Le Café Politique

Parce que le citoyen doit penser pour être libre !
  • Article

  La sauvegarde de la dignité

mardi 17 novembre 2020, par Stuart Walker

Les ressorts religieux ont toujours joué un rôle dans le tabou qui entrave une approche humaniste à l’euthanasie. Les anciens nous ont légué le serment d’Hippocrate. Les 10 commandements bibliques interdisent de tuer. La vie est considérée comme sacrée. Une maladie n’est pas incurable, parce qu’un miracle est toujours possible.

Un autre précepte religieux « agis envers autrui comme tu voudrais qu’il agisse envers toi-même » semble avoir moins d’emprise. Dans son livre « Changer la Mort » publié en 1977, Léon Schwartzenberg assimilait au sadisme l’idée que la souffrance était rédemptrice.

Depuis cette époque on a beaucoup avancé vers la dépénalisation, avec les lois Léonetti et Léonetti-Claeys. Mais des cas comme celui de Vincent Lambert montrent qu’il reste du chemin à faire.

Le premier écueil est la nécessité d’un pronostic vitale de quelques jours. (En Nouvelle Zélande il sera probablement de 6 mois.) Ce qui peut interdire au médecin d’intervenir, même si ce qui reste de vie du patient risque d’être prolongée indéfiniment. Un reliquat de vie douloureux ou décérébré , et dans les deux cas d’une indignité affligeante.

Il existe déjà la précaution d’une lettre de volonté anticipée. Mais sa composition, surtout si elle doit traiter de points juridiques, n’est pas à la portée de tout le monde. Un progrès serait la mise à disposition un modèle téléchargeable, qu’il suffirait de remplir, et qui ne serait pas opposable par la famille, puisque, dans ce dernier cas, même un courrier adressé par le patient au Président, peut rester sans effet.

Un des défauts majeurs de la situation actuelle est le critère de l’argent. Avant la loi Veil sur l’IVG, celle qui cherchait une solution médicalisée devait se rendre à l’étranger. De même une fin de vie rationnelle et choisie dans les meilleures conditions aujourd’hui n’est accessible qu’à ceux qui ont les moyens de s’offrir les services d’une clinique privée en Suisse ou aux Pays Bas.

On ne manquera pas de soulever l’objection du risque de l’eugénie. Ce serait une exagération. Toute innovation comporte un potentiel pervers. Ce n’est pas l’abus de la liberté d’expression, notamment à travers les média sociaux, qui doit nous obliger à l’abolir. Elle a plutôt besoin d’être encadrée. Le prix de la liberté est la vigilance. Les médecins sont loin d’avoir le pouvoir absolu d’autrefois. Les décisions de la vie et la mort doivent être prudentes et collégiales, et les irrégularités poursuivies par la loi.

On peut comprendre que, s’il y a blocage actuellement, c’est que l’administration a d’autres préoccupations – les crises sanitaires, économiques et sociales, climatiques, sécuritaires …. Elle a des raisons de ne pas se lancer dans un sujet potentiellement clivant, qu’elle peut ne pas considérer comme prioritaire.

Les conditions n’étaient pas les mêmes lors de la dernière réforme sociétale, le Mariage pour Tous. Elle était portée par une figure politique emblématique, mais a quand même donné lieu à d’importantes manifestations. La meilleure solution n’est pas toujours d’empiler les lois, sans les moyens de les faire appliquer.

L’opinion publique a l’air d’évoluer. Les pratiques aussi. Il est probable que, dans certains cas, les systèmes d’alimentation sont discrètement débranchés quand leur utilité est manifestement inutile. Il doit exister également des cas ou la survie d’un nouveau-né n’est pas maintenue s’il est victime de malformations qui rendraient sa vie un calvaire.

Ce débat peut être élargie aux critères d’une vie valable. Sans être complotiste, Bernard Henry-Lévy s’insurge contre l’idée que sauver nos vies est un impératif catégorique. Déjà pendant son premier mandat Tony Blair demandait si la Sécurité sociale anglaise pourraient survivre dans un monde où il y avait des traitements de cancers qui coutaient plusieurs milliers de livres par dose. Il parlait du besoin de penser l’impensable

Les équipes de sauveteurs qui interviennent lors de catastrophes naturelles apprennent à distinguer entre les victimes qu’ils peuvent sauver, et ceux qui sont trop gravement atteints

L’économiste Patrick Artus a officieusement calculé le prix de la vie dans le contexte actuel à 6 millions d’Euros, en divisant la perte du PIB par le nombre de vies sauvées. C’est une observation qui peut choquer, mais qui n’est pas sans fondement. Certaines personnes actuellement en réanimation auraient pu se demander si ces 6 millions n’auraient pas été mieux dépensés autrement. Au fond, est ce que la durée de vie a plus d’importance que sa qualité ?