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  Qui va rembourser la dette ?

mercredi 20 mai 2020, par François Saint Pierre

La France va passer, d’ici quelques mois, à une dette d’environ 120% du PIB. Alors qu’il y a peu le passage au-dessus des 100% était présenté comme un handicap terrible, la France a décidé d’emprunter plusieurs centaines de milliards d’euros pour faire face à la crise sanitaire. Comme en 2008, où il fallait sauver les banques, il y a eu unanimité pour que l’Etat paye le chômage partiel et propose des milliards aux secteurs en difficulté. Devant l’urgence le gouvernement a oublié sa logique comptable et personne n’a versé les habituelles larmes de crocodiles sur le sort des générations futures, ni sur le dépassement des 60 % autorisés par le traité de Maastricht.

Comparer une dette, qui correspond à un stock accumulé en plusieurs années, au flux économique annuel que mesure le PIB est assez aberrant. Les banquiers savent bien que l’on peut prêter tant que l’on est en dessous de la valeur du patrimoine de l’emprunteur, pour plus de sécurité on vérifie que le montant à rembourser par année n’est qu’une proportion raisonnable des revenus annuels. Vu les taux actuels et la valeur de notre patrimoine public, nous sommes encore dans les clous, mais on s’approche pour la dette publique dangereusement de la zone rouge qui correspond aux doutes sur notre capacité à rembourser et donc au risque de voir augmenter les taux d’emprunts. Il faut aussi noter que la dette privée accumulée par les entreprises et les particuliers dépasse les 130% du PIB, ce qui devrait aussi augmenter avec les difficultés économiques causées par la crise sanitaire, mais pour l’instant cette dette ne représente que 20 % du patrimoine économique des français.

Les milliards empruntés pour sauver le système n’augmente pas notre patrimoine, par contre ils empêchent notre économie de s’effondrer et ils nous permettent d’attendre des jours meilleurs. S’endetter peut parfois correspondre à des investissements rentables, comme par exemple améliorer la formation des jeunes ou augmenter les capacités de recherche technoscientifique, mais cela fait quelques années que la France emprunte plus pour boucler des budgets mal ficelés ou pour sortir des crises, plutôt que d’investir pour l’avenir.

Rembourser les dettes se fait le plus souvent par de l’inflation qui permet de réduire en valeur relative les remboursements, mais cela appauvrit les catégories sociales qui ne sont pas au cœur du système productif. L’existence de l’euro et des règles budgétaires européennes rendent la mise en place de politiques nationales inflationnistes difficiles et depuis quelques années la tendance est à des taux d’intérêts très bas. Pour rembourser les économistes libéraux, au nom de la compétitivité mondiale, proposent aux politiques de faire des économies sur les services publics et de serrer la ceinture des classes populaires, notamment en les faisant travailler plus pour le même salaire. Rigueur et austérité sont les éléments de langage classique pour justifier ces politiques antisociales. C’est comme cela que, pour éponger les dettes provoquées par la crise financière de 2008, on nous a supprimé des lits d’hôpitaux, bloqué les salaires des fonctionnaires, baissé les retraites et augmenté le SMIC a minima. Pendant ce temps, au nom de la concurrence au sein du capitalisme mondialisé, les dividendes des actionnaires progressaient allègrement.

Annuler simplement la dette revient à la faire payer à ceux qui ont prêté l’argent. Les classes aisées en premier, qui possèdent l’essentiel des produits financiers, mais aussi les classes moyennes qui ont des assurances vie et quelques économies. L’inconvénient est qu’il sera ensuite difficile d’emprunter, chat échaudé craint l’eau froide. La solution de la dette perpétuelle que l’on ne rembourse jamais revient à la situation actuelle où on rembourse les dettes anciennes, mais en empruntant sans arrêt pour continuer à faire fonctionner l’Etat. Lorsque les taux d’intérêt sont bas et la dette modérée, cette situation peut durer longtemps sans mettre gravement en péril les équilibres budgétaires. Pour autant le choix d’une dette importante mérite un débat démocratique qui va au-delà des poncifs sur les générations futures. Quand on fait de la dette publique, l’important est de savoir qui en profite et qui va rembourser. Répondre la France et les français, comme le fait le gouvernement actuel, revient à dépolitiser la situation en faisant croire qu’il suffit de respecter les logiques de marché pour faire une bonne gouvernance.

La dette est toujours une perte d’autonomie décisionnelle vis-à-vis de ceux qui prêtent. Ce n’est pas une abstraction qui ne concerne que l’emprunteur, il y a des préteurs qui peuvent être des fonds de pension, des banques ou des possesseurs d’assurances vie. Le Japon a une grosse dette, mais elle est très nationale (85% possédée par les japonais, qui, par ailleurs, ont confiance dans leur nation) et ne remet donc pas en cause l’avenir du pays, même si elle handicape le fonctionnement de l’Etat. Par contre, la Grèce a dû plier sous le diktat de ses créanciers européens et les pays pauvres se sont souvent trouvés politiquement prisonniers de dettes énormes faites par leurs dirigeants. La dette, suivant son montant et sa composition, est un enjeu de souveraineté nationale. Lors de cette crise sanitaire l’obligation d’emprunter nous a fait perdre un peu de notre souveraineté au profit du système financier mondial et laisse un peu plus de pouvoir de contrôle sur le fonctionnement de l’Etat aux catégories sociales les plus aisées.

Tant qu’on paye les intérêts la confiance internationale est là ! C’est la confiance que l’on a dans le pouvoir qui garantit la monnaie qui permet d’emprunter correctement au niveau national ou international. L’Europe et sa capacité financière a été souvent invoqué comme une solution. En effet, la crédibilité du système économique allemand peut permettre d’emprunter à des taux très bas pour relancer partout en Europe l’économie européenne. Emprunt limité que semble accepter l’Allemagne, car il permettrait en premier à son efficace système productif de profiter de la relance de la demande en Europe pour asseoir un peu plus son hégémonie industrielle. Jusqu’à présent, l’Europe a été incapable de se coordonner pour réagir solidairement face aux grands enjeux politiques ou économiques. La confiance entre nations n’est pas suffisamment forte pour compter en ce moment difficile sur une Union Européenne, qui ne sait comment dépasser le stade de la simple collaboration pour aller vers plus de cohérence politique et sociale. Le récent accord entre Merkel et Macron peut être vu comme un début de lucidité sur la nécessaire solidarité européenne sur les enjeux mondiaux ou comme une position purement tactique qui permet de renforcer le pouvoir du tandem France-Allemagne.

Les français vivent-ils au-dessus de leurs moyens ? est une question qui peut sembler légitime et qui a souvent justifié les politiques d’austérité imposées aux classes moyennes. Pour la France la réponse classique est que nous sommes la sixième puissance mondiale et que donc nous sommes riches. Richesse relative quand on voit qu’une entreprise comme Amazon vaut autant, à elle seule, que toutes les entreprises du CAC 40. Puissance illusoire, quand on voit notre incapacité à fournir des masques et du matériel pour les soignants pendant cette crise sanitaire. En pratique cette question est mal posée, car beaucoup de français vivent petitement, mais effectivement certains profitent largement d’un système fortement inégalitaire qui leur permet de consommer fortement. Excès notamment de consommation énergétique qui se traduit par de la pollution et une augmentation de l’effet de serre.

Le problème le plus important de la dette n’est pas dans celle qui se compte en euros ou en dollars. Mais celui des multiples dettes accumulées par notre civilisation. Dettes sociales, anthropologiques et écologiques. Albert Camus dans son discours de remise du Nobel disait en 1957 : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » L’inquiétude qui pointe dans le discours des collapsologues, mais aussi dans les médias pendant cette crise sanitaire, semble indiquer que la modernité risque de se défaire, si nous continuons notre dette écologique avec un système économique très inégalitaire et obsessionnellement productiviste.

La dette écologique ne pourra se résorber en euthanasiant discrètement quelques rentiers et quelques petits vieux par des mécanismes d’inflation. Notre économie ne sait évaluer que les biens issus du système productif à travers la demande du marché des consommateurs. Nous avons toujours considéré la nature comme un infini renouvelable, donc sans valeur. La finitude du monde nous est apparue tardivement, la photo de la terre vue de l’espace nous a permis de comprendre que ce monde avait des limites, même si nous avons toujours l’impression d’un horizon illimité.

Faut-il emprunter pour revenir au monde d’avant et considérer que c’est une dette défensive ou s’endetter pour réorienter notre développement et inventer un nouveau monde plus soutenable ? Ne sommes-nous pas en train de perdre la confiance dans nos dirigeants, dans nos institutions et plus profondément dans le monde techno-productiviste qui a accompagné la modernité ? C’est à ces questions qu’il faut s’atteler, plutôt que de relancer sans réflexion et sans débats la croissance, comme nous le propose le gouvernement actuel.