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  Nature et technoscience, le nouvel axe idéologique.

mercredi 20 mai 2009, par François Saint Pierre

La crise économique a mis en lumière les limites du néolibéralisme, qui accompagnait depuis l’effondrement du communisme le développement de notre société de consommation. Le mythe anesthésiant de l’efficacité de la main invisible s’est en partie effondré. Les responsables élus qui se contentaient depuis quelques années de garantir la sécurité vont devoir se résoudre à refaire de la politique. La politique n’est pas la morale et le politicien est plus souvent un gestionnaire local qu’un visionnaire chargé de défendre un grand projet pour l’humanité. Pour autant les grands courants politiques se réfèrent à un ensemble de valeurs et de principes plus ou moins explicites, qui donnent une cohérence aux partis qui s’en réclament et un peu de visibilité aux citoyens. Cet ensemble peut être désigné par les termes d’utopie ou d’idéologie, l’un comme l’autre renvoyant à l’écart, qui existe toujours, entre le réel et le projet théorique. Après les dérives totalitaires de l’idéologie communiste, le modèle de la démocratie de marché semblait devoir s’imposer pour longtemps. Fukuyama au moment de la chute du mur de Berlin, estimant que l’évolution de la pensée humaine sur les principes fondamentaux, qui gouvernent l’organisation politique et sociale, était arrivée à son terme a qualifié cela de "fin de l’histoire". Cela ne signifiait pas pour lui l’absence d’évènements historiques provoqués par des tensions interculturelles ou des conflits d’appartenance, ni des combats politiques pour prendre le pouvoir sur des bases plus ou moins sociales, mais que l’humanité avait fini par trouver l’idéal de référence pour son mode d’organisation.

La modernité qui s’est développée à partir de l’avènement de la société industrielle comporte deux aspects fondamentaux. Le premier est explicitement politique et correspond à la mise en place d’états nations gouvernés de manière plus ou moins démocratique, le second est la croyance forte aux progrès et à la capacité de libération des individus grâce à la connaissance et à l’usage des techniques. Le grand débat politique du vingtième siècle entre la droite et la gauche a porté sur le premier point. La droite a défendu la liberté économique et, sur le plan de l’égalité, elle s’est contentée de garantir une égalité formelle, préférant une société conservatrice et hiérarchisée. A contrario, la gauche a toujours préféré favoriser la justice sociale et les libertés qui touchaient aux comportements individuels. Les questions institutionnelles dont l’importance démocratique est indéniable ont rarement servi de clivage fort entre la droite et la gauche, servant plutôt à démarquer les partis de gouvernement, peu enclins aux changements, des partis contestataires. Le second point a plutôt été consensuel, le rallongement de l’espérance de vie et la phénoménale augmentation du confort individuel ont largement justifié a posteriori l’intérêt des sciences et des techniques. Les conservateurs et les nostalgiques de la lampe à huile, discrédités par les médias mais aussi par l’opinion populaire, ont été rejetés dans les marges du jeu politique.

Depuis quelques années la modernité est confrontée à une profonde série de difficultés. Le développement des techniques a rétréci la terre, la création de nouveau réseau de communications a, en partie, déterritorialisé les relations humaines et fractalisé les sociétés. Les grandes multinationales sont trop à l’étroit dans le cadre des États-nations et ces derniers ont de plus en plus de mal à contrôler l’économie (surtout avec l’affaiblissement des mécanismes de régulation théorisé par le néolibéralisme). Les effets de l’activité humaine sur la nature, qui ont eu un caractère assez négligeable pendant des millénaires, sont maintenant importants et ne sont en général pas pris en compte par des responsables politiques qui sont essentiellement choisis sur leur capacité à gérer le court terme. Pollutions, manque d’eau, épuisement des ressources minières et pétrolières, production de gaz à effets de serre, etc. sont des enjeux planétaires qui ne sont pas facile à résoudre avec deux cents États-nations souverains. La gouvernance mondiale est actuellement inadaptée à la gravité et à l’urgence des problèmes. Le thème d’une gouvernance compatible avec les nécessités du développement durable ou même de la décroissance soutenable sera certainement au cœur des discours idéologiques futurs. Contrairement à ce que pensait Fukuyama la gouvernance durable reste à inventer même si elle peut s’appuyer sur des expériences positives, mais parcellaires, comme l’émergence du GIEC pour les difficultés climatiques.

Bien des difficultés évoquées interrogent aussi sur notre rapport au progrès. Il y a toujours eu des réactionnaires critiques devant les innovations et des nostalgiques des temps précédents, mais le modèle dominant d’une science libératrice, irriguant une industrie capable de développer des technologies, permettant à l’homme de dominer les contraintes de la nature et d’acquérir toujours plus de temps libre et de confort, semble à bout de souffle. C’est le projet cartésien de rendre l’homme "comme maître et possesseur de la nature", réponse implicite de nos sociétés, à la classique question philosophique du rapport entre nature et culture qu’il va falloir repositionner dans le champ politique. D’abord sous l’aspect de la démesure (le concept d’ubris dans la pensée grecque) qui a conduit l’activité humaine à dégrader l’écosystème terre de manière importante, mais plus subtilement sous l’aspect de la transformation de la nature humaine qui commence à apparaître dans la notion de convergence NBIC (Nanotechnology, Biotechnology, Information technology and Cognitive science). Le premier point nécessite une gouvernance apte à penser les risques et à faire un bon usage du principe de précaution. Cela commence à être ébauché depuis quelques années, mais est loin d’être instauré dans le réel des pratiques de gouvernance. Le deuxième est bien plus nouveau, car jusqu’à présent la nature humaine était pensée comme étant immuable dans le temps, même si cela comportait une part d’illusion, l’homme étant aussi produit par la société dans laquelle il vit. L’émergence d’importantes capacités de contrôle et d’influence sur les comportements humains posent de manière nouvelle la question du totalitarisme (cf le travail de Michel Foucault sur le biopolitique). L’écart entre le discours démocratique qui valorise des citoyens autonomes et responsables et le réel du fonctionnement social risque de s’accentuer très fortement et notre état de droit démocratique risque de devenir une illusion entretenue par quelques procédures électives.

De nombreux exemples concernant ces enjeux ont, depuis quelques années, été à la une des journaux. Cela va du manque flagrant de précaution comme dans la crise de "la vache folle", la gestion des ressources halieutiques ou dans le lancement commercial des OGM, à des situations beaucoup plus complexes comme le réchauffement climatique, la perte de biodiversité ou l’épuisement des ressources énergétique qui remettent profondément en cause notre mode de vie. Les risques pour la démocratie, liées à la convergence NBIC commence à apparaître dans l’usage des puces électroniques et des bases de données pour garantir la sécurité. Les capacités techniques de la médecine et de la biologie ont été accompagnées, notamment en raison de l’apparition de la possibilité du clonage, par beaucoup d’interrogations éthiques. Dans toutes ces questions la répartition simple nature d’un côté, culture de l’autre ne fonctionne pas toujours, la nature étant toujours plus ou moins artificielle et l’homme faisant partie de la nature. La culture est aussi dans la capacité de l’humanité à penser les artifices qu’elle utilise pour agir sur la nature. Les grilles de lecture inspirées par l’axe politique habituel droite/gauche ne sont pas très pertinentes ce qui expliquent, malgré l’importance du traitement médiatique, l’abandon de ces questions aux divers comités d’experts.

Tout projet politique devrait dans l’avenir non seulement se réclamer d’un mode d’organisation de la gouvernance pour gérer les multiples appartenances, décliner ses objectifs sur la justice sociale, proposer un équilibre entre rigidité des structures sociales et libertés individuelles mais aussi se positionner sur la gouvernance de la technoscience. Jusqu’à présent le politique avait considéré que l’autorégulation de la technique par le marché et celle de la science par les chercheurs étaient suffisantes. Le nouveau régime de savoir qui s’est mise en place avec l’avènement de la technoscience a laminé l’ancienne dichotomie sciences pures ou fondamentales / sciences appliquées et techniques. Il n’est plus possible de croire que le seul rôle du politique, sur ce point qui engage fortement l’avenir, est de contrôler le bon usage des outils techniques et de réparer les dégâts liés aux éventuels dérapages. Ces enjeux multiples, qui concernent fortement le long terme, doivent trouver place dans le débat démocratique et faire partie des éléments fondamentaux qui structurent l’offre politique.