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  Libéralisme : la fin d’une illusion

jeudi 12 octobre 2017, par François Saint Pierre

L’idéologie politique libérale, qui remonte à la Magna Carta du moyen-âge, à la scolastique de l’École de Salamanque ou plus classiquement à la "Lettre sur la Tolérance" de John Locke, n’est-elle pas en train de rejoindre l’idéal communiste au fond des placards de l’histoire ? Bien loin de la fin de l’histoire affirmée par Francis Fukuyama, qui voyait dans l’effondrement de l’URSS le symptôme de la victoire finale du libéralisme sur le communisme. Critiquer l’excès de pouvoir des États, notamment sous l’ancien régime, pour défendre une plus grande autonomie du sujet était et est toujours une idée progressiste. Comme pour le communisme, le problème est la distance entre l’idée et la réalisation politique. L’illusion, c’est de croire qu’une seule idée, aussi intelligente soit-elle, suffit à faire un monde juste.

Le libéralisme économique, comme croyance en l’auto-organisation du système production/consommation, grâce à la loi de l’offre et de la demande, se porte par contre très bien. Malgré tous les problèmes environnementaux, les guerres et les migrations, la croissance du PIB mondial est toujours de plus de 3%. Consommer toujours plus et produire en conséquence est donc devenu le noyau idéologique de tous ceux qui se disent libéraux, l’invocation à la théorie de la justice de John Rawls, ou à son avatar qu’est la fumeuse théorie du ruissellement, suffit à leurs yeux pour justifier toutes les inégalités. La défense de l’autonomie du sujet par rapport à tous les pouvoirs, fondement du libéralisme philosophique n’est plus évoquée que quand le sujet est actionnaire ou propriétaire. L’idéologie libérale moderne, oubliant ses racines, n’est plus que la promotion de l’individualisme. Concurrence et compétition, moteurs du marché, ont gagné toutes les sphères de la société. Les biens publics et les biens communs étant régis par d’autres valeurs, notamment la solidarité, la dérive libérale consiste donc à étendre sans fin le domaine des biens privés pour appliquer partout la loi de l’offre et de la demande, comme si tout avait vocation à devenir marchandise. La philosophie libérale n’est pas incompatible avec la souveraineté populaire et la limitation du droit de propriété, qui sont les principes fondamentaux de la démocratie. Par contre le libéralisme économique, qui est souvent la seule boussole des politiques, est toujours en tension avec l’idéal démocratique d’une participation toujours plus forte du peuple à la construction de sa propre histoire.

La fortune permet d’acheter les porte-voix qui biaisent l’algorithme majoritaire. Ce n’est pas par hasard qu’en France 90% des grands médias sont aux mains d’une dizaine de milliardaires, alors que ce n’est pas, économiquement, un secteur très rentable. Le contrôle idéologique d’Internet et des réseaux sociaux, par les puissances économiques ou les États, est certainement un des grands enjeux politiques d’aujourd’hui et de demain. L’autonomie qu’autorise encore Internet ne plaît pas au Big Brother protecteur que se veut être chaque État, ni aux puissances financières qui cherchent à influencer ce qui se s’écrit ou se montre. L’horizontalité que permet encore la mise en réseaux des ordinateurs ou des smartphones n’est pas très compatible avec le désir de verticalité des puissants.

Le "capitalisme" préfère la démocratie représentative à condition qu’elle lui soit favorable, sinon il s’accommode très bien de la dictature héréditaire comme en Arabie Saoudite ou d’un régime autoritaire comme en Chine ou en Russie. La dérive autoritaire légèrement xénophobe qui gagne les anciens pays de l’ex-URSS ne le gêne pas non plus, tant que le système productif tourne à plein régime. Face aux difficultés économiques, environnementales, sociales et identitaires que traversent les démocraties représentatives, l’autoritarisme justifié par la sécurité et l’efficacité économique est à la mode. C’est pour le moins le modèle prôné par la majorité des "élites économiques". Le libéralisme politique est devenu une coquille vide, l’excès de libéralisme économique et la peur de l’avenir de l’avenir l’ont tué.

Notre constitution a mis en place un système représentatif très présidentialiste qui, après quelques réformes, a fini par laisser comme seule souveraineté au peuple celle de choisir pour 5 ans un homme qui aura carte blanche sur quasiment tous les sujets. "Ils ont voté et puis après", chantait Léo Ferré, après… il ne reste que la grève générale, la manifestation dans la rue, ou en dernier recours la désobéissance civile pour essayer de faire bouger un peu les lignes. L’opinion publique, ou tout au moins ce qu’en mesurent les sondages, semble accepter cette évolution vers une société de plus en plus rigide et hiérarchique. Le Président de la République donne trop souvent l’impression de prendre les habits du patron d’entreprise, serviteur d’intérêts économiques et financiers dont on a du mal à voir le lien avec l’intérêt général. Plus surprenant, avec l’assentiment de la majorité des médias, il se comporte parfois comme si c’était un héritier du pouvoir royal d’antan, voire comme un petit Bonaparte dont la mission serait de rendre la France conforme aux standards anglo-saxons.

Emmanuel Macron, avec son certificat d’intellectuel proche de Paul Ricœur, a réussi à faire croire que c’était un vrai libéral, avec même une petite tendance sociale, héritée de son passage au gouvernement de Manuel Valls. Force est de constater après quelques mois, qu’il est bien dans l’air du temps de ce libéralisme autoritaire. Que cela soit avec l’Armée, l’éducation, le monde du travail, les territoires ou la santé, le discours est toujours le même : vous avez voté, laissez-nous gouverner. Dans une lecture très bonapartiste de la Constitution, on informe, mais on discute peu : on met à la porte ou on passe en force. Plus surprenant la majorité des députés de LREM semblent se comporter comme au temps des godillots du début de la cinquième république. La politique internationale en est l’expression la plus caricaturale, les choix de la Nation ne pèsent quasiment rien sur le déroulement des campagnes électorales et les décisions prises, parfois avec arrogance et maladresse, ne sont soumises à aucun contrôle démocratique. Le soutien implicite ou explicite à Erdogan ou à Rajoy est pour le moins le symptôme d’une politique conservatrice très tolérante vis-à-vis de l’autoritarisme musclé.

Quelques libéraux de la vieille école s’inquiètent un peu de cette dérive autoritaire, mais ils sont dans l’incapacité de peser un tant soit peu sur les orientations choisies par le Président. La gauche social-libérale ne peut que pleurer sur ses erreurs passées et nombreux se demandent si le soutien électoral à Macron était une bonne stratégie. Le mouvement social, les alternatifs plus ou moins écolos et les précaires des faubourgs ou banlieues n’ont pas la même culture politique. La gauche, si elle veut retrouver suffisamment de crédibilité pour peser dans le débat politique, doit donc construire un socle idéologique commun, qui permette de fédérer ses différents courants. Une inquiétude pour finir : la version actuelle du libéralisme autoritaire reste encore relativement modéré, mais la droite extrême et l’extrême droite poussent très fort pour aller encore plus avant dans un autoritarisme teinté de conservatisme, de nationalisme ou de xénophobie.