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  Une souveraineté, pour quoi faire ?

mercredi 3 avril 2019, par Stuart Walker

La souveraineté se définit comme l’exercice d’un pouvoir suprême. Il y a longtemps que l’homme a cédé une partie de sa capacité d’agir uniquement selon son gré en retour de la protection par une administration. La solution d’un pouvoir suprême individuelle a donné lieu aux monarques du Moyen Age, et plus tard aux grands dictateurs du XXème siècle. Ceux-ci prétendaient incarner la volonté populaire, tout comme le font aujourd’hui un Bolsonaro, un Maduro ou un Poutin.

Après des siècles d’expérimentation, les pays occidentaux ont évolué vers l’état de droit. Nous avons en France plus de 10,000 lois , et plus de 70,000 avocats, un corps de juges d’instruction, une Cour de Cassation, un Conseil Constitutionnel, et un Conseil d’État, pour veiller à leur juste application. On pourrait ajouter le Sénat, 4 grands syndicats, une presse multiple et indépendante et un faisceau d’élections nationales et locales. On a répondu à la question « Qui garde les gardiens ? » par un équilibre entre les intérêts collectifs des différents composants de la société.

Il existe certainement des défaillances, mais c’est un régime infiniment préférable à un quelconque dictature du prolétariat, formule qui, malgré l’idéalisme qu’il comporte, n’a jamais fait ses preuves. La condition ouvrière a d’ailleurs été transformé du tout au tout depuis l’époque de Marx et Zola. Même ceux qui occupent les emplois les plus ubérisés, peuvent bénéficier de la CMU, la formation professionnelle, l’assistance judiciaire gratuite, les aides familiales...

L’article de la constitution concernant un gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple vient de Périclès. Mais la démocratie athénienne de son époque excluait femmes et esclaves. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne qualifiait cet article de « pompeux » et « irréel ». Des auteurs comme Montesquieu ou Tocqueville étaient très réservés sur la domination des affaires d’État par la seule classe ouvrière, qui pourrait manquer de la sagesse et les connaissances nécessaires.

C’est par son acharnement à respecter la volonté du peuple exprimée par un référendum que Theresa May a plongé la Grande Bretagne dans un imbroglio qui a paralysé son gouvernement depuis plus de deux ans , et qui pourrait faire éclater le royaume et ramener les hostilités en Irlande . Les avantages économiques de l’appartenance à l’UE, étaient un facteur déterminant qui avait pu mettre fin à 400 ans d’hostilités entre Protestants et Catholiques

Une des plus grandes tentatives d’établir un Parlement égalitaire était celle des Puritains à la suite de leur victoire dans la guerre civile anglaise. Ils étaient si divisés entre eux que leur général, Oliver Cromwell, a du prendre le pouvoir. Comparaison n’est pas raison, mais l’euphorie qui règne en Algérie ne peut que rappeler les débuts du Printemps Arabe. Si les manifestants n’acceptent pas un relais intégrant des cadres du régime sortant, ils risquent de retomber sous la férule d’un nouvel homme fort.

Ce n’est pas parce qu’elle a été élue que LREM approuve notre système parlementaire. Emmanuel Macron ne l’a pas contesté lors de sa campagne. Les manifestations des gilets jaunes s’inscrivent dans la foulée des mouvements « Occupy Wall Street » ou les « Nuits Debout’. Ils ont mis sous les projecteurs un manque de consultation et un creusement inacceptable ds inégalités. Il y a eu une réaction positive à leurs premiers revendications avec une enveloppe de 10 milliards d’euros de mesures sociales et un élan de sympathie publique.

Seulement ils n’ont pas réussi à transformer l’essai. Les prises de position sont devenus progressivement plus exigeantes et contradictoires. Dire que « il n’y a que la casse qui paie » ne peut être que contre-productif. Les coûts en perte d’activité commerciale, en dégâts humains et matériels et la dégradation de l’image de marque du pays deviennent préoccupants, Les taux de participation et de sympathie sont sur une pente descendante.

Ils ont surtout refusé la représentativité, sans laquelle la politique ne peut fonctionner. Aucun chef de file capable de créer un mouvement cohérent et pérenne, et de jouer un rôle d’interlocuteur, n’a émergé. Le désir d’écoute sonne creux de la part de ceux qui ont refusé de participer au grand débat. L’occasion de combler un vide politique à gauche de l’échiquier n’a pas été saisi, les quelques tentatives de créer une liste pour les européennes ayant été conspuées et réduites à néant. Si la démocratie est le pouvoir du peuple, sans pouvoir, il n’y a pas de démocratie.

Les synthèses des propositions résultant du grand débat donneront certainement lieu à des mesures qui iront dans le sens des demandes majoritaires, telles que un nouvelle décentralisation, des rectifications fiscales, des mécanismes de consultation et d’autonomie locale... L’essentiel du message est de donner un sens à une société qui risque de devenir celle de « la liberté, l’inégalité et la compétitivité » Un grand nombre de manifestants seront déçus, mais il faut du temps pour des changements réels de porter leurs fruits. Il est surtout inimaginable de continuer à croire qu’un Président aussi réactif et impliqué agit uniquement pour le compte d’une oligarchie de privilégiés .

Entre la souveraineté nationale et celle de l’Europe, c’est cette dernière qui est clairement le meilleur choix. Tout comme l’individu a cédé une partie de sa libre arbitre en retour de protections, il en est de même pour les états-nations. On ne sait pas ou s’arrêtera la poussée de la fièvre nationaliste. Le repli sur soi, la transformation de frontières en murs, la désignation de boucs émissaires, les sentiments de peur et de haine... risquent de nous ramener 80 ans en arrière. Le continent a été sauvé 2 fois par l’Amérique ; il n’y aura peut être pas une troisième.

Mettre nos difficultés sur le compte de l’Europe, dire que « c’était mieux avant » c’est céder à la facilité. Voter des eurosceptiques au parlement européen, voués a son affaiblissement , n’avancerait ni la cause de la planète ni celle de la justice sociale. Il est impératif de créer un contrepoids aux orientations outre-atlantiques actuelles qui visent à défaire les institutions sur lesquelles le concert des nations a été construit depuis 1945.

On a vu les difficultés d’un seul pays à réguler le contenu néfaste des média sociaux, qui convainquent des jeunes que partir en Syrie permet d’épouser une cause humanitaire et transcendante. La campagne pour le Brexit a vu une floraison de fausse nouvelles. Laisser libre cours à de telles manipulations par les géants numériques leur donne le potentiel d’influencer le cours d’élections . Qui, sinon une Europe consolidée, aurait le soft power nécessaire pour brider ces ambitions ?

L’histoire ne s’est pas arrêtée, mais la Chine s’est réveillée. Ce pays de plus d’un milliard d’habitants, a annexé brutalement le Thibet et emprisonne aujourd’hui plusieurs centaines de milliers d’Ouighours. Il est en train d’établir une « Chine-Afrique » avec ses investissements massives dans des infrastructures dans le cadre des nouvelles routes de la soie. L’Australie, et bientôt l’Allemagne , ont retiré de leur marché la technologie 5G d’Huawei, pour soupçons d’ingérence dans leurs systèmes de sécurité. Un pays isolé ne peut parler d’égal à égal avec une une telle puissance planétaire. Sans instrumentaliser le « péril jaune », une Europe unie et prospère pourrait proposer des alternatives. D’autant plus que l’Algérie a donné l’exemple de ce que peut devenir une présidence à vie.

Parler de souveraineté européenne ne devrait autoriser l’UE à se comporter comme les états nations du dernier siècle. C’était parce que la CEE des années ’70, prenait des allures d’un club de pays riches, que Harold Wilson a renégocié les conditions d’appartenance de l’Angleterre, pour permettre aux pays du Commonwealth d’accéder à un statut d’associé. A l’origine des accords de Togo 15 pays tropicaux en ont profité ; aujourd’hui ils sont 76. Le défi qui se présente à l’UE c’est d’exercer une influence mondiale positive, tout en restant une société ouverte.

Un scénario, peut-être un peu utopiste, serait que le parti Démocrate adopte le New Green Deal, porté par porté par les nouveaux (et surtout nouvelles ) entrants au parti, pour ensuite gagner les Présidentielles et s’allier à L’UE pour porter le phare du progressisme et de la tolérance dans le monde. Les 2 partenaires d’un tel front ont déjà un intérêt mutuel dans l’aéronautique. Si les capacités techniques de la Chine dans ce domaine continuent à avancer au rythme actuel, la rivalité Boeing-Airbus n’aura plus lieu d’être.

L’USA et l’UE ont eu des pères fondateurs qui ont écrit des constitutions comportant les mêmes valeurs . Malgré ses errements l’Amérique a montré une capacité de désintéressement par son rôle dans le Plan Marshall, la création de l’ONU et de l’OTAN. Un front transatlantique pourrait permettre de remettre sur l’agenda des structures comme L’Organisme Mondial du Commerce dont le principe de base est que plus les pays ont des échanges commerciales , moins ils seront tentés par le recours aux armes.

De même pour la réduction des arsenaux nucléaires, l’accord avec l’Iran, ou, priorité des priorités, les objectifs de la COP 21 . On ne pourra abandonner la mondialisation, mais on peut tenter de l’humaniser. L’intérêt général aujourd’hui va bien au delà de celui d’un seul pays, ou d’un seul continent, qui représente qu’une partie de l’humanité.