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  A quand un débat serein sur l’immigration ?

vendredi 22 septembre 2006, par François-Xavier Barandiaran

En cette fin d’été, où chacun d’entre nous a repris ses activités ordinaires, des masses d’hommes et de femmes essaient de traverser la mer pour mettre un pied en Europe (par centaines, en accostant sur l’île italienne de Lampedusa ou en traversant le détroit de Gibraltar et, par milliers, en parcourant dans des rafiots misérables la distance qui sépare la côte occidentale de l’Afrique des îles Canaries). Tel est l’attrait de nos richesses sur des millions d’habitants des pays pauvres à qui il manque les biens élémentaires de nourriture, de santé ou d’éducation et qui sont prêts à risquer leur vie pour bénéficier des miettes de notre confort. Problème complexe et difficile auquel l’Europe est incapable d’esquisser une réponse collective. C’est d’autant plus regrettable que dans les lustres à venir cet assaut lancé aux frontières des anciens pays colonisateurs restera d’actualité et que, vu les courbes démographiques, l’Europe, perdant des millions d’habitants, aura besoin de main-d’œuvre pour maintenir son niveau de production et de richesse. Actuellement, dans plusieurs pays, les vents poussent vers le durcissement des conditions d’émigration et vers les quotas sélectifs. Mais, dans cette cacophonie européenne les sons les plus discordants proviennent du gouvernement français et de la prétention de N. Sarkozy d’obtenir « une émigration choisie ». A l’heure où, après les émeutes des banlieues en novembre dernier, il est apparu que le problème crucial pour la France face aux immigrés était celui de l’intégration, l’obsession de Sarkozy est d’augmenter le nombre d’expulsés (il est passé de 10.000 à 25.000 en 2005) et de rendre de plus en plus difficile le séjour des étrangers en France : fin de l’obtention de la carte de séjour après dix ans de résidence sur le territoire national, entraves concernant le regroupement familial ou le mariage entre un immigré résidant légalement en France et un étranger vivant dans un autre pays, conditions accrues pour obtenir la nationalité, etc..

En fait, la loi CESEDA est devenue une machine répressive qui fait fi des droits fondamentaux, comme le droit d’asile, le droit de vivre en famille ou le droit des enfants à être scolarisés. Au lieu d’intégrer des milliers d’immigrés clandestins, qui vivent et travaillent en France (au noir pour le grand bénéfice des patrons du textile, de l’agriculture, de la restauration ou du bâtiment), elle augmente la catégorie des « sans-papiers » non expulsables et non régularisables. Devant tant de cynisme et d’injustice, un mouvement social est né, quand des enseignants et des parents ont découvert que des enfants disparaissaient des écoles du jour au lendemain. Par le biais des enfants scolarisés- de la maternelle à l’université-, des français, parfois au-delà de leurs options politiques, prenaient conscience des souffrances des personnes sans papiers « condamnées au dénuement et aux conditions de vie indignes », selon la Charte du RESF, qui dénonce « le drame de la privation du droit à une existence décente, l’obsession de l’interpellation, la peur d’une expulsion pratiquée dans des conditions souvent honteuses, l’angoisse d’un avenir bouché par la privation du droit(….) de travailler,d’avoir un logement, de bénéficier de la sécurité sociale ». Ainsi est né, en juin 2004, le Réseau Education sans frontières. Depuis le printemps dernier la mobilisation reste importante, soutenue par des parents d’élèves et des professeurs, mais aussi par des associations, des élus municipaux et d’hommes politiques de gauche, qui dans un sursaut d’humanité républicaine vont jusqu’à contrevenir à la loi, en promouvant des parrainages et des mises au secret des personnes menacées d’expulsion. Tant et si bien que N.Sarkozy a été obligé de faire machine arrière en publiant la circulaire du 13 juin, donnant un délai de deux mois pour le dépôt des dossiers en préfecture. Malheureusement, dans le plus grand arbitraire, il décidait a priori qu’il n’y aurait que 6000 (en fait, près de 7000) familles régularisées sur les 30.000 dossiers présentés. Il fallait bien pour son image de présidentiable montrer un peu d’équité et d’humanisme face au déchaînement de l’extrême droite de le Pen et de la droite extrême de de Villiers. Bien sûr, en contrepartie et pour soigner son électorat, il a provoqué la dislocation du squat de Cachan !

A ce concert de protestations une cinquantaine de mouvements chrétiens et même la hiérarchie des Eglises, protestante, orthodoxe et catholique, ont prêté leur voix. L’événement est assez remarquable pour être signalé, alors que, lors de la première loi Sarkozy en 2003, ils ne s’étaient pas manifestés aussi massivement et officiellement. « Ce sont les valeurs de dignité de la personne humaine qui sont en jeu » pour ces croyants qui trouvent « les nouvelles dispositions législatives extrêmement inquiétantes, car elles rentrent en conflit avec les valeurs chrétiennes ». La défense du faible : l’orphelin la veuve et l’étranger, n’est-il pas un thème récurrent dans la Bible ? « Qu’on ne maltraite pas l’étranger et qu’on ne l’afflige pas, parce que vous-mêmes étiez des étrangers en pays d’Egypte » (Ex 22,20) ou encore « Vous aimerez donc l’immigré : en terre d’Egypte n’étiez pas vous-mêmes immigrés ? » (Deut 10,18)

Ce rappel du passé devrait trouver un écho dans la société française d’aujourd’hui : n’affirme-t-on pas, selon toutes les études sociologiques, que plus d’un français sur trois, s’il remonte dans son arbre généalogique, trouve des racines étrangères ? Pourtant, force est de constater que les enquêtes récentes d’opinion montrent une augmentation et une banalisation du racisme en France autour de la trilogie : étranger = chômage = insécurité. On sait que dans toutes les sociétés en crise –angoisse économique et inquiétude sociale- la figure du bouc émissaire joue un rôle primordial. C’est pour cela qu’il est inadmissible que des hommes politiques jettent de l’huile sur le feu. Mais la gauche aussi a une responsabilité depuis 25 ans dans l’instrumentalisation de la question de l’immigration. Au-delà du problème immédiat : faut-il procéder à une régularisation massive des clandestins actuels (comme les 110.000, après la victoire de Mitterrand, en 1982 ou les 100.000 de 1997, Chevènement étant ministre de l’intérieur), les partis de gauche doivent contribuer à la mise en place d’un grand débat national sur la place des immigrés. Dans la sérénité, l’objectivité et la complexité du sujet. Notamment en faisant des propositions alternatives. Mais, dans la période de la campagne électorale qui s’ouvre, n’allons-nous pas, encore une fois, escamoter le débat ? Celui-ci devrait passer avant tout par un constat de la réalité des chiffres, en bravant le principe républicain qui interdit les statistiques ethniques, pour couper court aux fantasmes de l’extrême droite qui annonce pour les décades à venir que les musulmans seront majoritaires en France.

Un autre fantasme auquel il faut faire la peau est celui du communautarisme, alors que, comme le montre l’étude des politologues du Cevipof, S.Brouard et V.Tiberj, Français comme les autres, l’immense majorité des immigrés se sont intégrés en France. Et ceux de la deuxième et troisième génération, que certains décrivent comme inassimilables, en fait se révoltent contre les discriminations dont ils sont victimes, alors qu’ils souhaitent être traités comme les autres français. N’en déplaise à Sarkozy et à tous ceux qui arborent l’épouvantail des immigrés, « le problème n’est pas de contenir les flux, mais d’intégrer des générations nées en France », comme l’affirme le directeur de l’INED. En trente ans le nombre d’étrangers en France à diminué, passant de 3,44 millions en 1975 à 3,3 millions en 2005.

Une autre idée reçue : les immigrés viennent manger le pain des français et profiter de notre système social. En remontant jusqu’aux milliers de soldats des anciennes colonies « morts pour la France » (bravo au film « Indigènes », qui a su si bien nous le rappeler), on a une dette de reconnaissance au rôle économique, social et culturel que les immigrés ont joué dans la richesse de la France, et qu’ils sont appelés nécessairement à poursuivre dans un avenir proche et moyen. N’oublions pas que la droite a feint d’ignorer pendant longtemps la place de l’immigration dans l’économie nationale

Bien sûr ! La France et l’Europe ont à faire face à une poussée massive de gens des pays pauvres, -majoritairement de nos anciennes colonies-. Et, de ce côté-là, une nouveauté est à remarquer : c’est que tous nos politiques, de toutes les tendances, ont découvert récemment la solution au problème : c’est le co-développement et l’aide à ces pays pour que les gens ne soient pas attirés par les sirènes des pays riches. Eureka ! L’idée est géniale ! Malheureusement on reste perplexe devant un tel consensus sur une solution, qu’on ne peut qu’applaudir à moyen et long terme, quand on sait le peu d’effort réalisé par les pays riches et, surtout, la tromperie de cette aide qui sert, surtout et avant tout, à maintenir au pouvoir des dictateurs et des clans corrompus et à enrichir une bourgeoisie compradore qui sert d’interface à l’exploitation de ces pays par les multinationales.

Nous souhaitons un débat serein sur l’immigration. Pour ce faire, quelques prémisses sont irréfragables :

1. Sortir de l’attitude utilitariste, en considérant les immigrés comme des personnes, sujets de droit. En finir avec la vision capitaliste de l’immigration comme une marchandise, comme un vivier de main d’œuvre, où les pays riches vont piocher la quantité et la qualité nécessaires à leur développement. On se sert de l’immigré comme d’un apport économique temporaire, qu’on jette quand on n’en a plus besoin ! 2 A l’inverse de la mentalité de Sarkozy, qui voit l’immigré, comme un mal « subi », s’ouvrir au monde et aux migrations. Les libéraux sont d’accord avec une globalisation qui permet aux capitaux, aux technologies et aux marchandises de transcender les frontières, mais pas aux personnes. Il nous faut nous situer dans un rapport économique global et dans une perspective historique à l’égard de nos anciennes colonies. C’est alors que le co-développement et la coopération renforcée avec ces pays avec lesquels la France est liée par l’histoire prendront tout leur sens. 3 Dissocier la question de l’immigration de celle du droit d’asile, pour que la France qui a accueilli par le passé tant d’hommes et des femmes, dont la vie ou la liberté étaient en danger, en finisse avec sa position actuelle qui la classe bien derrière d’autres pays en ce qui concerne l’octroi du droit d’asile. 4 Coordonner la réponse aux problèmes de l’immigration au niveau de l’Europe.

Je ne sais pas si pendant la campagne électorale on abordera la question de l’immigration, mais ce qui est sûr, c’est que tôt ou tard il faudra traiter le cas des dizaines de milliers des déboutés du droit d’asile, des clandestins qui s’infiltrent à travers les frontières poreuses de l’Europe et de cette catégorie des « sans-papiers » créée par les lois mêmes de la république, parce qu’ils sont non expulsables et non régularisables.