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  La démocratie libérale sera-t-elle la religion de l’hypermodernité mondialisée ?

mercredi 21 septembre 2016, par François Saint Pierre

Le mot démocratie désigne dans le langage courant un système politique initié il y a 2500 ans par les grecs, dont le but est de donner le pouvoir au peuple. Régime qui s’est imposé depuis la fin du XVIIIème siècle sous la forme de la démocratie libérale basée sur un système représentatif. A priori aucun rapport avec la religion et aucune trace de Dieu, de spiritualité, ni de vie après la mort. Pourtant au nom d’une croyance religieuse une partie du monde musulman semble déclarer la guerre à la démocratie, comme si la démocratie était une religion concurrente. De même le vocabulaire utilisé par ceux qui parlent au nom de notre république démocratique est de plus en plus inspiré du langage utilisé pour parler des religions, même si être démocrate est plus de l’ordre de la conviction que de la croyance. En fait le concept de religion dépasse largement les religions abrahamiques et par exemple les religions chamaniques ou le bouddhisme, pas plus que la démocratie, ne s’appuient sur l’existence d’un Dieu transcendantal. Changer le regard sur notre système politique en étudiant en quoi il se réapproprie des fonctions classiquement attribuées à la sphère religieuse peut aider à comprendre les difficultés actuelles ?

Le phénomène religieux peut être vu comme un discours symbolique sur la place de l’homme dans la société et dans la nature. Les chasseurs-cueilleurs avaient des formes dites archaïques de religiosité comme l’animisme, le totémisme ou le chamanisme qui ont évolué pendant la révolution du néolithique en religion agropastorale plus adaptée au monde des agriculteurs-éleveurs. La formation des premières cités et ensuite celles des empires ont conduit au polythéisme ancien et enfin aux grandes religions du salut qui se sont imposées un peu partout dans le monde. Les grandes religions actuelles présentent trois aspects majeurs.

- des textes sacrés,

- un culte et des pratiques rituelles.

- une morale concrète qui dit comment on doit se comporter dans la vie quotidienne.

Ces trois aspects définissent de fait un modèle anthropologique qui met en place un système de valeurs et construisent une communauté des croyants. Dire que la religion est une affaire privée est un contre-sens historique, symptôme de l’envie qu’a la modernité de vouloir se débarrasser des religions du salut. Dans notre modernité mondialisée le comment "vivre ensemble" est décidé par des processus politiques et non par des arguments religieux. Les démocraties libérales ont déjà marginalisé l’essentiel de l’aspect collectif des religions même si le principe de la "liberté de conscience" laisse à l’aspect privé de quoi survivre comme pratiques rituelles et comme croyances hors sol. Sur le site de L’ONU la démocratie libérale est clairement définie. " La liberté, le respect des droits de l’homme et le principe de la tenue d’élections honnêtes et périodiques au suffrage universel sont des valeurs qui constituent des éléments essentiels de la démocratie. A son tour, la démocratie devient un environnement naturel pour la protection et la réalisation effective des droits de l’homme. Ces valeurs sont incarnées par la Déclaration universelle des droits de l’homme et développées plus avant dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui consacre toute une série de droits politiques et de libertés civiles qui sont les piliers d’une véritable démocratie." http://www.un.org/fr/events/democra... Si la République s’affirme laïque, la démocratie ne se pose pas la question de la laïcité. Avec ses textes sacrés, comme la "Déclaration universelle des droits de l’homme", ses rites divers et variés qui accompagnent l’installation et le fonctionnement des pouvoirs élus et enfin toute cette morale démocratique qui guide le comportement des individus et qui sert de justification à l’organisation sociale, la démocratie remplit l’essentiel des fonctions religieuses. Pas étonnant que l’adversaire pointé par l’intégrisme musulman soit plus la démocratie qu’un pays en particulier.

Les valeurs essentielles de la démocratie mises en avant par l’ONU sont très robustes et au premier abord largement compatibles avec la plupart des religions existantes. On ne peut réduire les religions à leurs textes sacrés, la démocratie s’est développée depuis deux siècles dans un contexte de révolution industrielle et d’idéologie libérale. Le mythe du progrès et les valeurs de la concurrence, notamment mises en scène dans le sport, ont été totalement récupérés par les démocraties libérales. L’interprétation de la liberté individuelle a aussi largement évolué, allant jusqu’à remettre en cause le modèle patriarcal et sa différentiation sociale des sexes, qui jusqu’à présent était acceptés et souvent soutenus par les grandes religions. La plupart des religions ont réussi à se rendre compatibles avec les diverses constitutions démocratiques sur le principe fondamental de la laïcité : "rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu". A la fin du XXème siècle, la sécularisation du monde ou son désenchantement semblait bien amorcé, Dieu n’était pas mort, mais il était en cours de muséification. Pourtant, depuis quelques années, sous la forme d’un renouveau identitaire ou pire d’un choc des civilisations, on assiste au recours de la question religieuse dans les enjeux de politique nationale ou internationale. On peut aussi émettre l’hypothèse que l’on assiste aux combats d’arrière-garde de religions inquiètes par la montée en puissance d’un nouveau discours sur la place de l’homme dans la société mondialisée.

Les principes de la démocratie se sont développés au XXVIIIème siècle, en partie par référence à l’antiquité grecque. Mais les racines de la démocratie remontent aux chasseurs-cueilleurs, qui vivaient sur un mode anarcho-égalitaire. L’introduction de principes hiérarchiques ont commencé avec l’organisation sociale des agriculteurs-éleveurs qui se sont confrontés à la nécessité d’organiser la propriété et la vie de collectivités de plus en plus importantes. La difficulté du modèle démocratique est de l’appliquer à des ensembles plus grands que le clan ou la tribu. Difficulté qui n’est pas encore totalement résolue, le point obscur de la démocratie reste la définition du peuple souverain. La plupart des juristes pense que c’est la capacité à adopter une constitution qui institue le peuple. Cela conduit à considérer que la démocratie ne peut se déployer que dans le cadre des États-nations. Les relations inter-étatiques et quelques grandes messes onusiennes étant en charge de la coordination globale et du respect des grands principes démocratiques.

Deux points faibles dans cette vision d’une démocratie mondiale.

- Admettre que la constitution institue le peuple n’est pas toujours évident, surtout quand l’histoire n’a pas réussi a forgé une identité commune forte. L’épisode du traité constitutionnel pour l’Europe en est un triste exemple. L’acceptation par une majorité d’un principe politique commun ne permet pas toujours de transcender les différences culturelles, linguistiques, religieuses ou anthropologiques.

- La gouvernance mondiale est structurellement bien trop faible pour répondre efficacement aux grands problèmes sociaux, géopolitiques, économiques et environnementaux qui sont de plus en plus à l’échelle de la planète. L’institution démocratique mondiale sous sa forme actuelle est donc un colosse aux pieds d’argile, incapable de faire respecter les droits de l’homme ou de lutter efficacement contre le changement climatique. Faiblesse qui peut se lire dans l’ambiguïté des valeurs mises en avant. La liberté oui, mais surtout celle des commerçants, des entreprises, des lobbies et des pouvoirs en place. Des droits humains, mais vus comme un objectif largement découplé des conditions réelles. Si l’idée de la représentativité peut avoir une place dans les processus démocratiques, bien d’autres mécanismes, comme le tirage au sort ou la capacité des citoyens de peser dans la vie publique, ne sont pas assez mis en avant. L’égalité, pourtant essentielle, n’est proposée que comme une égalité des droits et non comme un objectif politique. La solidarité est présentée comme optionnelle et ne semble pouvoir être prise en compte que localement. Cela n’a pas empêché la démocratie libérale de se présenter comme "la fin de l’histoire". L’humanité aurait enfin trouvé la vérité et n’aurait qu’à faire des opérations de police çà et là pour faire respecter les droits humains ou pour mettre au pas les nostalgiques des anciens modèles anthropologiques et les croyants des religions obsolètes.

La domination actuelle du modèle des démocraties libérales n’est certainement pas durable. Peut-être que le repli identitaire l’emportera, peut-être que la démocratie libérale évoluera vers une démocratie sociale qui sera plus égalitaire et plus solidaire. Le médiocre statut quo actuel semble difficile à tenir, à nous de faire en sorte que demain le modèle idéologique dominant sur notre planète soit plus conforme aux valeurs invoquées dans tous les textes sacrés laïques ou non, de liberté, d’égalité, de justice, de fraternité, de solidarité, etc.