Le Café Politique

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  Après le fiasco de Friedman, voici le retour de Keynes

vendredi 31 octobre 2008, par François-Xavier Barandiaran

Pour le citoyen lambda, en général béotien en économie, les chiffres colossaux dont parlent les médias depuis quelques semaines et l’emploi de termes, comme titrisation des créances, taux de change flottants, produits dérivés, hedge funds , etc. restent profondément abscons. Mais il a compris, en revanche, que le capitalisme était en crise et que l’avenir immédiat s’annonce incertain et sombre. Eberlué par les sommes gigantesques que, tout d’un coup, les états sont capables de mettre sur la table pour empêcher que le château de cartes de l’économie mondiale ne s’écroule, il est en partie rassuré, ce qui explique que des millions d’épargnants ne se soient pas précipités aux portes de leurs banques, cédant à la panique comme en 1929.

Notre bon compatriote sent, tout de même, que le discours des politiques qui, après avoir loué et pratiqué à foison le néolibéralisme, jouent les vierges effarouchées découvrant ses méfaits, ne peut pas être crédible. Un modèle du genre est notre Président s’en prenant aux « parachutes dorés », aux spéculateurs imprudents et à tous ceux qui ont dévoyé le capitalisme qu’il voudrait moraliser. Comme si en coupant les branches pourries, l’arbre pouvait redevenir sain ! S’agit-il de dirigeants immoraux ou d’un système sans morale ? Et, comme au fur et à mesure que les jours passent, les faits prouvent que la situation est bien plus grave que ce que les défenseurs du système espéraient, il déploie beaucoup d’énergie, en tant que Président du Conseil Européen, pour « refonder le capitalisme », en proposant la réunion d’un nouveau Bretton Woods. Pourtant, ses diatribes anticapitalistes ne sont pas crédibles, quand on se souvient qu’il a souvent fait l’apologie de l’argent facile, ainsi que la promotion en France de ces mêmes crédits hypothécaires pour familles à faible revenu qui, aux EE.UU., ont provoqué l’éclatement de la bulle immobilière et amené le système financier au bord de l’asphyxie. Ou quand il proposait aux français d’assurer leur retraite par capitalisation. Ou quand, en même temps qu’il parcourt le monde prêchant la bonne parole, il poursuit le démantèlement des services publics, comme la Poste, l’éducation et la santé. Tous ceux qui découvrent maintenant les effets néfastes du capitalisme financier doivent commencer par reconnaître qu’ils se sont trompés. Sinon on pourra les soupçonner de cynisme et de roublardise !

A gauche aussi, par les temps qui courent, certains voudraient se refaire une virginité, qui il y a peu lorgnaient du côté de Tony Blair ou défendaient une Europe basée sur « la concurrence libre et non faussée » : cette Union Européenne qui, depuis le traité de Lisbonne, organise la libre circulation des capitaux et des marchandises, ainsi que la privatisation des services publics. Eux, aussi, doivent entonner leur mea culpa. Comme l’écrivait A.Montebourg dans une tribune libre du journal Le Monde, « (la gauche), elle aussi s’est laissé étourdir par les mirages et les promesses de croissance que promettaient les libéraux ». Et M.Aubry de lui répondre en écho dans Libération : « Nous avons jeté nos valeurs par-dessus bord ».Au moins, sur ce point on peut leur donner raison ! De toutes façons, pour les socialistes la pierre de touche, ce seront les résolutions qui vont surgir du prochain congrès.

Avec beaucoup d’ironie B.Langlois dans Politis dit qu’il en va du capitalisme comme du cholestérol : il y aurait le bon et le mauvais ! Pour ce qui est du mauvais tournons-nous vers les EE.UU. : pendant des années on nous a rebattu les oreilles en nous disant que l’économie américaine était le premier moteur de la croissance mondiale. Oui, la consommation des américains tirait la croissance en vivant à crédit dans des proportions démentes. L’endettement des ménages, (pour ne parler que de celui-ci), y est passé de 50% du PIB en 1980 à 100% en 2007 ! Le taux directeur de la Réserve Fédérale à 1%, depuis le 30 octobre, est plus bas que celui de l’inflation : on s’enrichit en empruntant ! C’était le dogme libéral de la croissance par l’endettement ou l’incitation permanente à la consommation. Avec des banques d’affaires qui ont prêté des sommes supérieures à 40 fois leurs fonds propres ! Si de telles aberrations n’ont pas eu lieu en Europe, au moins sur trois aspects l’économie européenne ressemble à celle d’outre-atlantique :
  C’est, d’abord, le mythe de la croissance sans limites qui n’a cure des conséquences de l’empreinte écologique de nos gaspillages et des conforts non nécessaires dont bénéficient les pays riches, avec son corollaire, le productivisme. Mais, au lieu de continuer à proclamer que « consommer est bon pour l’emploi », n’est-ce pas le moment de substituer d’autres modes de vie à la société de consommation,
  en tenant compte de la nature finie de la planète bleue ? De telle sorte que la crise actuelle deviendrait une chance pour l’écologie, si nous remettons en question la croissance à tout prix et que nous mettons en place un nouveau modèle de développement qui passerait par des technologies plus économes en énergie (habitat, transports…), par la promotion de biens non marchands (santé, culture, éducation, services pour les retraités dans une Europe vieillissante…) et, surtout, par le retour à un mode de vie moins gaspilleur et plus frugal.
  C’est l’avidité du capital qui a recherché systématiquement des rendements financiers d’au moins 15% et qui a amené à la pratique détestable des produits « warning » (alerte sur les résultats) : quand les produits sont inférieurs à ceux qui étaient escomptés, on licencie pour réduire les coûts. Fatalement le chômage augmente, dès lors que les salaires sont devenus « la valeur d’ajustement ». Comment l’idéologie néolibérale a-t-elle pu faire croire que la plus-value financière était créatrice de richesse ou que « les profits d’hier deviennent l’investissement d’aujourd’hui et seront les emplois de demain » ?
  La récession de l’économie réelle, qui ne fait que commencer, est le meilleur démenti à une telle chimère. Bien au contraire, pendant la période de croissance, les dividendes des capitalistes se payaient par le dépouillement des salariés .Un rapport de l’OCDE a indiqué récemment que la part qui revient aux salariés dans la richesse produite par les entreprises a diminué de 12% pendant les 25 dernières années.

Tout le système de protection sociale a été grignoté, cependant que le nombre de précaires, des chômeurs et des « travailleurs pauvres » augmentait. On en est arrivé à ce que R.Castel appelle « l’insécurité sociale » de millions de personnes qui, ayant perdu leur intégration à la société salariale qui leur apportait un statut social et les protections minimales assurant leur indépendance, se retrouvent de plus en plus sur les marges de la société. Ce sont des travailleurs sans travail, et, par là même, on a détruit leur citoyenneté sociale : ils en sont exclus ! Comme disait une personne du quart-monde : « Moi, la crise, c’est depuis ma naissance ». S’il en était ainsi avant les événements actuels, qu’est-ce que ce sera après le ralentissement de l’économie dont personne n’est capable de diagnostiquer ni l’étendue ni la durée ? Qui va payer ? Les divers gouvernements s’affairent à venir en aide aux riches, en protégeant les banques et les entreprises (il est clair que personne n’a intérêt à connaître une autre Grande Dépression comme celle de 1929 !), mais qui va aider les pauvres qui trinqueront encore une fois de plus ou les pays en voie de développement ?

On a répété, de façon irréfléchie, que nous vivions la période de la fin des idéologies, comme d’autres annonçaient la fin de l’Histoire ! C’est faux ! Il s’agissait encore d’une ruse de l’idéologie néolibérale qui régnait de façon impériale sur les esprits. Maintenant que le fiasco des suiveurs de Friedman et d’Hayek est manifeste –mais il ne faut pas rêver : le capitalisme n’est pas à l’agonie !- ceux qui croient toujours aux utopies doivent lever la voix. En débat avec les citoyens, les forces de gauche, chacune selon son histoire et son programme, doivent proposer des paradigmes nouveaux pour l’après capitalisme financier, qui aillent plus loin que le simple retour keynésien de l’Etat dans la gouvernance de l’économie. Quelle leçon vont tirer les citoyens de cette crise ? Devant la certitude d’une aggravation de la situation sociale va-t-on se contenter, comme seul horizon, de produire et de consommer pour faire repartir la machine ? Le jour où l’indice de développement humain aura remplacé le PIB pour mesurer le niveau de richesse d’une société, nous aurons commencé à sortir du cercle infernal. Alors, en attendant l’apparition d’un projet global substitutif au capitalisme, il me semble que les mouvements alternatifs ont pris une longueur d’avance (rappelez-vous la fameuse taxe Tobin ) et nous montrent la route. Leurs propositions constituent un socle minimum : casser les reins à la finance au moyen de taxes sur les transactions ; disparition des paradis fiscaux et du secret bancaire ; création de pôles bancaires publics solides ; changer la politique de la BCE strictement monétariste, menée au détriment de l’emploi et de la justice sociale ; unification des différentes fiscalités des pays européens ; revenir à une équitable répartition des richesses entre salariés et capital ; promouvoir une redistribution par la fiscalité pour assurer la protection sociale et les services publics ; annuler intégralement la dette des pays pauvres…

Dans un sondage de la Sofres publié par La Croix le 25 octobre, 61% des enquêtés pensent que l’économie de marché est le système « le moins mauvais … et qu’il faut l’améliorer », contre 29% qui affirment « qu’il faut en changer ». C’est aux forces politiques de mener le combat idéologique pour en renverser ces résultats. Une occasion historique s’est créée. Il nous appartient de la saisir pour transformer la société.