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   La naissance d’un conflit

dimanche 28 novembre 2004, par François-Xavier Barandiaran

En 1948 l’Etat d’Israël est né sous le triple signe de la complexité, de la discorde sanglante et de la tare congénitale.

De la complexité : parce qu’il est l’aboutissement du projet sioniste, lui-même se voulant la réponse et la solution à des siècles de persécutions subies par les juifs de la diaspora (plus dans les terres chrétiennes qu’en terre d’Islam !), depuis les tracas et les interdictions dans les royaumes du Moyen-Âge, en passant par l’expulsion d’Espagne en 1492 par les Rois très Catholiques, sans oublier, à la fin du dix-neuvième siècle, le climat judéophobe, en France, de l’affaire Dreyfus , et les pogroms et massacres sur les terres des Tsars, le tout couronné par l’horreur absolue de la Shoah. Pour y ajouter une touche de complexité religieuse, rappelons que pour l’Église Catholique, pendant des siècles, les juifs appartenaient solidairement au « peuple déicide » qui aurait crucifié le Christ ! De la discorde sanglante : commencé en 1901, l’achat de terres agricoles par le Fonds National Juif, avec la connivence de la Grande-Bretagne (Déclaration Balfour en 1917), provoque très rapidement l’opposition de la majorité des arabes -qu’on n’appelait pas encore palestiniens-, qui habitaient ce pays depuis des siècles et des siècles. Pour mémoire : les affrontements armés de 1920, l’insurrection sanglante de 1929 ou la grande grève de 1936, à laquelle fait suite la révolte armée des palestiniens contre les autorités mandataires et les juifs. Bien que l’État d’Israël a été reconnu le 14 mai 1948 par les Nations Unies, non pas selon le plan de partage voté en 1947, mais suivant les frontières de fait résultant des conquêtes de la Haganah (armée juive), on doit reconnaître qu’il est né dans le sang. De la tare congénitale : abasourdie et avec un grand sentiment de culpabilité après l’Holocauste, la communauté internationale, pour réparer une injustice, en a commis une autre : expulser et déposséder de sa terre un peuple considéré comme quantité négligeable, le peuple palestinien. Dans une phrase lapidaire, A.Koestler, en pensant au rôle joué par la Grande-Bretagne, puissance mandataire, avait écrit : « En Palestine, une nation a promis à une deuxième le territoire d’une troisième ». C’est ce dont David Ben Gourion, chef du premier gouvernement israélien, a bien conscience quand il affirme : « Nous voulons que la Palestine soit notre nation. Les arabes veulent exactement la même chose ». Aujourd’hui, cinquante-six ans après, l’enjeu est toujours celui-ci : un seul territoire pour deux nations ! Depuis, le conflit israélo-palestinien a connu des guerres et des intifada, des murs dressés et des attentats, des colonies de plus en plus nombreuses et des barrages militaires, mais, aussi, des jalons dans le chemin vers un possible accord de paix, avec la reconnaissance par Israël de l’OLP comme représentante du peuple palestinien et, réciproquement, la reconnaissance de l’État d’Israël par l’OLP. Mais, toujours la même injustice : un peuple a été expulsé de sa terre (ce que les palestinien appellent la Nakba ou catastrophe), et sur les morceaux de territoire qu’il possède il est dans l’impossibilité de créer un État.

Aucun pas décisif vers la paix ne pourra être franchi tant que la reconnaissance de cette injustice fondatrice ne verra le jour, ayant valeur, dès lors, de repentance et d’obligation de réparation. Cette reconnaissance morale, qui devra un jour se traduire en accord politique, nous la trouvons déjà, bien qu’un peu édulcorée, dans le « compromis de Taba » de janvier 2001 (dernières négociations officielles en date), survenu entre le gouvernement israélien et l’OLP : « …. L’État d’Israël naissant a été entraîné dans la guerre et l’effusion de sang de 1948-1949, qui ont fait des victimes et provoqué des souffrances des deux côtés, y compris le déplacement et l’expropriation de la population civile palestinienne qui est devenue réfugiée… »

En France, beaucoup de voix juives se sont élevées pour rappeler à leurs frères juifs d’Israël le devoir d’appliquer dans les faits les promesses de Ben Gourion dans son discours du 14 mai 1948 : « L’État d’Israël se fondera sur la liberté, la justice et la paix telles que les envisageaient les prophètes d’Israël ».

Écoutons, par exemple, Théo Klein, ancien président du CRIF, affirmant que les palestiniens ont, eux aussi, droit à vivre sur une partie de la terre commune : « Nous savons, non seulement qu’il n’y a d’autre solution digne de notre passé comme des valeurs dont nous nous voulons porteurs, mais nous savons aussi qu’elle seule peut inscrire Israël dans le Proche-Orient auquel il appartient » (Le Monde du 6/09/2002).

Ou encore, dans une déclaration collective où l’on trouve, entre autres, les noms de D.Bensaïd, R.Brauman, P.Khalfa, P.Vidal-Naquet…. : « Mais une paix durable exige la reconnaissance réciproque de deux peuples et leur coexistence fondée sur des droits égaux. Les israéliens ont un état souverain, une armée puissante, un territoire ; les palestiniens sont parqués dans des camps depuis un demi-siècle, soumis aux brutalités et aux humiliations, assiégés sur un territoire en peau de chagrin… »

Un autre aspect du conflit israélo-palestinien c’est qu’il est comme un cancer qui essaime des métastases dans le monde entier. C’est sûrement en pensant à cela que les signataires de la déclaration « Une autre voix juive » écrivent : « Nous nous révoltons contre l’oppression coloniale dont souffrent la Palestine et les Palestiniens du fait du Gouvernement d’Israël. Nous ne croyons pas que l’on combatte l’antisémitisme en laissant les israéliens devenir un peuple d’oppresseurs ».

Si j’ai opté pour donner la parole à ces voix juives de France, c’est pour montrer que dans un débat qui soulève tant de controverses, la solidarité des tripes peut se concilier avec la recherche de la justice, la défense de valeurs universelles et l’application des critères politico-historiques applicables et opposables à tout État de droit.

Même dans les situations les plus complexes, où la passion peut l’emporter sur la raison, surgissent des sages comme feu le professeur Leibovitz pour éclairer la route : « Le fait fondamental, au-delà de l’idéologie, de la théorie et de la foi, c’est que ce pays appartient à deux peuples. Chacun est profondément conscient dans son âme que ce pays est le sien. Autrement dit, on opte donc forcément, soit pour le partage, soit pour la guerre à outrance ».

Gageons que c’est le premier terme de l’alternative qui l’emportera.