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  Politique du mépris

mardi 21 janvier 2020, par Gérard Verfaillie

Observations glanées au cours du mouvement d’opposition à la réforme des retraites :

1. Mi-décembre, le gouvernement pleure sur les pauvres français qui ne pourront pas rejoindre leur famille pour Noël ; puis, s’apercevant qu’il n’obtient pas la trêve escomptée, il décide de partir en vacances jusque début janvier ; cependant, il n’oublie pas de signer un rapide compromis avec les représentants des pilotes de ligne et du personnel naviguant, leur garantissant un régime spécial qui maintient leur statut actuel, car pour partir à Marrakech, nul besoin de train, mais il faut des avions.

2. Mi-janvier, alors que le mouvement faiblit, Bruno Le Maire annonce que la rémunération du Livret A passe de 0,75 à 0,5%, ce qui selon lui ne représente qu’une perte de 10 ou 20 euros par an ; il ajoute que les français seraient bien avisés de se tourner vers d’autres formes d’épargne comme les Plans d’Epargne Retraite.

3. Mi-janvier, une vidéo dans une entreprise paloise ; on voit Macron face à des ouvriers qu’on ne voit pas ; derrière lui, on voit une préfète et des militaires en grand uniforme (que font-ils là ?) ; on entend Macron dire : « Il faut expliquer et, quand on explique, on comprend » ; on notera que les militaires et la préfète qui sont derrière lui ont eux bien compris que leur régime spécial est maintenu et que ce dont parle le président ne concerne que le bas peuple.

4. Cela fait plusieurs mois que des mouvements de protestation touchent l’hôpital public, allant jusqu’à la démission d’un grand nombre de responsables de service de leurs responsabilités administratives, que la radio publique est en grève contre un plan de réduction d’effectif ; les ministres concernés regardent ailleurs.

5. Toujours mi-janvier sur une radio de service public, on interroge un universitaire spécialiste des relations sociales qui délivre une analyse relativement objective du mouvement en cours ; puis, à la fin ; il dit : « Il y a quelque chose que je ne comprends pas ; habituellement, dans ces périodes de tension, un gouvernement normal essaye de maintenir le contact entre les parties et de recoller les morceaux ; mais là, on a l’impression qu’ils mettent chaque jour de l’huile sur le feu »

Ce ne sont que quelques observations éparses. Chacun d’entre vous peut en avoir une dizaine de similaires en mémoire. Elles sont pour moi symptomatiques d’une caste sociale (hauts cadres du secteur privé et de la fonction publique) qui a pris les commandes du pays, mais qui a fait depuis longtemps socialement sécession avec le reste de la population, qui ne sait pas ce qu’est le train, le métro, l’hôpital, la radio publique, un livret A, une fin de mois … Cette caste est sûre d’elle. Elle est radicale et extrémiste. Elle sait ce qui est bien, ignore et méprise ceux qui n’y comprennent rien et, au nom du bien, étouffe et écrase ceux qui ont l’outrecuidance de résister.

Elle n’est évidemment pas isolée et s’appuie dans le pays sur ses soutiens habituels (chefs d’entreprise, propriétaires, actionnaires …), mais aussi sur une large classe formée des gagnants du système éducatif et professionnel. Alors qu’il y a encore 50 ans, seul 10% d’une classe d’âge faisait des études supérieures, cela touche maintenant plus de 30 % d’une classe d’âge qui s’engage ensuite dans des professions intellectuelles d’ingénierie, d’enseignement, de recherche, de gestion ou d’encadrement. Les 10% d’il y a 50 ans ne pouvaient ignorer le reste de la société, les 30% d’aujourd’hui le peuvent. Ils peuvent vivre un entre soi et ignorer jusqu’à l’existence des classes populaires (sauf pour faire leur ménage).

A cette évolution, s’ajoute le fait que les classes possédantes d’il y a 50 ou 100 ans s’appuyaient essentiellement sur leur richesse, puis sur l’église et l’armée pour contrôler les masses populaires. Mais, bon gré, mal gré, elles s’étaient petit à petit habituées à laisser à la gauche le quasi-monopole de la culture. D’un autre côté, le monde du travail vivait dur, mais il était puissant, il pouvait être fier de ses luttes et de ses victoires et il avait le soutien de la plus grande partie de ce monde intellectuel progressiste. Tout a changé dans les années 1980-90 avec l’atomisation du monde travail et ses luttes de plus en plus en plus défensives et avec son abandon par un monde intellectuel qui a entamé un lent repli sur lui-même et une lente dérive vers la droite.

Cette situation est un boulevard pour le mépris des classes populaires qu’on observe maintenant tous les jours : ils ne comprennent rien, ils sont racistes et homophobes, ils votent Front National, ils polluent, ils fument et consomment du diesel … En fait, les privilégiés se permettent de les mépriser sans vergogne, comme les nobles de l’ancien régime le faisaient vis-à-vis des paysans, parce que ces privilégiés se croient supérieurs, qu’ils croient les non privilégiés inférieurs et surtout parce qu’ils les savent faibles, incapables de réactions suffisamment fortes. Tant que cette situation d’atomisation et de faiblesse du monde du travail perdurera, on aura en même temps tapis rouge pour les puissants et mépris pour le peuple.