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  Toulouse Métropole : l’au-delà de la rocade

vendredi 7 février 2014, par François Saint Pierre

Le premier janvier 2015 Toulouse Métropole prendra le statut juridique de métropole. La ville centre, non sans quelques souffrances et quelques polémiques, a amorcé sa mutation. Quelques investissements importants comme le métro, les tramways et la piétonisation ont permis, sans perdre en qualité de vie, de commencer l’adaptation de la ville aux contraintes environnementales. Cette réussite mérite d’être saluée, mais la suite : "Construire le projet urbain de la métropole", projet volontaire affiché sur la porte de la "Fabrique" en face de la médiathèque, reste à faire.

Toulouse, fière de son dynamisme économique, est, avec presque 20 000 habitants de plus par an dans l’aire urbaine, championne de France en pourcentage de la croissance démographique. Cet afflux de population ne profite guère aux autres villes de la région et il a surtout tendance à se diluer dans le périurbain. Les nombreuses communes de la périphérie toulousaine se développent depuis quelques années en créant des zones pavillonnaires. Tant que le centre-ville offrait des places de parking et des artères pas trop encombrées ce modèle donnait satisfaction aux habitants de la périphérie, car ils avaient les avantages de l’espace semi rural et ils pouvaient profiter des services et de la dynamique économique de la ville.

Cette époque se termine. Pour préserver la qualité de l’air la ville a été contrainte de changer de cap. Les Plans de Déplacements Urbains successifs ont fini par acter la nécessité d’abandonner la politique favorable à la voiture des années 60/70. La rocade, qui a été largement pensée pour favoriser les déplacements en voiture dans l’agglomération, devient de manière paradoxale le symbole de la barrière qui sépare la ville de sa périphérie. Toulouse, sans trop s’en rendre compte, est en train d’adopter le modèle parisien : une ville intra-muros avec une offre de transport de qualité, et une périphérie en difficulté. Si certains quartiers extérieurs au périphérique et quelques communes proches ont hérité dans l’histoire récente d’atouts importants, comme Balma ou Ramonville, l’ensemble est plutôt du côté de la qualité de vie sur une pente négative.

La légitime volonté de faire du logement social pas trop éloigné du centre a indirectement renchéri dans les ZAC les coûts d’accession à la propriété pour les classes moyennes. Celles-ci sont allées chercher de plus en plus loin des terrains à des prix accessibles. Pour une famille qui n’a pas droit au logement social une villa à 20 kilomètres du centre est financièrement plus envisageable qu’un appartement en ville ou dans la proche périphérie. L’absence de politique foncière et de projet urbain pour l’ensemble de l’agglomération n’a pas permis de contrecarrer les logiques économiques qui favorisent un étalement urbain excessif et le mitage du territoire. S’il fut un temps où les bourgeois aimaient habiter dans la banlieue, notamment sur les coteaux, les difficultés pour se déplacer ont modifié la sociologie de la périphérie. Le périurbain est l’habitat des classes moyennes qui payent en temps et en budget transports leur trop faible capacité d’investissement immobilier.

Conformément à la loi, quatre Schémas de Cohérence Territoriale ont été validés en 2012 pour l’aire urbaine, organisés en secteurs géographiques autour d’un SCOT central correspondant à Toulouse et à 117 communes voisines. La volonté de mettre fin à une auto-organisation défaillante est clairement affirmée dans ces documents. Un "polycentrisme hiérarchisé", qui se traduit par un urbanisme en archipel relativement dense, est plusieurs fois invoqué. Vocabulaire inspiré par les prospectivistes de la DATAR, mais qui rejoint sur le fond les analyses de ceux qui se préoccupent de l’environnement et de la qualité de vie. Malgré les zones de respiration entre les communes, ce modèle permet de proposer des transports en commun efficaces, pas trop onéreux pour la collectivité, et de favoriser les modes doux. Ce modèle urbain permet aussi la conservation de terres agricoles, ce qui autorise d’envisager le retour aux anciens circuits courts que notre modernité a tués, de garder des espaces naturels à proximité, de mieux gérer les risques d’inondations et, comme il a été démontré par le projet ACCLIMAT, de contrer efficacement le phénomène des ilots de chaleur.

Une politique foncière efficace et des formes urbaines adaptées sont nécessaires pour accompagner cette transition. Cela est traduit dans le Document d’Orientation Générale en termes de recommandations et de possibilités et non de prescriptions, laissant ainsi pour la suite de grandes marges de manœuvres aux politiques, tant dans la rédaction des PLU que dans leur mise en pratique. Si la volonté "d’inverser le regard" est clairement exprimée, le SCOT, sous la pression de la demande en logements et sans trop se préoccuper de la cohérence globale du territoire, se contente d’indiquer les zones où l’urbanisation est possible. Très peu de zones naturelles ou agricoles sont réellement protégées sur le long terme par des mécanismes comme les PAEN ou les ZAP, ce qui laisse toutes possibilités d’interventions aux spéculateurs qui auront la patience d’attendre une prochaine révision des documents d’urbanisme. L’exemple le plus caricatural est celui de la vallée de l’Hers qui n’est pas vue comme une grande continuité écologique et une ressource en zones naturelles et maraichères, mais comme une zone à urbaniser massivement.

Plus inquiétant, les cartes proposées dans le DOG ne correspondent pas aux intentions affichées. Sur les schémas proposés la ville semble, comme par le passé, devoir s’étaler en perdant peu à peu de sa densité, avec, comme seule limite, une hypothétique couronne verte, rejetée dans la périphérie lointaine. Le cœur d’agglomération déborde largement à l’extérieur de la rocade, comme pour faire croire que cette dernière n’est qu’un grand boulevard urbain. Si la trame verte et bleue est bien invoquée, elle n’est pas vraiment utilisée pour définir la structure de l’urbanisme en archipel. Organiser dans le proche périurbain un territoire de projets pour mettre en valeur des zones naturelles en cohérence avec les corridors écologiques, la trame verte et bleue et les zones maraîchères, est faisable, mais cela impose une révision conséquente du SCOT. L’équilibre des territoires, la densité et les formes urbaines les mieux adaptées au périurbain toulousain restent à définir. Lancer rapidement une grande concertation citoyenne sur ce point est indispensable.

Pendant une cinquantaine d’années l’agglomération s’est étalée démesurément, plus portée par des logiques devenues aujourd’hui obsolètes que par un projet politique. Dans l’immédiat, il est important de construire une vision stratégique globale pour la métropole qui s’articulerait avec le développement de la région. Le SCOT et Le Plan de Déplacement Urbain doivent ensuite s’harmoniser pour faire une périphérie qui ne soit pas un lieu d’exclusion. Il est aussi nécessaire de prévoir des moyens financiers conséquents pour que ce projet urbain de la métropole ne soit pas qu’un catalogue de promesses impossibles à tenir.

La campagne électorale pour les municipales de 2014 se fait encore pour l’essentiel sur des enjeux communaux et non sur les questions métropolitaines. Les élus de la périphérie seront certes représentés au sein des instances décisionnelles de la métropole, mais peut-on être satisfait de cette démocratie représentative indirecte ? Il est important de mettre en place de nouveaux mécanismes participatifs pour que les citoyens aient l’impression de co-construire leur métropole. L’information sur les projets urbains existe déjà et des phases de concertation sont souvent mises en place, mais trop souvent la concertation se réduit à la mise en scène d’élus, "maîtres de la parole", qui essayent d’expliquer pourquoi leur idée, mise en forme par des professionnels, est excellente, en n’offrant aux citoyens que la possibilité de proposer des améliorations marginales. Une vraie démocratie part de la capacité des citoyens à exprimer leurs problèmes et leurs désirs et à partir de là, à élaborer en commun -professionnels, politiques, associations et citoyens- des choix stratégiques. La nouvelle loi d’affirmation des métropoles peut se traduire par un éloignement des habitants du périurbain des élus qui vont peser sur leur cadre de vie, mais elle peut aussi être une opportunité pour faire évoluer profondément la gouvernance locale vers plus de démocratie. Quoi qu’il en soit, l’année qui vient sera décisive pour tous ceux qui vivent au-delà de la rocade.

François Saint Pierre