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  Démocratie, éthique et politique internationale

jeudi 6 décembre 2007, par François Saint Pierre

Les Français sont des démocrates respectueux des droits humains. Pour la plupart ils sont convaincus que la politique internationale de la France se doit être au dessus du clivage droite/gauche et que le Président de la République, avec sa sensibilité personnelle, est en charge des intérêts économiques et stratégiques de la Nation. Certes notre nouveau Président est un peu plus atlantiste que le précédent mais à lire ses discours, la France va continuer à porter la bonne parole démocratique dans le monde entier, tout en maintenant son rang de grande puissance. Comme dans la tradition réaliste des Hobbes, Locke ou Tocqueville, la politique étrangère n’est toujours pas en France un enjeu démocratique. La diplomatie a, parait-il, besoin de personnel compétent et d’un minimum de secret, les médias ayant pour fonction essentielle de montrer le décorum des rencontres et d’annoncer fièrement le montant total des accords commerciaux signés. Les questions internationales sont d’après les élites dirigeantes d’une telle complexité qu’il est difficile d’informer correctement les citoyens et encore plus de les faire débattre. Le résultat négatif du dernier Référendum a été interprété par la classe politique comme l’incompréhension du bas peuple, qui n’avait pas compris ce texte trop sophistiqué pour lui ! Si la démocratie est souvent invoquée comme alibi pour justifier l’interventionnisme occidental, ni la gauche ni la droite ne semble décidés à opter pour étendre le principe de citoyenneté à la politique étrangère.

Le champ de l’éthique n’est pas celui de la politique, pour autant on conçoit que certains choix politiques problématiques puissent aussi être envisagés d’un point de vue éthique. Par exemple l’utilisation des tests ADN dans le contrôle de l’immigration a fait l’objet de l’avis N°100 du Comité Consultatif National d’Éthique, avis consultatif qui n’a d’ailleurs pas été suivi par le gouvernement. Si dans la politique nationale la réflexion éthique a trouvé une place non négligeable il n’en est pas de même en politique internationale. Le fait que nos choix nationaux peuvent avoir une influence néfaste dans certains pays pauvres est cependant rarement envisagé comme une question éthique.

Dans la réflexion éthique on trouve deux grandes tendances.
- Une vision conservatrice dans la grande lignée des traditions religieuses d’inspiration déontologique. Le bien et le mal sont des entités invariables qui ne doivent pas dépendre de l’air du temps ou des circonstances.
- Une vision plus moderne qui, tout en s’appuyant sur les droits de l’homme, fait bien plus appel aux conséquences des actes pour moduler ce qu’il est bien ou mal de faire.

Une dialectique existe entre ces deux pôles, ce qui alimente le débat public et permet de donner du sens à nos choix politiques. En politique internationale l’unanimisme, pour pleurer sur le non respect des droits de l’homme à Cuba, en Chine ou en Birmanie, masque l’absence totale de réflexion éthique. Ce manque de réflexion se traduit par une dépolitisation de la politique étrangère qui se résume dans les médias par la mise en scène des bons ou mauvais contacts de notre Président avec les grands de ce Monde.

La bonne conscience de nos démocraties s’appuie sur la réussite économique, cela nous permet de diriger le monde et de faire la morale à tous ceux qui n’ont pas su découvrir à temps les bienfaits du libéralisme. Il ne s’agit pas d’innocenter les dictateurs multiples qui parsèment la planète, mais de se poser quelques questions sur notre bonne conscience. Notre occident a fortement entamé la biodiversité, gaspillé le pétrole, pollué et réchauffé la planète. Nous avons regardé froidement l’Afrique s’enfoncer, sous le poids de la dette, dans la misère. Nous avons critiqué les Américains pour leur intervention stupide en IRAK, mais nous n’avons pas hurlé quand ils ont ouvert Guantanamo. Nous sommes allés leur donné un sérieux coup de main en Afghanistan, fermant les yeux sur le total non respect des droits de l’homme par les forces que nous soutenons militairement. Quand on annonce fièrement dans les médias 20 talibans tués... on sait bien que, une fois sur deux, la majorité des morts sont des femmes et des enfants, la guerre contre le terrorisme semble justifier les pires bavures. Combien de milliers de civils ont été tués dans des conflits où la France est présente soit directement soit indirectement à travers ses armes ou son soutien économique ? Les partis de gauche et le gouvernement ont tenu, sans s’appuyer sur des preuves consistantes, des propos guerriers contre l’Iran, au nom d’un traité de non prolifération que nous sommes les premiers à ne pas respecter, car nous refusons de baisser notre stocks d’armes nucléaires. Nous avons laissé l’épidémie de SIDA envahir l’Afrique et, au nom de la sacro sainte propriété intellectuelle, nous avons défendu, comme les autres pays riches, les intérêts de nos grands laboratoires pharmaceutiques plutôt que de soigner les pauvres du monde. Pas question de mettre en cause un système économique qui nous a si bien réussi, pour quelques pauvres et quelques malades...

La politique internationale peut-être pragmatique et il est normal de justifier certains choix discutables par des enjeux de long terme, mais l’éthique n’est actuellement dans la politique étrangère française qu’un alibi. L’interventionnisme de Bernard Kouchner n’est pas en soi critiquable, mais, contrairement aux apparences, il ne repose sur aucune base solide du point de vue moral. La gauche, quand le mur de Berlin est tombé, provoquant dans sa chute la fin du partage de Yalta, n’a pas su faire de la politique étrangère un enjeu démocratique et éthique. Si la France comme beaucoup de démocratie a un point aveugle, c’est bien en politique internationale.