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  De la précarité au « précariat »

mardi 25 novembre 2008, par François-Xavier Barandiaran

Conférence prononcée le 26 novembre 2008 devant les élèves des classes préparatoires du Lycée Saliège

Etymologie du mot : du latin precarius (même famille sémantique que prier) : ce qui est obtenu par la supplication. Donc, qui n’est pas assis sur le droit, et qui peut être révoqué à tout moment. C’est cet aspect de non durabilité qu’a gardé le vocable de nos jours. Est précaire ce qui n’est pas pérenne, permanent, solide, stable. Un anthropologue vous dirait que la précarité est l’une des caractéristiques de l’homme et de sa vulnérabilité, corrélée avec la notion de risque. Mais, ce n’est pas de cette précarité que je vais vous parler.

En sociologie économique le terme définit de plus en plus un des éléments de la condition ouvrière (la moitié des salariés se sentent aujourd’hui sur un siège éjectable !) et même une sous-classe parfaitement identifiable qui répond aux structures de l’économie néo-libérale. Nous sommes loin des aléas et des incertitudes qui font partie de la loterie de la vie ! La précarité est devenue le lot de millions de personnes, ce qui permet à des sociologues, comme R.Castel, de nommer cette nouvelle réalité « le précariat » (néologisme qui contracte précarité et salariat). On ne peut comprendre la précarité qu’à partir des rouages de l’économie. Leurs liens sont de nature structurelle.

Comment en est-on arrivé là ? De façon schématique je vais évoquer –surtout pour ceux qui ne sont pas élèves des classes prépas HEC- l’évolution du capitalisme dans la deuxième moitié du XXe siècle, et en particulier vers les années 70 (à peu près quand vos parents avaient votre âge !).

Le capitalisme britannique ou anglo-saxon

Ce qui le caractérise c’est la recherche du profit à court terme. Le marché joue le rôle central et l’Etat, un rôle minimum. Le financement se fait par la Bourse.

La pérennité de l’entreprise n’est pas un objectif premier, puisque elle-même est considérée comme un bien marchand qui se vend et s’achète.

La main-d’œuvre, par définition, doit s’adapter aux aléas de l’économie, mais, compte tenu de la force des syndicats britanniques, d’une part, et, d’autre part, de la longue occupation du pouvoir par les travaillistes, le système de protection sociale reste assez développé .

Le capitalisme allemand ou rhénan

Se caractérise par la création de grands groupes, souvent des entreprises familiales. Qui sont financés par des Banques auxquelles les entreprises sont liées par des engagements à long terme. Les syndicats, très bien implantés, participent à la gestion de l’entreprise –ce qu’on a appelé la cogestion-, et le tout fonctionne sous la garantie de l’Etat (tradition depuis Bismark). C’est l’économie sociale de marché, modèle de la social-démocratie, avec un système de prise en charge sociale très efficace. En trois mots, c’est la pérennité de l’entreprise, la qualité des produits manufacturés et la concorde sociale.

Et la France ? Elle se situe entre les deux : produit hybride qui, sans avoir toutes ses qualités, penche davantage du côté du capitalisme rhénan, au moins en ce qui concerne le rôle de l’Etat, symbolisé par les accords du Conseil national de la résistance, qui scellèrent l’union sacrée entre les forces de gauche et le gaullisme social. Bien que l’art du compromis social n’ait jamais été une qualité nationale, à la faveur de la forte croissance « des trente glorieuses », on peut bien parler de « l’Etat-providence » : pas de chômage et une bonne protection sociale (ne disait-on pas que son système de santé était le meilleur du monde ?)

Pour avoir vécu les évènements de Mai 68 et les accords de Grenelle, je peux affirmer que la situation sociale n’était pas un petit paradis sur terre, mais, quand on regarde rétrospectivement 40 ans après, on comprend qu’on a basculé dans un autre monde, où la précarité et « l’insécurité sociale » sont devenues les maîtres mots.L’équilibre relatif qui s’était établi entre prospérité et justice sociale, croissance et redistribution, marché et Etat a été rompu !

Le néo-libéralisme ou capitalisme financier

Que s’est-il passé ? Comment est née cette nouvelle société ? Beaucoup de facteurs y ont contribué. Dans ce court exposé je ne peux que faire mention du développement de l’individualisme, de la disparition du bloc des pays communistes, du dépérissement de la notion de « bien commun » ou de l’abandon des idéologies. Je m’attarderai davantage sur ce qu’on a appelé « la révolution conservatrice » promue essentiellement au cours des années 80 dans deux pays, Les EE.UU. et la Grande-Bretagne par deux personnages qui resteront dans l’Histoire :

-  Ronald Reagan, président américain de 1981 à 1989, qui met fin au New Deal instauré par Roosevelt et

-  Margareth Thatcher, premier Ministre britannique de 1979 à 1991.

Ces deux personnages, qui se retiraient de la scène politique à peu près quand vous êtes nés, personnifient le nouveau capitalisme qu’on nomme le néo-libéralisme. Qu’est-ce qui le caractérise et pourquoi peut-on le considérer comme l’accoucheur du précariat ? C’est le triomphe du capitalisme anglo-saxon et des économistes ultra-libéraux de l’Ecole de Chicago.

Leur leitmotiv : « laissez faire l’économie » qui est capable de s’autoréguler toute seule.

Réduction du rôle de l’Etat : « l’Etat n’est pas la solution, mais le problème », proclame Reagan en 1981.Et M.Thatcher lui répond en écho : « Il n’y a pas d’autre choix possible…que de libéraliser le marché ». Priorité absolue à la concurrence et à l’initiative privée. Privatisation de tout ce qui peut s’acheter et se vendre, y compris les services publics.

Dans un tel système les salariés, considérés comme un simple moyen de production et même comme une charge, peuvent être licenciés à tout moment, et l’Etat-providence est fortement critiqué comme étant un frein pour l’économie. Evidemment ce système ne peut qu’être générateur de fortes disparités sociales. Et, c’est là que nous retrouvons le fil de notre histoire : la précarité.

Dans le cadre de cet exposé je ne peux qu’évoquer quelques aspects de ce nouveau capitalisme qui va provoquer, comme corollaire, la dérégulation générale et la précarité systématisée : A marche forcée, poussé par les nouvelles possibilités de l’informatique et la connexion des Bourses, notre monde s’est engagé sur la voie des déréglementations du droit du travail et du démantèlement des protections sociales. Sous couvert de lutter contre l’inflation, les salaires ont été déconnectés de la productivité du travail et ont entamé une dégringolade de 10 points de la valeur ajoutée : on s’accorde à dire qu’en 20 ans, dans le partage de la richesse produite, par rapport à la situation des années 70, le capital a gagné 10% de plus que ce qu’il engrangeait avant.

Au niveau de l’emploi, alors que la courbe de la rémunération financière augmentait, celle du chômage suivait aussi dans la même proportion. La clé d’explication de la précarité est là : plus de dividendes pour les actionnaires c’est moins de revenus pour les salariés et pour la protection sociale.

J’aurais pu traiter directement le sujet de la précarité sous l’angle social et humanitaire, comme le font en général les divers médias, mais quelles que soient, par ailleurs, nos convictions personnelles, on a le devoir de chercher à comprendre comment les choix économiques marquent notre vie sociale individuelle et collective.

Etat des lieux de la précarité

Après ces considérations un peu abstraites descendons sur la palestre de la réalité sociale. Les chiffres que je vais vous donner constituent un agrégat de données diverses, qui, prises dans leur ensemble, donnent un véritable aperçu général de la précarité en France. Chacun d’eux considéré seul n’est pas significatif, puisqu’ils se recoupent et s’imbriquent pour former un tout. Une autre remarque préliminaire, c’est qu’il en va des chiffres comme de l’image : on peut être tenté de leur faire dire plus ou moins que ce qu’ils signifient. On doit, par conséquent, les commenter, les interpréter et les mettre en perspective.

Travail

-  Près de 2 millions de chômeurs (8 %, DOM compris) recensés dans la catégorie 1 du classement INSEE, qui en compte huit (en fonction de la disponibilité des personnes inscrites et du type de poste recherché), ce qui fait un total d’environ 4 millions.
-  Temps partiel : sur les 4,3 millions de contrats à temps partiel, on compte 1,4 million de travailleurs à temps partiel subi et qui souhaiteraient travailler davantage.
-  Une femme salariée sur trois est employée à temps partiel (moyenne de 23h/semaine).
-  22% des jeunes « actifs » de moins de 25 ans sont au chômage et 41% de ceux qui travaillent ne se satisfont pas « des petits boulots » qu’ils sont obligés de réaliser.
-  Les statistiques de l’INSEE pour 2007 comptent 19,8 millions d’emplois en CDI et 3,1 millions en CDD : contrat précaire, intérim, stages…Mais, depuis quelques années deux nouveaux contrats d’embauche sur trois concernent des emplois précaires.
-  « Travailleurs pauvres » : parmi les 3,7 millions de salariés dont le salaire est inférieur au seuil de pauvreté, la France compte 1,75 millions de « travailleurs pauvres »
-  5 millions de personnes occupent un emploi non qualifié, soit une sur cinq.

Logement

-  D’après le dernier rapport de la Fondation « Abbé Pierre », plus d’un million de personnes sont privées de logement personnel, dont 100.000 sans domicile fixe (Sdf), 100.000 habitant de façon permanente au camping, 200.000 dans des hébergements d’urgence, 150.000 chez des proches, 300.000 dans des caves, garages, etc.
-  Près de 3millions des personnes sont confrontées au « mal logement » : insalubrité, manque de confort sanitaire, de chauffage…
-  Sur les 1.300.000 demandes effectuées en 2006 aux organismes du secteur Hlm seulement un tiers ont pu être satisfaites.
-  Près de 6 millions, en tout, connaissent, par conséquent, une situation précaire du logement.

Santé

-  Selon l’enquête IPSOS réalisée pour le Secours Populaire en septembre 2008, 39% des français ont déjà retardé ou renoncé à au moins un soin en raison de son coût.
-  La CMU et la CMU-C (couverture maladie universelle qui prend en charge entièrement les frais de santé de ceux qui n’ont pas droit à la Sécurité sociale) concerne 7% de la population, soit 4,5 millions
-  5 millions de français (soit, 8%) ne peuvent pas se payer une complémentaire santé.
-  Une famille sur trois ne peut jamais partir en vacances.

Nourriture

-  30% de la population déclare (sondage IPSOS pour le SP) ne pas avoir les moyens pour disposer d’une alimentation saine et équilibrée, et même 3% disent ne pas avoir fait un repas complet dans les deux dernières semaines.
-  Il n’est pas étonnant, par conséquent, que la distribution alimentaire soit devenue l’une des activités premières d’un certain nombre d’associations qui assurent la survie des personnes de plus en plus nombreuses qui frappent à leur porte. 2 chiffres pour avoir une idée de grandeur : le Secours Populaire de la Haute Garonne a distribué, en 2006, 177 tonnes de nourriture ; quant aux Restos du cœur, première association dans ce domaine, ils annoncent, pour la campagne 2006-2007, le chiffre de 82 millions de repas distribués et 91 millions pour 2007-2008. Quand Coluche l’a fondée en 1985 le nombre de repas avait été de 8,5 millions. Comparez les deux chiffres et vous aurez compris beaucoup de choses de l’évolution de notre société.

Cet ensemble de chiffres un peu hétéroclites donne un aperçu de la diversité des situations que recoupe l’état de précarité et l’importance du problème qui touche, aujourd’hui, un tiers de la société. Cela va bien plus loin que la définition stricte de la pauvreté « monétaire » mesurée par les statistiques de l’INSEE, qui en 2006 comptait en France 8 millions de pauvres, soit 13,2% de la population : selon les critères de Eurostat : est pauvre celui qui doit vivre dans un ménage avec moins de 60% du revenu médian, qui en France était de 1450 euros. Le seuil de pauvreté se situait, donc, à 880 euros/mois. Ce chiffre est intéressant, parce qu’il montre que le degré de pauvreté se mesure à l’écart entre les personnes défavorisées et la moyenne des citoyens. Mais, il est arbitraire et ne traduit pas le ressenti des victimes : en effet, quand on demande aux français qui est pauvre, ils situent la frontière un peu au-dessus de 1000 euros.

Des hommes, des femmes, des enfants en chair et en os

Au-delà des chiffres je vois les personnes que je côtoie à travers l’action humanitaire :

1) Une humanité qui souffre et qui vit dans l’angoisse, qui se bourre de barbituriques pour dormir. Qui n’a pas les moyens de se faire soigner convenablement (lorsqu’un homme est chômeur de longue durée, au bout de 5 ans, il a trois fois plus de risques de mourir qu’un actif !). Qui ne peut assurer aux enfants des conditions dignes de vie et d’éducation. Qui connait la faim, le froid, le manque d’hygiène….

2) Une humanité méprisée et humiliée par la société qui l’entoure. Je vois des gens qu’on cherche à rendre responsables de leur malheur, parce qu’ils n’ont pas été assez forts, assez performants. Souvent vous entendez dans votre entourage proche des jugements qui voudraient faire passer les pauvres pour des profiteurs qui ne font pas l’effort de s’en sortir, et qui, de plus « coûtent cher à la société » ! Le XIXe siècle avait crée le lien entre « vagabond » et « délinquant ». Le XXIe siècle, entre précaire, exclu, assisté et profiteur.

3) Une humanité qui ne peut pas se projeter dans l’avenir : des centaines de milliers de jeunes qui « galèrent » avant de trouver un emploi stable, prolongent leur séjour chez papa et maman et hésitent à se lancer dans la vie adulte à travers la création d’une famille. Des lycéens qui ne croient plus que l’école puisse leur servir de tremplin social. Des parents englués tout simplement dans la recherche du pain quotidien et de la survie à court terme.

4) Une humanité d’exclus qui se désocialisent progressivement, puisqu’il n’y a plus de place pour eux dans les relations d’interdépendance des divers groupes qui constituent une société. Selon Durkheim, ce qui fait le lien social, c’est que tous les individus, quelle que soit leur place, puissent occuper une position qui, d’une part, leur apporte un statut et une protection élémentaire et, d’autre part, le sentiment d’être utile à la société. Or, comme le constatent tous les professionnels sociaux, les pauvres souffrent avant tout d’une perte de l’image et de l’estime de soi. En état de grande précarité, la personne se sent d’une vulnérabilité totale et complètement nulle devant le regard dévalorisant des autres. Nous atteignons là le degrés zéro de la vie en société.

La réponse des politiques

Depuis trente ans que dure l’apparition du chômage de masse, il y a eu des alternances entre la gauche et la droite. Certes, on doit reconnaître des nuances dans le traitement de ce cancer social : la gauche ayant poussé plus loin le souci des « emplois aidés » ou subventionnés pour venir en aide à telle ou telle catégorie de chômeurs, et, en particulier, à celle des jeunes de moins de 25 ans. La droite n’a pas pu faire moins que de les proroger tant bien que mal. En revanche, conformément à son programme elle est en train de procéder à une déréglementation au Code du travail et d’accorder une plus grande flexibilité au patronat. Mais, dans l’ensemble, une certaine fatalité devant la montée du chômage et de la précarité les réunit : tellement dans la doxa néo-libérale l’économie a fini par dévorer la politique ! Donc, toutes les deux vont se contenter de gérer le chômage et, comme c’est un argument électoral de poids, d’essayer de le faire diminuer, même, parfois, en jouant sur les statistiques. Dans toute la panoplie de mesures adoptées pendant cette période, je vais passer à pieds joints sur les « emplois jeunes », les contrats aidés (290.000 en 2008) et les allégements des charges sur les bas salaires pour m’arrêter sur le RMI et le RSA.

Le RMI

Le revenu minimum d’insertion (RMI) a été créé par la loi du 1/12/1988, sous le gouvernement Rocard, et votée par la gauche et par une forte proportion de députés de droite.

Le RMI est financé par les Conseils Généraux et concerne les plus de 25 ans qui disposent d’un niveau de ressources inférieur à un plafond défini par la loi. Son montant est actuellement de 448 euros/personne seule et de 672, pour un couple, somme qui se calcule de façon différentielle, compte tenu des autres ressources. Il est compatible avec d’autres droits sociaux, comme la CMU, l’exonération de la taxe d’habitation et de l’audiovisuel ou la perception de la prime de Noël. Il vise à insérer dans le monde du travail les personnes le plus en difficulté, puisque l’obligation essentielle du « rmiste », c’est de conclure dans les trois mois après son inscription un contrat d’insertion avec l’ANPE.

Entre 2004 et aujourd’hui le nombre de personnes bénéficiant du RMI a oscillé entre 1.200.000 et 1.300.000. Les populations concernées sont les universitaires diplômés sans travail, les salariés entre deux périodes de CDD ou d’intérim, les mères célibataires…

Pour ces personnes le RMI apporte un statut minimal de reconnaissance sociale, mais il s’est avéré très peu efficace au niveau de la réinsertion professionnelle par manque de moyens d’accompagnement. Un autre défaut congénital c’est « l’effet de seuil », qui décourage les « rmistes » de chercher un boulot, souvent à temps partiel et peu rémunérateur, parce qu’ils perdent automatiquement tous les droits inhérents au RMI. C’est pour cela qu’on l’a appelé « une trappe d’inactivité » !

Le RSA

Pour pallier ces inconvénients le gouvernement Fillon est en train de mettre en place le RSA ou revenu de solidarité active. A noter qu’il figurait sur le programme de campagne de Ségolène Royal ! Inventé par M.Hirsch (ancien président d’Emmaüs), nommé Haut Commissaire aux solidarités actives par N.Sarkozy. Remplace le RMI et l’API (allocation de parent isolé). Permet de garder une partie des aides, en cas de reprise du travail, et, par conséquent, devrait être plus incitatif à la recherche d’emploi, puisqu’il permet de cumuler salaire et allocations, dans la limite de 62%, c’est-à-dire que chaque fois qu’une personne gagne 100 euros de plus par son travail, les aides ne puissent pas diminuer de plus de 38 euros. D’après son créateur environ 700.000 mille personnes devraient passer au-dessus du seuil de pauvreté.

Au-delà des controverses sur son mode de financement, le RSA bénéficie d’un a priori favorable, mais des critiques fortes apparaissent déjà :

-  Tout comme son prédécesseur, le RMI, il sera d’une efficacité relative concernant l’insertion par le travail

-  Il va inciter les employeurs à maintenir les petits salaires et les emplois à temps partiel, puisque l’Etat apportera le complément

-  Il risque de créer des distorsions fortes avec les salariés payés au SMIC, ce que conteste vivement M.Hirch qui affirme que les salariés modestes percevront également un complément de revenu de solidarité active. Accordons-lui crédit, en attendant de vérifier sur les faits, quand le RSA sera en place.

N.B. : le montant du salaire minimum interprofessionnel (SMIC), pour 35 heures hebdomadaires, est de 1321 euros brut (taux horaire de 8,71), soit 1037 euros net. En 2006, 15% des salariés du privé étaient payés au SMIC, ce qui fait un total d’environ 3 millions.

La grande peur que l’on peut avoir, c’est que le RSA ne devienne un cache-misère de plus, tant que le système continuera de produire des emplois paupérisants.

Devant le constat de tant d’impuissance de la part des hommes politiques –je dirais, de la société tout entière- nombreux sont ceux qui sombrent dans le fatalisme. N’y aurait-il, donc, rien à faire pour lutter contre la précarité ?

Le modèle danois et la flexi-sécurité

Avides de solutions rapides, certains hommes politiques lorgnent du côté des pays scandinaves, et, en particulier, du modèle danois qui, de l’avis général, rend possible l’oxymore de la « flexisécurité » ou la conciliation des contraires, qui sont : la flexibilité pour l’employeur et la sécurité pour le salarié qui perd son emploi. L’efficacité économique et la solidarité se donnent la main !

D‘un mot simple la franco-norvégienne Eva Joly disait du système danois : « il ne laisse personne au bord de la route ». Essayons de le résumer en quelques mots :

Au Danemark, l’Etat garantit les droits fondamentaux de chaque individu. Les collectivités territoriales et les syndicats forts puissants s’impliquent dans l’application de ces droits. Le financement est assuré par l’impôt sur les personnes (pouvant aller jusqu’à 80% des revenus !) et sur les entreprises, qui permet de maintenir une protection sociale inégalée au monde entier.

Quelques exemples : tous les jeunes disposent d’une somme minimale et les étudiants d’un salaire, à condition de ne pas habiter chez les parents. Un chômeur voit garanti son salaire intégral pendant un an, et un peu inférieur pendant 4 ans. La formation scolaire et la formation professionnelle tout au long de la vie sont très performantes : il est courant que des gens travaillent à temps partiel choisi et continuent de se former.

Celui qui perd son travail va être accompagné dans sa recherche d’emploi, ce qui fait que « les périodes de chômage sont davantage des périodes de transition que de drame » (D.Méda). Normalement, suite à un tel encadrement, les périodes de « non emploi » vont être de courte durée.

En échange de quoi la flexibilité pour les employeurs est presque totale.

Evidemment on ne peut opérer une translation en France du système danois, tellement le mode de fonctionnement de nos sociétés est divergent. Ce n’est pas dans notre idiosyncrasie ! Mais il garde la force d’un modèle : si l’avenir est fait de mobilité, de capacité d’adaptation aux nouvelles technologies, de nécessité de formation permanente, nos sociétés devront trouver les moyens pour assurer à chaque individu un statut qui soit un compromis entre mobilité et sécurité, une « protection sociale » lors de tous ces changements. Ce que R.Castel appelle « une nouvelle sécurité sociale professionnelle ». En un mot, la disparition de la précarité et de la pauvreté qui mettent en péril des millions de personnes et même la cohésion sociale.

L’humanitaire : réponse de la société civile

Elle est massive. Je ne saurais vous donner un chiffre précis, mais, si on additionne l’ensemble des associations, cela se compte en centaines de milliers de « bénévoles ». Certaines sont anciennes, comme le Secours catholique, l’Armée du salut ou le Secours populaire. D’autres, plus récentes, comme Médecins du monde ou les Restos du cœur. Elle est si massive qu’elle est accusée par certains de servir de caution au pouvoir politique qui, de ce fait, ne prend pas les décisions qu’il faudrait. Elle sert, en quelque sorte, de soupape de sécurité pour le système, au risque de nous faire ressembler de plus en plus à la société américaine qui est, à la fois, la plus discriminante et la plus compassionnelle qu’on puisse imaginer. Critique recevable, qui met en évidence la situation paradoxale de notre société : d’un côté, on ne croit plus à l’action des politiques et on cherche à panser les plaies par une action directe et immédiate et, de l’autre, on prend conscience qu’il ne peut y avoir de solution qu’en jouant sur les structures sociales.

C’est une lapalissade que de dire que toutes ces associations répondent à l’urgence de la situation en apportant une aide matérielle, chacune, si l’on peut dire, selon sa spécialité : nourriture, logement, santé, insertion, culture, aide aux enfants, etc. Nous pourrons en reparler lors du débat.

Mais, ce sur quoi je voudrais insister, c’est que de plus en plus d’associations –et en tous cas, les plus importantes- essayent de prendre en compte la totalité de la personne qu’on accueille, qu’on réconforte, qu’on respecte, parce qu’elle est dotée de la même dignité que nous .Il s’agit de l’appréhender dans la globalité de ce qu’elle est et de ce qu’elle vit. Ces gens à qui on apporte une aide d’urgence, savez-vous de quoi ont-ils besoin, en premier ? D’être écoutés et respectés comme des personnes !

Un autre changement très positif par rapport à une approche dépassée de l’action humanitaire, c’est de penser que ces gens sont capables de se mettre debout, qu’ils ont des ressources et des richesses intérieures insoupçonnées et qu’on doit agir en partenariat avec elles. Faire que ces gens redeviennent acteurs de leur vie.

A ce propos, l’association qui se distingue le plus, c’est ATD quart monde qui n’apporte aucune aide matérielle, sa devise étant de « ne jamais faire à la place de », mais accompagne seulement les personnes dans les démarches qu’elles seraient incapables de mener seules. L’humanitaire n’est pas synonyme de « faire la charité », mais considérer que la grande pauvreté est une violation des droits de ces personnes. C’est lutter contre l’injustice qui est faite aux pauvres. Aide matérielle, mais surtout volonté de modifier les structures de la société : ATD, avec d’autres, a œuvré, par exemple, à la préparation de « la loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion » de 1998, qui a instauré, entre autres, la couverture maladie universelle (CMU). Des pauvres qui sont membres du mouvement ont siégé au Conseil Economique et Social et ont participé à l’élaboration du texte. Une autre loi qui doit beaucoup à l’action des associations est la loi DALO (droit au logement opposable), qui se met en place actuellement avec tant de difficulté : une chose est de faire des lois, et une autre, de les faire appliquer !

Nous côtoyons des exclus qui n’ont pas de toit, pas de travail, pas de quoi se nourrir ou se soigner, et surtout qui sont socialement muets : c’est aux associations humanitaires de porter dans notre société la voix de ceux qu’on n’entend jamais.

Conclusion

En 1979 le philosophe allemand Hans Jonas opposait la rationalité écologique à la croissance effrénée de l’économie dans son livre « Le principe responsabilité ». Trente ans après, nous commençons à peine à prendre conscience de la planète dévastée que nous risquons de léguer aux générations futures.

Combien d’années seront nécessaires pour comprendre que la rationalité sociale est, elle aussi, menacée ?

Peut-être que la profondeur de la crise du capitalisme que nous traversons va nous pousser à changer d’orientation : l’Histoire montre que souvent l’Humanité avance moins par sa capacité de sagesse que par les coups de pied que lui assène la réalité.

J’espère par mon intervention y avoir un peu contribué.

Quelques citations

« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré »

(Texte de J.Wresinski, gravé sur le parvis du Trocadéro, à côté de la Déclaration des droits de l’homme)

- « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires »

(Extrait de l’article 25 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme)

- « Cette promotion décomplexée du meilleur, du plus malin, du plus fort ou du plus cynique s’appuie sur une interprétation de l’histoire humaine bien plus dangereuse qu’on ne l’imagine. Elle fait fi des traditions humanistes et des sagesses. Tout en promettant une meilleure croissance économique, elle accélère – sans même s’en rendre compte- le processus de « décivilisation ». Elle atomise les sociétés pour mieux assurer, dit-on, leur « prospérité ». C’est un jeu de dupes. Oui, malheur aux perdants ! Tel est bien le message implicite. Les grandes cultures, à commencer par l’humanisme occidental, avaient de bonnes raisons de vouloir corriger, civiliser, limiter le principe même de la compétition. Ce n’est plus le cas ».

(Jean-Claude Guillebaud, écrivain)

- « Vous voici, que mon Père a reconnus. Recevez l’héritage du Règne qui vous est réservé depuis la fondation du monde. J’avais faim. Vous m’avez nourri. J’avais soif. Vous m’avez donné à boire. J’étais un étranger. Vous m’avez ouvert votre porte. J’étais sans vêtements. Vous m’avez vêtu. J’étais malade. Vous avez veillé sur moi. J’étais au cachot. Vous êtes venus me voir…..Croyez-en ma parole, chaque fois que vous avez agi de la sorte avec le plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »

(Evangile de Matthieu, 25, 34-40)