Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  A gauche de la gauche

jeudi 22 mai 2003, par Daniel Borderies

A gauche de la gauche

C’est en entendant une nouvelle fois cette expression lors d’un café politique que j’ai eu envie de discuter de ce que cela voulait dire : être à gauche de la gauche.

Pour moi, on l’a déjà compris, cela ne veut rien dire. Etre à gauche ne signifie pas grand chose non plus : une position ? une posture ? Non, vraiment pas grand chose. Je dirait plutôt que je suis de gauche. De : je revendique une appartenance et pas une position sur un quelconque arc-en-ciel.

Je suis de gauche, par naissance dans une famille pauvre, paysanne, politisée, près des positions communistes (je me suis souvent rendu compte dans des discussions avec des exaltés de la politique, mais peu informés, que origine paysanne signifiait pour eux obscurantisme, droite : quelle méconnaissance de l’histoire des luttes, notamment celles des métayers des années 20 et 30 dans le Quercy, la Lomagne, de la résistance dans ces contrées, etc…).

Je suis de gauche par mon engagement militant depuis l’âge de 11 ans, dans les associations, les mouvements, les syndicats, les partis. Etre de gauche cela veut dire s’engager, donner de son temps, mettre en collectif, mettre en échec l’autonomisation, l’individualisme, l’égoïsme. Quand je dis que suis de gauche, que j’appartiens à la gauche, j’ai le sentiment d’appartenir au peuple de gauche, qui est constitué d’une mosaïque d’engagements, de comportements, de pensées qui cherchent à devenir majoritaires pour changer le monde, la société, la vie, ou tout ce que vous voudrez. En tout cas pour mettre un terme à la domination policière, patronale, à l’humiliation, au mépris, à l’exploitation, à l’injustice, à la misère.

Et c’est là en quelque sorte que les choses se corsent, entre ceux qui comme moi peuvent mener des débats et des discussions souvent acharnées sur les orientations à suivre, mais en restant dans cette obligation de la recherche ou du maintien de l’unité et ceux qui ont choisi comme ennemi principal le réformiste, le social-démocrate, le droitier. Le vieux débat réforme ou révolution a historiquement coûté cher à notre camp soit par ce qu’il a entraîné de dictatures quand les « révolutionnaires » l’ont emporté (remarquons que leur première action a été d’éliminer les réformistes, leurs alliés, puis leurs amis sur le slogan on se renforce en s’épurant, je suis plus à gauche que toi, tu es un droitier) soit quand les réformistes se sont engagés dans l’aventure du pouvoir avec ou sans la droite en tout cas contre la gauche ou tout au moins une partie, contre le peuple ou tout au moins une parti (voir par exemple la guerre d’Algérie). Je crois que cette dialectique réforme-révolution entraîne tous les sectarismes, toutes les positions de mauvaise foi, toutes les déclarations emberlificotées idéologiques, (les amateurs d’histoire auront sûrement plaisir à se replonger dans les débats des congrès des années 70-80 de la LCR, de Révo, de LO et de tant d’autres chapelles pour saisir le sens s’il en reste) tous les partis pris messianiques (parler au nom du prolétariat et s’en croire un clerc, si ce n’est un porte drapeau autorise toutes les outrances, tous les aveuglements).

L’histoire vient de montrer que les révolutionnaires, ou les autoproclamés tels, armés de théories qu’en général ils ne connaissent pas (quelle tristesse cela fut pour ceux qui lisaient et appréciaient les analyses de Karl Marx d’entendre défiler dans les amphis ou ailleurs tous ces pseudos marxistes qui n’avaient jamais dépassé la lecture de Travail salarié et capital) ne jouent pas un grand rôle ou alors tragique. Dans les événements de la politique française récente, j’ai encore entendu de ces auto-proclamés « plus à gauche que moi tu meurs » être satisfait des raffarinades : il semble que pour eux, plus dure sera la vie des gens, plus ils les rejoindront sur leur ligne « révolutionnaire ». Ils les appellent à résister, mais ils n’aideront pas les luttes à déboucher : négociation signifie pour eux trahison. Plus à gauche que tous, toujours dans la surenchère, ils sont pour le sacrifice généralisé. Demain, le ciel nous récompensera. Cette attitude religieuse est bien souvent en toile de fond de ces à gauche de la gauche.

On l’aura compris j’ai peu de goût pour les comportements religieux, pour les outrances sectaires. C’est pourquoi j’essaie de mon mieux de peser à gauche sur mon propre camp, que je connais, que je respecte, même si certaines analyses, certaines contagions libérales de la gauche, pour ne citer que cet exemple, me hérissent. C’est pourquoi je n’arrive pas à accepter que la gauche venant au pouvoir sacrifie les demandes populaires et les besoins à des considérations tactiques, pas plus que cet espèce de mépris du peuple qui pousse à la confiscation du débat politique, qui pousse les dirigeants à craindre la gauche et à tenter d’amadouer la droite. C’est pourquoi je cherche encore à comprendre pourquoi lorsque la gauche vient au pouvoir, nous sommes aussi si timorés.

La question dès lors est beaucoup plus simple : comment être à gauche, comment peser à gauche. Comment donner à la politique la place essentielle qu’elle mérite.

Daniel Borderies