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  Comment définir la ville durable ?

lundi 14 janvier 2008, par François Saint Pierre

Le concept de développement durable, qui a émergé à la fin du vingtième siècle, est devenu incontournable, mais on peut se demander s’il relève du marketing électoral ou de la nécessité. "Répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs" semble une trivialité pour celui qui a un minimum le sens de l’histoire. Penser en simultané l’économique, le social et l’environnement tout en respectant les principes d’une gouvernance démocratique paraît tout aussi évident. L’ONU a accepté depuis la conférence de Rio en 1992 d’adopter un principe de durabilité (traduction approximative de sustainability ), en y adjoignant le terme de développement. Cette adjonction signifie clairement la volonté de ne pas renoncer à ce qui a fait le succès de la modernité : progrès de la science, croissance de la production et de la consommation. Mêmes les économistes savent bien que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et que le développement durable est un oxymore. Au-delà de cette ambigüité sur les termes, qui s’est traduite par l’irruption du concept de décroissance soutenable, le développement durable reste un fourre-tout politique parfait. La complexité du concept permet de l’étirer dans tous les sens suivant les besoins.

Plus de la moitié de l’humanité vit dans des villes, la mégapole de Tokyo dépasse les 35 millions d’habitants et l’agglomération de Paris avec ses 12 millions n’est qu’à la vingt et unième place. Le cœur des grandes métropoles garde en général une forte identité, mais la grande ville moderne, structurée par l’usage de la voiture, le prix de l’immobilier, la répartition des commerces et le développement industriel périphérique, n’offre pas à ses habitants une qualité de vie exceptionnelle. Pollution et temps perdu en déplacement contrebalancent largement les avantages économiques liés à la densité de population. Dans les grandes villes, l’arrêt d’un développement sans limite de l’urbanisation, n’est-il pas la première obligation ? On retrouve les idées de la vieille tradition d’un urbanisme malthusien, qui se sont jusqu’à présent surtout traduites par le rejet dans la périphérie des catégories sociales pauvres. Le point d’équilibre démographique pour l’humanité sera atteint, d’après les prévisions, environ en 2050 et se situera entre 9 et 10 milliards d’habitants sur terre, avec 6 ou 7 dans les villes. Les très grandes mégapoles ne sont pas pour autant un modèle à suivre, et les villes devront d’ici une quarantaine d’années se penser comme n’étant plus en perpétuelle expansion. En attendant les villes sont toujours en croissance, ce qui ne simplifie pas la tâche quand on essaye de réduire de manière drastique les indicateurs de pollutions ou de production de gaz à effet de serre.

La concurrence économique mondialisée fait passer au second plan les risques industriels, la dégradation de l’environnement, ou l’accroissement des inégalités. Pourtant, le développement économique commence à être confronté à la finitude de la planète et à des déséquilibres sociaux qui risquent de remettre en cause les fondements mêmes de notre société. Mettre l’accent sur la ville durable, c’est aller au-delà de l’horizon borné, tant dans l’espace que dans le temps, qui est trop souvent celui de la démocratie représentative. Cela oblige à un partage difficile entre l’intérêt immédiat des habitants et l’intérêt de ceux qui sont, soit ailleurs dans l’espace, soit à venir dans le temps. Cela commence par ne pas exporter les coûts du développement urbain sur les écosystèmes ou sur les générations futures. La ville consomme et pollue beaucoup et elle ne peut pas rester indifférente au réchauffement climatique, ni aux questions des OGM ou des déchets nucléaires qui ne sont pas pour autant de son ressort immédiat.

La ville durable est, en première approximation, une ville qui a un projet conforme à l’utopie adoptée par la conférence de Rio sous le nom d’Agenda pour le XXI° siècle. Outre la mise en avant de l’importance d’une approche spatio-temporelle globale, quelques idées fortes ont été mises en avant.
- Transversalité et décloisonnement des modes d’organisation de l’administration et des services techniques.
- Valorisation d’une démocratie participative qui ne soit pas réduite à de la communication.
- Importance du recours au monde scientifique pour participer avec les responsables et les citoyens à la construction de l’intérêt général.
- Importance de la gestion de l’eau et des espaces naturels.
- Droit pour tous à la qualité du cadre de vie urbain qui comprend aussi la vie culturelle, cette qualité de vie devant être pensée comme un bien public local.
- L’urgence est de stopper la "non durabilité" de certaines pratiques.
- Se projeter dans un avenir plus ou moins lointain ne doit pas faire oublier que tout choix s’inscrit dans un contexte qui inclut le passé et le patrimoine.

Depuis quelques années toutes les villes ont compris qu’il était urgent de repenser les déplacements en favorisant les modes doux et les transports en commun. L’isolation des bâtiments privés ou publics s’est aussi rapidement imposée ainsi que l’utilisation d’énergies renouvelables et peu polluantes. Si l’espace vert traditionnel a toujours sa place, la coupure entre nature d’un côté et ville bétonnée et goudronnée de l’autre a été repensée notamment du point de vue de la sauvegarde de la biodiversité. Le concept de zonage fonctionnel urbain a été en bonne partie abandonné et la mixité sociale s’est imposée comme une nécessité. Sur les grandes lignes il y a un accord pour faire évoluer les villes dans le sens défini par la Charte d’Aalborg en 1994 et par la conférence d’Istanbul Habitat II en 1996, notamment sur la plus grande participation des citoyens aux prises de décisions qui les concernent.

Pourtant, au-delà de l’unanimité des politiques de gauche et de droite de faire des villes durables, tout n’est pas parfait et il y a loin entre les belles déclarations et le réel. Le discours des experts de l’ONU est rentré en synergie avec le discours du libéralisme moderne qui se voulait aussi économe, mais surtout en équipement public et en salaires versés. L’emballage "démocratie participative" ne posant pas de problèmes pour les décideurs, car l’essentiel des normes qui peuvent s’avérer contraignantes ne se décident pas au niveau local. Un PLU ne peut pas, par exemple, imposer des normes d’isolation plus exigeantes que les normes nationales. De même le local a très peu d’emprise sur le tissu économique, il ne peut que jouer à la marge par quelques mesures incitatives. Même avec la meilleure volonté, le politique est tenté de valoriser les réalisations qui se voient, au détriment des actions discrètes et efficaces qui risquent d’être sans aucun bénéfice électoral. De toute manière les objectifs du développement durable sont tellement vastes que l’on peut toujours trouver une bonne raison pour justifier une action. Le mode d’emploi qui aiderait à faire les arbitrages nécessaires entre les différentes priorités n’est pas, loin de là, en place. Les indicateurs de base pour mesurer l’impact des actions suivant les différents axes n’existent que très rarement. La contradiction majeure serait de faire une ville "écologique", mais réservée aux bobos, avec un quota minimum de logement sociaux. Dans nos démocraties la limitation principale à la ville durable est dans les fortes inégalités sociales engendrées par le modèle économique. La question politique essentielle aujourd’hui est de rendre ce modèle réellement compatible avec les objectifs du développement durable.

Sur le terrain, les questions liées à la ville durable sont beaucoup plus concrètes. Jusqu’où faut-il pénaliser la voiture en ville (taxes, péages, restrictions des places de stationnement, ralentissement de la vitesse, etc...) ? Comment faut-il rédiger un PLU pour maitriser l’étalement urbain ? Que faut-il faire pour diminuer les déplacements en voiture individuelle ? Comment faut-il faire pour que les citoyens isolent leur habitat (subventions, prêts à taux zéro, aide au diagnostic, etc...) ? Comment faire de la construction écologique sans trop augmenter les coûts de construction, pour ne pas favoriser implicitement la sélection sociale ? Comment retrouver une mixité sociale perdue (quel est la bonne échelle dans la construction du logement social) ? Comment développer une ville verte (imposition de corridors écologiques, gestion différenciée des espaces verts, etc...) ? Comment intervenir dans la vie culturelle locale pour qu’elle soit accessible à tous ? Comment favoriser une agriculture vivrière biologique à proximité de l’habitat urbain ?..........etc.......etc....

La ville durable est un problème politique, car il faut faire des choix entre des intérêts contradictoires. Tous les citoyens peuvent participer à la ville durable. Il suffit d’agir "ici et maintenant" d’abord par des pratiques durables dans sa vie privé et ensuite en s’engageant dans la vie sociale. Les actions collectives devant s’inscrire dans la volonté de construire un intérêt général négocié, qui tout en se basant prioritairement sur l’intérêt de la communauté tiennent aussi compte de l’aspect global des problèmes, tant au niveau spatial que temporel.