Le Café Politique

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  Enjeux éducatifs

jeudi 20 septembre 2007, par Joseph Saint Pierre

Je pense que l’expression "Éducation Nationale" et la présentation du café risquent de ramener les enjeux éducatifs à ceux de la seule institution scolaire, de favoriser une vision interne au monde de l’éducation, enseignants, programme, organisation scolaire etc. et par ailleurs de donner une tonalité trop nationale à la question.

On évoque volontiers une crise de l’école, certains points apparemment scolaires me semblent relever d’une évolution plus globale de la société. L’école est un lieu fondé en partie sur la dissymétrie entre le maître et les élèves, le maître transmettant un savoir à ceux qui ne l’ont pas et qui doivent apprendre. Cette dissymétrie est perçue comme inégalitaire et parfois en conséquence de cela comme non démocratique. De manière schématique on pourrait dire que l’école souffre de la montée du relativisme culturel et de la négation des hiérarchies des savoirs, or d’après moi cela concerne toute la société. La sociologue Dominique Pasquier a étudié les cultures adolescentes, ce qui a un rapport direct avec l’éducation, je n’ai pas lu ses œuvres mais quelques extraits, commentaires et je l’ai écoutée, il me semble qu’elle a étudié la crise de la transmission et la montée des "pairs" au détriment des "pères", d’après elle les jeunes d’aujourd’hui passent beaucoup plus de temps que leur prédécesseurs avec les autres jeunes au détriment des relations avec des adultes. Cela est explicable par de nombreux facteurs "technologiques" mais aussi sociaux, il y a, depuis les années 1980 des radios de jeunes, faites pour les jeunes et où les jeunes interviennent (libre antenne), ces radios ne sont pas écoutées par l’immense majorité des adultes et les adolescents n’écoutent pas en général les radios d’adultes. Les téléphones portables, les messageries instantanées, les blogs sur Internet ont favorisé, les échanges entre jeunes même si ils restent dans leur domicile à proximité de leur famille.

L’historien François Hartog a nommé présentisme l’importance que le présent a dans notre société au détriment du passé et du futur, je pense que ce phénomène historique a un lien avec la crise de la transmission et donc un rapport avec le rôle de l’éducation. Les savoirs fondamentaux enseignés dans les écoles sont issus d’une histoire longue, que ce soit la langue ou le calcul (mathématique) et bien évidemment l’histoire, l’école avait pour rôle de détacher les élèves d’une certaine immédiateté, une des caractéristiques du présentisme est de s’intéresser au monde tel qu’il est et non tel qu’il fut, tel qu’il pourrait être, tel qu’il sera. D’un point de vue linguistique cela entraîne une prédominance du mode indicatif et de l’impératif et un relatif abandon des modes conditionnel et subjonctif, le passé simple tend aussi à disparaître dans l’usage. Ces évolutions linguistes concernent l’ensemble de la société et ont une influence sur la façon dont sont perçus par les élèves les enseignements de la grammaire mais pas seulement.

Je pense qu’il est possible de trouver des liens entre le présentisme et ce que les situationnistes appelaient dans les années 60 la société du spectacle. Je pense que les critiques des situationnistes sur la société du spectacle garde une certaine actualité. Il me semble que l’importance du spectacle a un lien avec la situation de l’éducation, le spectacle privilégie en général l’image au détriment de l’écrit. Si la société devient spectaculaire il me semble plus difficile d’extraire les enfants et les adolescents de l’image et de les amener à des formes plus abstraites et moins immédiatement accessibles. La pression du spectacle, de l’image est sensible dans mon domaine professionnel, les ordinateurs qui se nommaient naguère des calculateurs et servaient presque exclusivement à faire des calculs sont devenus majoritairement des outils multimédia. Anecdotiquement la trajectoire de deux hommes politiques toulousains me semble symbolique de cette évolution. Raymond Badiou fut maire de la ville entre 1944 et 1958, il était ancien élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de mathématiques et a enseigné les mathématiques dans le lycée de garçons de Toulouse, en classes préparatoires (mathématiques supérieures), en 1957 en tant que maire il a demandé que ce lycée prenne le nom du savant Pierre de Fermat (juriste et mathématicien), en 1958 Raymond Badiou a démissionné et repris l’enseignement des mathématiques en classe de mathématiques supérieures à près de 55 ans dans le lycée Pierre de Fermat. Dominique Baudis a été maire de la ville de 1983 à 2000, avant d’être maire il était journaliste et il a abandonné son mandat pour devenir directeur du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Les liens entre la politique et l’audiovisuel sont très importants mais, l’importance de l’audiovisuel me semble dépasser ses rapports avec le pouvoir.

Un autre domaine me semble très important dans la société de par les liens avec l’éducation et l’école, et aussi le spectacle il s’agit du sport. Il est difficile d’aborder rapidement un tel sujet qui mériterait sans doute un débat à lui tout seul pour un café qui se tient dans l’enceinte d’un stade. Le sport de notre époque a des origines anciennes mais l’ampleur et les divers rôles, économique, juridique, social, spectaculaire du sport actuel différent du sport antique. Le sport est présent dans le système éducatif et influence l’ensemble de ce système. Je pense que l’importance croissante du sport réduit celles des disciplines plus traditionnelles, plus intellectuelles, je n’ai pas étudié les réformes françaises en cours mais il me semble que le sport est moins touché que les autres disciplines par les réductions d’effectifs d’enseignants. De manière plus anecdotique j’ai l’impression que le personnel politique français accorde une grande importance à l’activité sportive et aux spectacles sportifs. Les sportifs ont un rôle important dans la société et cela semble mondial, en France les personnages les plus populaires sont soit des artistes, soit des sportifs, et parfois les deux comme Yannick Noah :-). Dans les palmarès de popularité les artistes du spectacle et les sportifs ont supplanté des vulgarisateurs "scientifiques" ou méta scientifiques tels que Jacques Cousteau ou Haroun Tazieff dont les interventions me semblaient avoir une volonté pédagogique, éducative.

Je pense que le rôle essentiel de l’école tend à éclipser le rôle de quelques autres institutions dans l’éducation. Les musées et même les jardins publics où les zoos ont eu une certaine importance dans la diffusion des savoirs auprès de l’ensemble de la population, essentiellement dans les villes. Ce rôle n’a pas complètement disparu la rénovation du Muséum d’Histoire Naturelle, dont l’ouverture devrait avoir lieu avant la fin de 2007, a été menée avec un objectif éducatif, le Jardin des Plantes devant affirmer sa vocation pédagogique, la Cité de l’Espace a elle aussi un rôle éducatif. Je constate depuis environ quinze une augmentation du nombre de conférences dont la valeur éducative me semble réelle, depuis les années 1990 un certain nombre de cafés de discussion ont ouvert, comme le Café Politique, la plupart de ces cafés parlent de sujets "scolaires", philosophie, géographie, langues, histoire, sciences etc... Plus récemment j’ai constaté que la ville de Toulouse avait multiplié les plaques explicatives, historiques à valeur pédagogique. Par ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, il existe sur Internet des forums de discussion, des listes de distribution, des blogs, des pages web, dont la valeur éducative me semble réelle. L’encyclopédie wikipedia est souvent décriée pour son manque de sérieux mais à mon avis elle contient de très nombreuses informations riches et pertinentes et qui ont, toujours à mon avis, un intérêt éducatif. Pour certains l’école semble être un lieu où sont délivrées des vérités absolues non contestables, cette vision me paraît simplificatrice, il est parfois plus instructif de lire un dictionnaire, une encyclopédie y compris sur Internet que certains manuel ou cours.

L’école me semble être essentielle dans l’histoire de la république française et plus particulièrement de la troisième république en raison d’un personnage comme Jules Ferry et surtout des lois de 1881-1882, portant son nom, instituant l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire. Tout en reconnaissant les mérites de l’école républicaine je pense qu’il est possible d’émettre quelques critiques. L’école obligatoire a contribué à généraliser le français sur le territoire national et a participé à une attaque contre des langues minoritaires, désignées de manière péjorative sous le terme de patois. Je pense par exemple qu’il était inutile de diminuer la connaissance et la pratique de la langue d’Oc pour accroitre l’instruction des populations méridionales. Par ailleurs je pense que l’éducation que j’ai reçue dans l’école française n’était pas, assez ouverte sur le reste du monde. En littérature des auteurs comme Shakespeare, Cervantès, Goethe, Dante étaient quasiment absents, l’histoire me semblait trop nettement centrée sur la France et la présentation des sciences était aussi beaucoup trop centrée sur les aspects dus à des français, avec parfois des attributions de résultats tendancieuses pour valoriser un français (Laplace ou D’Alembert) plutôt qu’un allemand (Gauss). Tous les pays européens ont eu tendance à survaloriser les résultats de leurs propres savants et de leur propre littérature, je pense notamment aux britanniques et l’importance presque exclusive de Shakespeare ou Newton. Je suis particulièrement attaché à une conception universaliste de l’éducation et je suis très inquiet face à un retour d’une école républicaine fondée sur un retour de la nation si cela entraîne une restriction de la connaissance.

De manière similaire je suis très inquiet face à un un éventuel retour de l’autorité ou plutôt de l’autoritarisme, je pense que l’autorité du maître, du professeur doit découler de son savoir, de ses connaissances et de sa capacité à les transmettre et non de sa seule position hiérarchique.

En conclusion je suis favorable à l’accroissement des connaissances chez le maximum d’individus, cependant je suis d’accord avec le célèbre précepte de Montaigne, une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine. Je pense que dans l’éducation il faut accorder une place au doute, à l’incertitude (déformation de probabiliste ?), à la remise en cause des acquis. Surtout je pense que la démarche éducative ne doit pas se limiter à l’école, ce petit message peut être considéré avec quelques efforts comme ayant un rapport avec une démarche éducative ;-).