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Compte rendu de participation à la controverse

  Bioénergies : entre défi et défiance

mardi 12 novembre 2013, par Patrick Sadones

Compte-rendu écrit par un des participants à la controverse sur les bioénergies, qui s’est déroulée le jeudi 10 octobre 2013 dans le cadre du festival La Novela. Ce compte-rendu n’engage que son auteur, mais mérite d’être lu.

Vous pouvez aussi la regarder sur You Tube :

http://www.youtube.com/watch?v=ta6r...

et

http://www.youtube.com/watch?v=3gdI...

François Saint Pierre animateur de la controverse.

Ce débat a eu lieu à Toulouse dans le cadre du festival scientifique « La Novela » organisé par l’agglo Toulouse métropole depuis quelques années à l’automne. C’était la première fois que ce concept de controverse était expérimenté, dans l’objectif de créer les conditions d’un débat public éclairé, allant au-delà des propos convenus et de la seule expression d’intérêts particuliers. La rencontre a été filmée en totalité. Trois tables rondes ont été tenues :

-  Filière solide (Bois énergie)

-  Filière gazeuse ( Méthanisation)

-  Filière liquide ( Agrocarburant)

Les tables rondes ont été précédées de la projection d’un documentaire de quarante minutes réalisé par Matthias Fyferling, docteur en microbiologie, conseillé par Gérard Goma, professeur émérite de l’INSA de Toulouse, tout deux présents lors de la controverse. Ce documentaire, « Energies renouvelables : le retour de la biomasse », de bonne facture avec des animations de grande qualité, présentait de façon très pédagogique , et globalement assez satisfaisante, à quelques détails près, les enjeux, excepté pour les agrocarburants, les filières de deuxième et troisième générations étant présentées comme opérationnelles ( le film laissant entendre que les émeutes de la faim de 2008 ont sonné le glas des agrocarburants de 1ère génération, au profit des suivantes), et la filière HVP comme vertueuse à tout point de vue.

Le public était composé d’une quarantaine de personnes ayant pu se libérer un jeudi après midi. Les intervenants aux tables rondes étaient des personnes ayant des compétences sur les thèmes traités, ainsi que des représentants d’associations dont l’objet est la défense de l’Intérêt Général. Les interventions de ces derniers permettaient d’apprécier la perception des enjeux dont il était question par des personnes non expertes, mais disposant d’un niveau d’information significativement plus élevé que le grand public. La première table ronde, consacrée à la filière bois a été consensuelle. Il a été dit que la ressource supplémentaire disponible, dans une Région boisée à 30%, était significative mais néanmoins limitée. Il n’était pas envisageable que les logements de la Région Midi Pyrénées soient un jour chauffés en totalité au bois. Le morcellement de la propriété forestière est un obstacle à la mobilisation de la ressource, de même que la faible valorisation qu’il est possible d’en obtenir en énergétique, peu motivante pour les propriétaires forestiers. La nécessité de préserver le capital humus des sols forestiers a été évoquée, de même que la dégradation de la qualité de l’air qui peut résulter de l’utilisation de bois pas assez secs ou de matériels de chauffage peu performants.

La dernière table ronde, consacrée aux agrocarburants, a également été assez consensuelle. Gérard Goma s’est trouvé isolé pour défendre ces filières, SOFIPROTEOL et l’ADEME, contactés par les organisateurs, n’ayant pas souhaité participer à la controverse. Tant les interventions venant de la salle que celles des représentants des associations et les trois interventions de synthèse en fin de réunion par les trois médiateurs ont montré qu’il existait manifestement une attente vis-à-vis des générations d’agro-bio-carburants dites avancées, celles-ci étant perçues comme pouvant potentiellement présenter un début de solution. Face à ses trois « opposants » dans la controverse, Gérard Goma n’est donc pas parvenu à être suffisamment convainquant quant aux perspectives offertes par ces technologies.

La deuxième table ronde, consacrée à la filière gazeuse, notamment la méthanisation, a finalement été la plus débattue. L’intervention du représentant des Amis de la Terre a montré que le « modèle » allemand était manifestement perçu comme particulièrement enviable…

Une quatrième table ronde était prévue, avec pour objectif de faire l’analyse de la controverse. Cet objectif n’a été atteint que très partiellement, les intervenants ayant eu la tentation d’utiliser le temps de parole restant pour dire ce qu’ils n’avaient pas eu le temps de dire avant.

Pour ma part, j’étais évidemment à la table ronde sur la filière liquide, avec néanmoins la possibilité d’intervenir dans les autres controverses, comme tous les autres intervenants. Compte tenu du temps de parole de chacun nécessairement réduit dans un tel exercice, personne ne pouvant prétendre détenir le monopole des bonnes idées, il m’avait fallu faire des choix sur les idées à exprimer. J’ai donc pris le parti de m’en tenir au message qu’il me semble essentiel de faire passer en pareille circonstance, à savoir le primât de la problématique climatique sur la problématique énergétique, illustré comme proposé par JM Jancovici : l’utilisation de la totalité des réserves en carbone fossile pour nos besoins énergétiques conduirait à une teneur de CO² dans l’atmosphère de 2000 ppm au moins, ce qui correspondrait à une température à la surface de la Terre de 70°C en moyenne… Autant dire que l’Humanité aura succombé au Changement Climatique bien avant d’avoir épuisé ses ressources en carbone fossile.

En conséquence, la substitution d’une énergie finale d’origine fossile par une énergie d’origine renouvelable n’est envisageable au regard de l’Intérêt Général que si cette substitution s’accompagne d’une diminution significative des émissions de gaz à effet de serre. Si cette condition est vraisemblablement remplie pour la filière bois énergie, pour laquelle la production de chaleur est effectuée avec une efficacité énergétique très forte ( 15MJ/ MJ fossile mis en œuvre) ( mais il ne s’agit que de production de chaleur, forme la plus dégradée de l’énergie, et qui peut être produite de façon renouvelable autrement), elle ne l’est pas nécessairement pour la filière gazeuse, et certainement pas pour la filière liquide.

Les agrocarburants sont en effet produit avec une efficacité énergétique faible, ce qui fait que le gain (éventuel) sur les émissions de CO² est en grande partie compensé par les émissions de N²O de l’étape culture, émissions qui n’existent pas dans la filière pétrolière. Et par ailleurs, à production alimentaire constante, la production d’agrocarburants, industriels ou non, nécessite la mise en culture de surfaces nouvelles, pour compenser la production alimentaire manquante, ceci générant du Changement d’Affectation des Sols ( CAS). Et les calculs effectués par Bio IS pour l’étude ADEME 2009 montrent qu’à production alimentaire constante, tant pour l’ester méthylique d’huile de colza ( l’huile alimentaire manquante étant remplacée par de l’huile de palme produite derrière défriche de forêt) que pour l’éthanol de betterave ( le sucre manquant étant remplacé par du sucre de canne produit sur de nouvelles plantations qui repoussent vers l’équateur la culture du soja, au détriment de la forêt), la prise en compte du CAS propulse l’indicateur effet de serre des agrocarburants au double de celui des carburants ex fossile remplacés… Le bilan effet de serre de l’HVP, intégrant le CAS, n’est guère meilleur, même si l’efficacité énergétique avec laquelle l’HVP est produite ( 4 MJ /MJ fossile mis en œuvre) est bien meilleure que celle de l’ester ( 2,2).

Quant à la méthanisation, l’efficacité énergétique avec laquelle le méthane est produit est assez faible, sauf si l’on fait appel à des cultures énergétiques, notamment le maïs, comme c’est le cas en Allemagne ( le chiffre de 1 million d’hectares de cultures dédiées à la méthanisation en Allemagne a été cité lors de la rencontre…). Dans ce cas, comme pour les agrocarburants ou les autres nouveaux usages non alimentaires des matières premières agricoles, il est fort probable que l’impact du CAS réduise à néant les gains obtenus sur les émissions de CO². Fort heureusement, il n’est pas prévu aujourd’hui qu’en France il soit fait appel à des cultures énergétiques pour nourrir les digesteurs, du moins pour l’instant. La grille de fixation du prix de rachat de l’énergie finale produite favorise en effet les substrats de méthanisation composés principalement d’effluents d’élevage, mais qui sont assez peu méthanogènes car déjà partiellement dégradés et surtout pauvres en matière sèche, de sorte que le poste transport, tant des composants du substrat de fermentation que de l’effluent de méthanisation, pèse lourdement dans le bilan énergétique de l’opération. Un calcul assez optimiste montre que la substitution d’un kilo de gaz naturel par un kilo de méthane produit par méthanisation permet d’économiser tout au plus 2 kilos d’émissions de CO². Or, la méthanisation présente l’inconvénient de minéraliser l’essentiel de l’azote présent sous forme organique dans le substrat de digestion en ammoniac ( NH3), très soluble et surtout très volatil. Il s’ensuit que la méthanisation accroît de façon significative les risques de volatilisation d’ammoniac dans l’air, ou de lessivage des nitrates vers les nappes, avec pour conséquence une augmentation des émissions de N2O dans les deux cas. Or, l’émission de 7 grammes de N2O seulement annule le gain de 2 kilos de CO², compte tenu du PRG du N2O 298 fois plus fort que celui du CO2. Et un calcul assez simple montre que pour un substrat de fermentation présentant un rapport C/N de 30 ( ce qui correspond à l’optimum pour un bon fonctionnement du digesteur), la production d’un kilo de CH4 s’accompagne de celle d’environ 35 grammes d’azote sous forme ammoniacale. Selon le GIEC, pour un kilo d’azote sous forme ammoniacale volatilisé, 157 grammes de N2O sont émis. Ainsi, si la totalité des 35 grammes d’azote produits se volatilise lors de l’épandage du digestat, ce qui est loin d’être une vue de l’esprit, ce sont 5,5 grammes de N2O qui sont émis, annulant près de 80% du gain obtenu sur le CO2… Par ailleurs, il suffit que 10% du biométhane produit soit perdu à l’atmosphère par des fuites sur l’installation pour que les 2 kg d’émissions de CO2 évitées par kg de méthane biomasse substitué à du gaz naturel soient annulés, compte tenu du PRG du méthane 21 fois plus élevé que celui du CO².

Certes, le stockage et l’épandage d’effluents d’élevage non traités par méthanisation sont également responsables d’émissions de N2O et de CH4, mais ce calcul montre que sur des projets de méthanisation, il faut être très vigilant tant sur l’étanchéité des circuits de gaz que sur la façon dont l’épandage du digestat est réalisé.

Au cours de la controverse, plusieurs points ont fait l’objet d’analyses divergentes :

La décroissance de la consommation d’énergie :

La première observation venue de la salle a porté sur ce point, soulignant que sans efforts substantiels pour réduire la consommation d’énergie finale, les énergies d’origine renouvelable seront condamnées à ne représenter qu’une part qui restera marginale dans ce qu’il est convenu d’appeler le « bouquet énergétique ».

Nous en avons une illustration tout à fait frappante avec le développement à marche forcée des agrocarburants, qui n’a même pas permis de faire baisser la consommation de carburants ex fossile… Faut-il le rappeler, le prix de vente des carburants routiers est composé aux deux tiers de taxes, fortement contributrices au budget de l’Etat…

Manifestement, les commanditaires du documentaire réalisé par M Fyferling n’avaient pas pour objectif de faire passer le message de la nécessité d’une réduction des consommations énergétiques préalable à leur substitution par des énergies d’origine renouvelable. Au contraire, il est expliqué que cet objectif est probablement vain : les gros consommateurs d’énergies sur la planète sont peu nombreux, donc leur demander de réduire leur consommation individuelle aurait globalement peu d’impact. Les petits consommateurs d’énergie sont par contre très nombreux, mais vu qu’ils consomment déjà très peu, ça paraît difficile de leur demander de consommer encore moins… La conclusion s’impose d’elle-même : il va falloir produire plus d’énergie d’origine renouvelable, et, incidemment, soutenir davantage les instituts de recherche dans ce secteur, dont l’INRA, le CNRS, l’INSA de Toulouse, les commanditaires du film… Une illustration de l’adage : « Quand quelqu’un te dit quelque chose, commence par te demander qui le paye. »

Le point de vue de l’économiste :

A plusieurs reprises, l’économiste, dont la fonction est de décrire les choses telles qu’elles se passent, régies par des mécanismes de marché, s’est opposé à des points de vue plus militants, envisageant les choses telles qu’elles devraient être, dans l’intérêt général. Ainsi, l’économiste a contesté le fait que la méthanisation puisse aujourd’hui être considérée comme une technologie « mature » alors que le coût de la tonne de CO² évitée par cette technologie est voisin de 100 € quand sur le marché du carbone, la tonne de CO² s’échange au prix de quelques euros…

De la même façon, pour un économiste, une modélisation du Changement d’Affectation des Sols à production alimentaire constante n’a pas de sens. En effet, la production d’agrocarburants, représentant une demande nouvelle pour certaines denrées alimentaires, entraîne une augmentation de leur prix. En réponse à cette augmentation de prix, les agriculteurs ont tendance à augmenter la production ( élasticité de l’offre par rapport au prix) soit en intensifiant la production ( augmentation des rendements) soit en augmentant les surfaces. D’un autre côté, la demande alimentaire a tendance à baisser ( élasticité de la demande par rapport au prix)… Bref, le Marché régule, avec, comme cela a été dit dans la salle « la famine comme variable d’ajustement »…

A noter que le représentant de SOLAGRO, qui se trouve être également le rédacteur du volet agricole du scénario Négawatt et du scénario Afterre, a aussi contesté la validité de modélisation du CAS à production alimentaire constante. Il a invoquer le fait que les régimes alimentaires sont appelés à évoluer, dans l’intérêt général, vers une alimentation plus végétarienne, ce qui permettrait de libérer des surfaces agricoles. Dans le scénario Négawatt, il est ainsi prévu que la consommation de produits laitiers et carnés soit divisée par deux, les surfaces agricoles ainsi libérées pouvant être utilisées pour produire de l’herbe destinée à la méthanisation.

Effectivement, les habitudes alimentaires, comme celles prises en matière de consommation énergétique, notamment pour satisfaire nos « besoins en mobilité individuelle », sont amenées à devoir évoluer. Mais, à ma connaissance, le développement des agrocarburants tel que nous le connaissons en Europe ne s’est pas accompagné d’une politique alimentaire visant à privilégier des régimes alimentaire plus économes en surfaces agricoles…

Les agrocarburants de première génération :

Au cours de la table ronde sur la filière liquide, trois arguments ont été avancés pour faire valoir l’intérêt de cette filière :

-  Pour assurer la sécurité alimentaire de l’Humanité, on demande aux agriculteurs de produire 5% , 10% voire 15% en plus de ce qui est nécessaire. Les agrocarburants sont un moyen de résorber les excédents les années de bonne récolte, ces excédents pesant sur les cours, pénalisant le revenu des agriculteurs.

-  Les émeutes de la faim ont été provoquée, pour certaines d’entre elles, par des tensions sur le prix du riz, alors que pas un grain de riz n’est utilisé pour la production d’agrocarburants.

-  Les filières de production d’agrocarburants produisent également des protéines végétales, utilisées en alimentation animale.

Ces arguments apparaissent particulièrement faibles.

L’idée que l’industrie des agrocarburants puisse être présentée comme un outil de régulation des productions agricoles est apparue assez récemment dans la dialectique. Mais d’abord, cet objectif peut être atteint par des politiques publiques de maîtrise des volumes, qui ne coûtent pratiquement rien, et la constitution de stocks de sécurité ( pour les produits agricoles facilement stockables comme les céréales) qui présentent par ailleurs l’avantage de décourager les spéculateurs. Tous ces outils ont été progressivement abandonnés ou sont en voie de l’être, en particulier en Europe, dominée par la pensée unique néolibérale. Par ailleurs, on n’imagine pas un instant qu’un outil aussi coûteux qu’une éthanolerie puisse être amortie en ne fonctionnant qu’une année sur deux ou trois, au gré des bonnes récoltes. Et enfin, comme cela a été dit lors de la table ronde, concernant la filière Ester Méthylique d’Acides Gras, ce ne sont pas 5, 10 ou 15% de notre récolte oléagineuse annuelle qui seraient nécessaires pour atteindre l’objectif d’incorporation de 7% PCI auquel le gouvernement actuel s’accroche, mais 105%...

Le fait que le riz n’est pas utilisé pour produire des agrocarburants ( ce qui demande d’ailleurs à être vérifié) n’implique pas pour autant que le développement de la production d’éthanol – carburant n’a aucune incidence sur son prix. Il existe en effet des mécanismes de substitution qui font que les ponctions sur les stocks mondiaux de maïs effectuées par l’industrie de l’éthanol aux USA, dans un contexte de stocks mondiaux de céréales en baisse, ont nécessairement des répercussions sur les cours des autres céréales, dont le riz, qui constitue la base de l’alimentation d’une grande partie de la population mondiale.

Enfin, il est toujours utile de rappeler que les cultures dédiées à la production d’agrocarburants ne permettent pas de produire davantage de protéines végétales que les mêmes cultures destinées au circuit alimentaire… Les surfaces sur lesquelles sont produites les matières premières pour les agrocarburants ne sont ni tombées du ciel, ni soudainement émergées des océans. Il s’agit de surfaces qui avaient déjà une utilisation agricole avant, du moins pour ce qui est de l’Europe. Et si l’objectif recherché, c’est de produire des protéines végétales, il y a certainement mieux à faire que des oléagineux ou des céréales.

Les « biocarburants avancés » :

S’agissant de filières qui en sont encore au stade expérimental, nous ne disposons que de peu d’éléments pour évaluer leur pertinence tant en terme d’efficacité énergétique que d’économie d’émissions de GES. Sur ce dernier point, il a toutefois été signalé qu’il fallait être très vigilant sur l’entretien des stocks de matières organiques des sols agricoles ou forestier, et que si l’avènement de ces filières conduisait à exporter la totalité de la matière organique produite par les couverts végétaux, cela compromettrait rapidement le potentiel de production des sols concernés.

S’agissant de procédés industriels nécessairement plus lourds que ceux utilisés pour produire les agrocarburants de 1ère génération, il faut s’attendre à un coût énergétique du procédé plus élevé, probablement pas compensé par un coût de production et de récolte de la matière première plus faible, mais grevé par un coût de transport vraisemblablement plus élevé, compte tenu d’une taille critique des usines plus importante, nécessitant un périmètre de collecte plus étendu… Sachant que l’efficacité énergétique avec laquelle les agrocarburants de 1ère génération sont produits est trop faible pour que ceux-ci présentent un réel intérêt économique, énergétique et climatique, on voit mal comment il pourrait en aller autrement des générations dites avancées…

Celles –ci ont récemment fait l’objet de travaux de thèses de recherche dans le cadre de la chaire « Nouvelles Stratégies Energétiques » fondées en 2007 à l’ENS des Mines de Paris par Dominique Dron, avec le soutien financier de 6 entreprises ( GDF – Suez, TOTAL, NATIXIS, SAFRAN, EDF et Keolys) qui s’étaient engagées à financer les travaux de la chaire pour 5 ans.

-  Concernant l’éthanol cellulosique, la thèse a été rapidement abandonnée, faute de labo présentant suffisamment de garanties de sérieux pour recevoir un thésard…

-  La filière thermochimique ( gazéïfication + Fischer-Tropsch) a été étudiée parmi d’autres utilisation de la biomasse ayant pour objectif une réduction des émissions de GES. Il ressort de ces travaux que si toute l’énergie nécessaire au procédé provient de la biomasse elle-même, la quantité de carburant obtenue est faible. Si par contre l’énergie de procédé provient d’un apport extérieur ( électricité), la totalité du carbone contenu dans la biomasse peut se retrouver dans le carburant. Mais l’apport énergétique qui est nécessaire correspond à peu près à l’énergie finale produite sous forme de carburant… A noter que le professeur Jean Lucas était parvenu à des résultats similaires avec son équipe du CEMAGREF dans les années… 1980. Lors de la rencontre, il a été dit que sur le pilote présenté dans le documentaire, la gazéïfication à elle seule consomme 20% du contenu énergétique de la biomasse (sèche) entrante, et que ( sauf erreur de compréhension de ma part) les recherches sur la synthèse F-T à partir des gaz issus de la pyrolyse allaient être arrêtées.

-  La filière microalgues est la seule à avoir fait l’objet d’une expérimentation réelle, ayant pour objectif d’optimiser les flux liquides et gazeux dans le photo-bio-réacteur. A l’issue de ses travaux, la thésarde a conclu que la production d’énergie ne pouvait à elle seule justifier le procédé, qui ne présente d’intérêt qu’intégrant en plus un objectif de valorisation de CO² capté par ailleurs et un objectif d’épuration d’un effluent liquide chargé en phosphore et en azote. Le procédé produit de l’huile, mais compte tenu du coût des opérations permettant de séparer le petit volume d’huile produit du grand volume d’eau dans lequel il est produit, la seule valorisation énergétique qu’il paraît raisonnable d’envisager est… la méthanisation.

Dominique Dron m’ayant fait l’amitié de m’inviter à chacun des trois colloques organisés par la Chaire NSE, j’ai pu apprécier la qualité des travaux qui y ont été effectués. Au colloque de clôture qui s’est tenu en avril 2012, seule l’entreprise TOTAL était encore présente. A ma connaissance, la chaire n’a pas été reconduite, les entreprises considérant probablement que les retombées sonnantes et trébuchantes à escompter des travaux de thèses qu’elles finançaient ne correspondaient pas à leurs attentes.

Le documentaire de Matthias Fyferling présente une autre filière. Il s’agit, à partir d’un substrat cellulosique, de produire des levures capables de synthétiser des lipides et de les stocker dans des inclusions cytoplasmiques pouvant occuper une part significative du volume intracellulaire ( jusqu’à 75% selon la chercheure en charge du programme). Au bout de 7 années de recherches intensives par une équipe de 10 personnes compétentes et motivées, le film montre que les chercheurs sont capables de sortir d’un frigo deux petits béchers contenant chacun environ un quart de litre d’un liquide brunâtre qu’on suppose être de l’huile extrait des levures… Un résultat qui, assurément, nous garantit un avenir radieux.

Le paysan que je suis se pose évidemment quelques questions :

- comme dans le cas des cultures de microalgues, comment va-t-on faire pour extraire de façon énergétiquement rentable un petit volume d’huile diffus dans un grand volume d’eau ?

- comment fait-on pour réduire la biomasse ligno-cellulosique en bouillie pour levures, et avec quel coût énergétique ?

Conclusion :

A la pause et à l’issue de cette rencontre, les échanges entre les personnes présentes ont permis d’approfondir certains points. Il est probable que la somme des expertises réunies lors de cette controverse permettrait d’apporter des réponses solidement argumentées et tendant à l’exhaustivité sur des problématiques d’intérêt général, aujourd’hui imparfaitement appréhendées et prises en compte, pour diverses raisons : multiplicité des facteurs en causes, existence d’interactions complexes, ou plus prosaïquement le poids de certains lobbies défendant des intérêts particuliers, au détriment de l’intérêt général. De ce fait, la décision politique est trop souvent insuffisamment éclairée, certains acteurs peinant à se faire entendre… Il en résulte trop souvent des choix contestables, dont les conséquences se font sentir pendant des années, voire des décennies, avant qu’il soit décidé de corriger le tir, tant il est vrai que le personnel politique, sans doute plus qu’aucun autre, répugne à reconnaître une erreur. La politique de soutien aux agrocarburants, mise en place en 2003, en est une illustration, parmi d’autres. Celle qui se dessine en faveur de la méthanisation, telle qu’elle est aujourd’hui prévue, en sera probablement une autre.

Patrick Sadones, paysan en Seine Maritime Administrateur du groupe CIVAM « Les Défis Ruraux »