Le Café Politique

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  Par l’eau et par le feu

mercredi 21 septembre 2005, par François-Xavier Barandiaran

Selon un organisme de sondage nord-américain l’image des U.S.A. dans le monde (sans parler, évidemment, du monde arabo-musulman) n’a jamais été aussi négative. Cela ne peut surprendre après le comportement militaro-impérialiste en Irak, le scandale des prisons de Guantanamo et d’Abou Ghraib, le soutien inconditionnel à la politique israélienne et le chaos total dans lequel s’enfonce l’Irak. C’était avant le cyclone Katrina ! A n’en pas douter, ce que le monde -et une bonne partie de la presse et de l’opinion publique des États-unis- a découvert sur le fonctionnement de cette société, après ce cataclysme météorologique, ne devrait pas contribuer à en faire un modèle universel. Personne ne peut rester indifférent à la dévastation provoquée dans trois états, dont la surface équivaut à la moitié de la France, à l’évacuation de centaines de milliers de personnes ou à la désolation de la Nouvelle Orléans. Mais, au-delà de l’empathie et de la compassion, ce que nous pouvons tenter c’est d’en faire une analyse politique. Ainsi on peut s’interroger sur l’absence d’élan populaire international et des ONG, comme celui suscité par le tsunami, bien que tous les gouvernements (y compris ceux des pays les plus pauvres ou les ennemis politiques) aient proposé leur aide. C’est très paradoxal : comment imaginer que le pays le plus puissant de la planète allait se trouver démuni devant une telle catastrophe ? L’ouragan Katrina a mis en évidence où mène le dépérissement de l’État -rêve majeur de tous les néolibéraux-, qui n’a pas fait, en amont, la consolidation des digues qui devaient protéger la Nouvelle-Orléans, malgré les rapports alarmants des experts depuis quelques années, et qui, en aval du sinistre, a laissé abandonnées à leur triste sort des dizaines de milliers de personnes pendant près d’une semaine. Au-delà de la mésentente entre les autorités locales et les fédérales, c’est l’incroyable incapacité de l’agence fédérale chargée des secours à faire face à la situation. Il est vrai qu’en deux ans elle avait vu ses moyens réduits de moitié ! Cela est d’autant moins étonnant dans un pays qui érige l’individualisme en norme suprême et renvoie l’aide sociale à la « compassion » et à « l’action charitable ». Si on y ajoute que depuis le 11 septembre on a détourné vers la lutte contre le terrorisme beaucoup de moyens, on comprend pourquoi, pendant les premiers jours après Katrina, les gens qui attendaient les secours ont continué à mourir par manque d’eau, de vivres et de soins. Par ailleurs, que penser des autorités locales (démocrates) qui ont donné l’ordre d’évacuation sans penser aux dizaines de milliers d’habitants qui n’avaient ni voiture, ni argent, ni endroit où se réfugier ? Pourtant, elles savaient que dans cette agglomération de plus d’un million d’habitants 30% vivent en dessous du seuil de pauvreté. Un des premiers effets de l’ouragan, cela aura été de mettre à nu la ségrégation sociale, que le citoyen moyen s’évertue à ne pas voir en temps normal, doublée d’une ségrégation raciale : la plupart des victimes étaient pauvres et noires ! Le pasteur Jesse Jackson a parlé d’images dignes « de la cale d’un bateau au temps de l’esclavage » Rappelons que le nombre de pauvres (40 millions) est en hausse depuis que Bush est président et que 45 millions d’américains n’ont pas d’assurance ni de couverture médicale.

Si en France et en Europe nombreux sont ceux (y compris dans les partis politiques) qui voient un modèle à imiter dans la société nord-américaine, qu’ils tirent les leçons des failles dans la trame sociale, des pillages par des bandes armées organisées, des scènes de guérilla urbaine, d’une police en débandade… Et quand, enfin, l’État intervient, il le fait -comme à Bagdad- en envoyant en masse 50.000 soldats lourdement armés pour reprendre le contrôle de la situation, alors que les secouristes et les médecins brillent par leur absence. Il est vrai qu’après l’humiliation du pays le plus puissant de la planète, on y assiste à un grand examen de conscience : beaucoup d’américains sont consternés devant la vulnérabilité de leur pays, devant l’étalage criant des inégalités et de la misère dans la société la plus riche du monde. Les médias sont très critiques à l’égard des autorités de tout bord et … même Bush a fait son mea culpa. Un journaliste du Time Magazine, cité par Le Monde, a écrit : « après avoir célébré à l’excès notre individualisme pendant un demi-siècle, nous devrions maintenant faire attention au bien commun ». Est-ce que, pour autant, ils vont jusqu’à mettre en question le système, le « rêve américain » ? En tout cas, pour nous cet événement doit nous faire réfléchir sur les choix politiques à faire pour ne pas tomber dans les travers extrêmes du modèle américain. Il est temps de déciller les yeux de ceux qui rêvent de « l’american way of life »

Les deux incendies de Paris, au mois d’août, qui ont fait périr une quarantaine d’enfants et d’adultes, devraient nous y aider. Là aussi, les victimes étaient pauvres et noires. Là aussi, les deux sinistres ont jeté une lumière crue sur les failles de notre société qui ne veut pas voir la misère : voilà un pays qui manque cruellement de logements sociaux depuis des lustres et où le nombre des mal logés augmente. Parmi tous les chiffres publiés ces temps derniers prenons ceux du rapport de la fondation abbé Pierre pour 2002 : 3 millions de personnes mal logées, dont ½ million en habitat temporaire et 2 millions dépourvus de confort sanitaire. On estime à 800.000 le nombre de SDF. Ou encore ce chiffre : en 2004 1,3 millions de ménages attendent l’attribution d’une HLM, alors que seulement 74.000 ont été financées ! Les moyens ne manquent pas. Comme l’écrit L.Maurin, directeur de l’observatoire des inégalités : « de 2000 à 2005 notre pays a cédé aux plus aisés 50 milliards d’euros en baisse d’impôts. Imagine-t-on le nombre de taudis qui auraient pu être rebâtis avec cette somme » ?

Hypocrisie collective su système. Depuis 30 ans les divers gouvernements ont été en dessous de leur devoir, à savoir, propulser une campagne nationale pour permettre à tous de jouir de ce droit fondamental qu’est d’avoir un logement décent, incapables d’appliquer les lois de réquisition des logements vacants ou la loi SRU qui oblige les communes importantes à construire au moins 20% de logements sociaux. Ce n’est pas d’expulsions des logements insalubres qu’on a besoin, mais d’un effort national immense pour éradiquer cette tare de notre société. Passée la première émotion après les incendies, il faudrait une forte pression de l’opinion publique sur les gouvernements de quelque couleur qu’ils soient. Mais, n’est-ce pas rêver, quand on connaît la répugnance d’une majorité de français bien assis à permettre que des logements sociaux soient construits dans les quartiers et les communes de ceux qui ont réussi ? Notre société devient de plus en plus ségrégationniste, comme le prouve l’enquête d’Eric Maurin « Le ghetto français » SEUIL « La ségrégation n’est pas l’affaire de quelques marges de la société (les fameux quartiers !), mais le résultat des tensions qui la traversent de part en part »…. « les familles aisées fuient les familles des classes moyennes supérieures et (celles-ci) fuient les classes moyennes inférieures » Ainsi chaque couche sociale refuse de se mélanger avec celle qui se trouve en dessous. La lecture de ce petit livre est très éclairante pour comprendre la segmentation de notre société.

Dans le rapport, depuis le commencement de l’histoire humaine, entre culture et nature, entre l’homme et ses « créations », il est clair que ce ne sont pas les forces de la nature qui constituent le plus grand danger pour l’avenir de l’Humanité.