore bien plus difficile à mesurer. Dans les premières études de phase 3 des vaccins pour la Covid l’ordre d’idée du gain mesuré sur le risque d’avoir un test PCR positif est en gros passé de 0,5% à 0,05%. Si on le ramène au risque de décès cela revient à passer de 0,001% à 0,0001. Sous réserve pour l’instant que les personnes qui évitent d’avoir un test PCR positif sont bien ceux qui ont un risque de faire une forme grave. L’efficacité des vaccins étant souvent décroissante avec l’âge, l’efficacité de ces nouveaux vaccins reste encore à préciser.

Les résultats actuels, pour des raisons bien compréhensibles d’urgence sanitaire, sont donnés sur une période de test très courte. Quelques effets indésirables mineurs et transitoires ont été observé dans environ 10% des cas, par contre il n’y a pas eu d’effets secondaires graves dans les différents essais. Mais l’expérience prouve que la survenue d’effets secondaires peut aussi survenir dans des délais bien plus longs que quelques mois et il est donc légitime de ne pas conclure trop vite sur l’innocuité du vaccin. De même un contrôle plus long permettra de savoir si l’immunité acquise dure plusieurs mois ce qui serait suffisant pour protéger lors de l’arrivée d’une vague épidémique.

L’évaluation d’une politique vaccinale ne peut se résumer à la mesure du risque lors de la phase 3. En effet, la pratique de la vaccination de masse comporte des risques supplémentaires. Risques de fabrication lors de la production industrielle, risque de rupture de la chaîne du froid, risque d’erreur humaine au moment de la vaccination. Certaines campagnes de vaccination, comme celle du BCG à Lubeck en 1930, ont connu des échecs plus liés aux conditions concrètes de réalisation, qu’au danger intrinsèque du vaccin. https://fr.wikipedia.org/wiki/Vacci... Dans tous les cas, même en supposant une campagne bien conduite l’évaluation de l’intérêt d’une vaccination de masse doit être évaluée. En effet, même des effets statistiquement rares peuvent devenir non négligeables si le nombre de vaccinés est très important. Cf. le bénéfice discutable de la vaccination contre la grippe H1N1 en 2009 https://fr.wikipedia.org/wiki/Vacci... ou la controversée campagne de vaccination contre l’hépatite B la vaccination contre l’hépatite B http://www.assemblee-nationale.fr/r...

L’évaluation de l’effet des vaccins sur la qualité à long terme de l’immunité individuelle est très difficile à faire. C’est sur ce point que porte l’essentiel de la critique de ceux qui sont réticents aux campagnes massives de vaccination. L’immunité acquise suite à un vaccin n’est pas en général du même ordre que celle acquise après avoir eu la maladie. L’immunité acquise se construit en bonne partie lors des premières années de la vie, c’est pourquoi malgré les risques de voir les enfants malades nous acceptons que ceux-ci se confrontent à beaucoup de maladies infantiles. Si d’un côté on peut penser que chaque vaccin augmente le capital d’immunité acquise, d’un autre on peut aussi penser que la construction d’une immunité acquise lors d’une vie sociale normale est meilleure pour la santé que la multiplication de vaccination. Aucune étude scientifique n’a encore vraiment répondu à cette question, nous sommes donc plutôt dans l’ordre de la croyance, qui s’appuie sur le rapport individuel à la technoscience et à la nature. Les convictions sur ce point, qui concerne le long terme, pèsent dans la balance, mais ne modifient pas fondamentalement l’analyse risques/bénéfices qui souvent se situe dans une perspective de moyen terme.

D’un point de vue individuel, dans le cas de la Covid, les jeunes, qui sont très rarement sévèrement malades ont peu d’intérêt à se faire vacciner. Les personnes âgées et ceux qui ont des comorbidités, sous la réserve d’une assez bonne innocuité du vaccin, ont dans une perspective compréhensible de court terme, intérêt à prendre le risque de privilégier une augmentation de leur immunité.

À titre collectif, comme le développement de l’épidémie est hétérogène, il serait plus intéressant de vacciner prioritairement ceux qui ont beaucoup d’interactions sociales et qui sont donc plus susceptibles de favoriser la propagation du virus, en particulier les professions médicales qui sont souvent en contact avec des malades.

Que cela soit à titre individuel ou collectif, pour décider d’une stratégie il faut avoir un maximum d’information sur les risques et la capacité concrète de réaliser une vaccination de masse. Il faut à partir de là pondérer les avantages. Le vaccin fera effet quand la phase d’installation de la pandémie au niveau mondial sera à peu près terminée. Il y a une forte probabilité que le virus devienne saisonnier en tenant compte de l’immunité déjà acquise par les individus lors des premières vagues épidémiques. Si c’est le cas, l’intérêt collectif devient secondaire par rapport à l’effet individuel et la meilleure stratégie serait donc de vacciner les personnes à risques en priorité et les personnes les plus exposées au risque d’infection. Si l’immunité acquise est trop faible pour que la phase d’explosion du virus se calme avec des mesures de distanciation sociale modérées, alors la stratégie de vaccination, doit dans l’intérêt collectif, viser une grande partie de la population notamment les individus qui ont le plus d’interactions sociales. Dans le premier cas l’obligation vaccinale n’a aucun intérêt, dans la deuxième, pour des raisons pratiques, son intérêt n’est que théorique. En effet pour augmenter l’immunité collective suffisamment pour réduire le taux de reproduction de la maladie point n’est besoin de vacciner toute la population. Rendre le vaccin obligatoire laisserait penser que cette obligation est prise pour masquer les doutes sur son intérêt et pourrait s’avérer contre-productive.

Le choix actuel du Président de la République est de ne pas opter pour la vaccination obligatoire c’est bien, mais cela aurait dû être débattu et argumenté dans l’espace public. Le partage du monde fait par les médias entre les "raisonnables" qui n’ont aucun doute sur l’intérêt de la vaccination et les complotistes me semble révéler la marginalisation de la science dans le débat public. Notre constitution qui ramène toujours la politique à un choix entre deux positions, empêche, sur les grands enjeux sociaux-politiques l’émergence de toute pensée un tant soit peu complexe. La présidentialisation excessive de notre système politique laisse la porte ouverte aux dérives autoritaires. Une démocratie c’est d’abord des citoyens libres, informés et capables de débattre sur des arguments rationnels, l’algorithme majoritaire doit à partir de là permettre de choisir. En ce moment, nous sommes bien loin de l’idéal démocratique.