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  Pour un après COVID raisonné et lucide

dimanche 26 avril 2020, par Jean-Pierre Lorré

Nous traversons une crise sanitaire majeure qui n’est pas terminé. Cette crise touche les fondements de nos modes de vie et de notre démocratie, elle laisse béant le fossé des inégalités.

Il est sans doute trop tôt pour en dresser un bilan, la mesure de ses répercussions tant économique, qu’humaine sont encore hors de portée.

Je ne reviendrais pas sur le constat très bien documenté par ailleurs : le signifiant du modèle libéral ? Et la conjonction avec la crise climatique.

Je veux évoquer l’avenir à court terme (sortie du confinement) et à moyen et long terme notamment pour notre métropole dont l’avenir risque d’être sombre.

La stratégie de déconfinement va être présenté au parlement cette semaine. Parmi les mesures proposées, une application « StopCovid » va être discutée. Le projet repose sur le déploiement d’une application pour téléphone portable, dont le principe est d’enregistrer, à l’aide des communications Bluetooth, les contacts entre les individus, afin de détecter d’éventuels risques de contamination. Ce type d’application induit en fait des risques importants quant au respect de la vie privée et des libertés individuelles. L’un d’entre eux est la surveillance de masse par des acteurs privés ou publics, contre laquelle l’Association Internationale de Recherche en Cryptologie (IACR) s’est engagée à travers la résolution de Copenhague (1) . De nombreux autres risques existent, variables suivant les choix techniques, dont par exemple le géo-traçage d’individus et la levée de l’anonymat des malades par des entités ou par les fournisseurs d’accès internet (une analyse détaillée et des exemples concrets sont disponibles ici (2)).

Outre ces risques concernant nos libertés cette application risque d’être inefficace d’un point de vue sanitaire voire contre-productive. L’association « La Quadrature du Net » en présente ici (3) les éléments principaux :

• Utilisation trop faible :

• de premières approximations évaluent que plus de 60% (4), voire plutôt 80 % (5) ou 100 % (6) de la population devrait utiliser l’application pour que celle-ci soit efficace, à condition encore qu’elle produise des données fiables ;

• seulement 77% de la population française a un smartphone (7) et cette proportion baisse à 44% pour les personnes de plus de 70 ans, alors qu’elles sont parmi les plus vulnérables ;

• beaucoup de personnes ne savent pas forcément activer le Bluetooth et certaines refusent de le maintenir activé en permanence pour des raisons pratiques (batterie) ou pour se protéger d’usages malveillants.

• Résultats trop vagues :

• il faut redouter que la population n’ait pas accès à des tests de façon assez régulière pour se signaler de façon suffisamment fiable (et se reposer uniquement sur l’auto-diagnostic risquerait de faire exploser le nombre de faux-positifs) ;

• il ne semble n’y avoir aucun consensus quant à la durée et la distance de proximité justifiant d’alerter une personne entrée en « contact » avec une autre personne contaminée ;

• à certains endroits très densément peuplés (certains quartiers, grandes surfaces, grandes entreprises) on assisterait (8) à une explosion des faux positifs, ce qui rendrait l’application inutile ;

• le champ de détection du Bluetooth semble beaucoup trop varier d’un appareil à un autre et sa précision n’est pas forcément suffisante pour offrir des résultats fiables.

L’avenir international est sombre, l’avenir Européen et national ne l’est pas moins, quid de notre région et de notre métropole toulousaine ?

Alors que le trafic aérien a baissé de 98 % en France et que personne ne prévoit un redémarrage significatif du transport aérien avant 12 à 36 mois d’autant plus quand on voit la situation mondiale et la dépression économique qui suivra la crise sanitaire. Ceci va bien entendu avoir des répercussions très importante sur la filière aéronautique qui est le pilier principal de l’activité économique de la métropole toulousaine. Même si le phénomène de décroissance du transport aérien est en lui-même une bonne chose vis-à-vis du réchauffement climatique, il serait irresponsable de ne pas s’interroger sur les conséquences à court et moyen terme de cette décélération brutale sur le marché de l’emploi de notre région.

La diminution très forte du transport aérien induit un manque à gagner très important pour les compagnies aériennes (cf. le plan de sauvetage d’Air France) qui annulent en séries les commandes d’aéronefs.

Selon l’INSEE (9) , en 2018, la filière aéronautique représentait 159 000 emplois dans le sud-ouest, dont 69% en Occitanie avec la majorité en Haute-Garonne, autour de Toulouse ; soit 110 000 salariés en Haute Garonne dont 70 000 rien que sur le territoire de la métropole toulousaine. Sachant qu’un emploi industriel permet, toujours selon l’INSEE, de créer 1,5 emploi indirect et 3 emplois induits dans le reste de l’économie, ce sont donc 165 000 emplois directs et indirects et 330 000 emplois induits, soit près de 500 000 emplois au total sur 620 000 (soit 80%) qui sont concernés rien que sur le département de la Haute-Garonne et 385 000 emplois sur le territoire métropolitain sur 452 000 (soit 85%).

Dans cet article de La Tribune (10), un analyste indique que « l’industrie aéronautique va être très fortement touchée car le trafic aérien de passagers va diminuer en 2020 et 2021, voire 2022, avant de retrouver un niveau normal. Cela aura un impact majeur sur la commande de nouveaux avions, mais aussi sur la maintenance, l’autre pilier de ce secteur. Si moins d’avions volent, les besoins en maintenance seront considérablement réduits ». L’impact sur l’emploi de la forte décroissance du secteur risque donc d’être très fort, en commençant bien entendu par les sous-traitants les plus précaires.

Sans vouloir maintenant remettre sur la table le manque de clairvoyance des élus et autres acteurs qui ont laissé s’installer un tel monopole, il est grand temps de se rassembler afin de définir les mesures d’urgence et planifier une diversification économique s’appuyant sur les forces de la région : un tissu industriel important, de fortes expertises et une recherche universitaire et industrielle active. Un chemin prometteur serait de réorienter ces compétences vers les métiers nécessaires à la transition écologique. Un moratoire sur les projets pharaoniques (3ᵉ ligne de métro, tour Occitanie, etc.) est à prévoir afin de dégager les leviers nécessaires à impulser un nouveau souffle à la métropole toulousaine.

Il faut de toute urgence initier la démarche qui nous permettra d’éviter la catastrophe économique et sociale dont les plus défavorisés feront les frais, mais comment faire confiance à ceux qui ont détruit notre démocratie et notre modèle social et qui empruntent maintenant les mots du CNR (11) sans vraiment les comprendre.

1 https://www.iacr.org/misc/statement...

2 https://risques-tracage.fr/

3 https://www.laquadrature.net/2020/0...

4 https://science.sciencemag.org/cont...

5 https://www.youtube.com/watch?v=7fO....

6 https://twitter.com/randhindi/statu...

7 https://www.economie.gouv.fr/files/...

8 https://linc.cnil.fr/fr/coronoptiqu...

9 https://www.insee.fr/fr/statistique...

10 https://toulouse.latribune.fr/econo...

11 https://www.elysee.fr/emmanuel-macr...

Jean-Pierre Lorré

Futur ex conseiller municipal de Balma

Directeur Recherche et Développement d’une entreprise du secteur de l’informatique

Membre de la France Insoumise

Quelques autres références intéressantes :

Les 11 mesures d’urgence proposées par la France Insoumise :

https://lafranceinsoumise.fr/2020/0...

Le rapport assez complet et pertinent, même si je n’en partage pas toutes les analyses et conclusions, de Dominique Strauss-Kahn sur cette crise :

http://www.politiqueinternationale....